Au moment où l’IVG est inscrite dans la Constitution, comment s’est décidée cette exposition ?
Charlène Fanchon : Dans une volonté démocratique, les Archives nationales ont mis en place « Les Remarquables », un cycle d’expositions dont la programmation est choisie par les visiteurs. À l’été 2023, nous avons soumis 13 documents au vote du public. Parmi eux : le contrat de construction de la tour Eiffel ou encore le seul portrait de Jeanne d’Arc réalisé de son vivant figurant en marge d’un registre du Parlement de Paris. Mais c’est le discours de Simone Veil défendant le projet de loi pour l’IVG en 1974 à l’Assemblée nationale qui a recueilli 46% des suffrages des 7525 votants. Ce plébiscite résulte certainement d’une conjonction de facteurs car ce vote est intervenu dans le contexte du recul de ce droit aux États-Unis et peu de temps après l’engagement pris par le Président de la République d’inscrire le recours à l’IVG dans la Constitution. La mobilisation de la presse et des associations a peut-être contribué à sensibiliser les gens et leur a rappelé le rôle fondateur de Simone Veil à cet égard. Les Archives nationales ont décidé d’inaugurer l’exposition le 8 mars pour marquer la Journée internationale des droits des femmes.
Le discours est disponible sur Internet. Qu’est-ce que cette exposition dévoile de plus ?
Le grand public ne connaît finalement que la version finale du discours, ce qui a été filmé à la tribune. L’exposition montre à la fois le manuscrit avec l’écriture rapide, comme jetée sur le papier, de Simone Veil, et le tapuscrit, la version dactylographiée. En analysant les différences entre les deux documents, on constate le travail considérable de Simone Veil pour trouver les mots justes, les formules marquantes. Car Simone Veil a soigneusement pesé ses mots. Par exemple, la célèbre phrase « Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme » a d’abord été écrite « je voudrais tout d’abord faire une observation » dans le manuscrit puis Simone Veil a rayé « observation » au profit de « réflexion ». Enfin, cela ne devient « conviction de femme » que dans la version tapuscrite. Dans le manuscrit, Simone Veil recherche la formule juste. Le tapuscrit quant à lui porte les marques du travail de l’oralité. Simone Veil n’était pas une grande oratrice. Quand elle devient ministre, elle a derrière elle une carrière de haut fonctionnaire et n’a pas l’habitude de la prise de parole. Elle s’est donc préparée à l’épreuve du discours oral. Elle a ainsi travaillé le rythme de son discours en anticipant les scansions et les pauses avec des annotations comme « arrêt » ou « grand verre d’eau ». Sa prise de parole est finalement très écrite : rien n’a été laissé au hasard.
Derrière ces « simples » documents se dessine aussi toute une société…
Outre la vitrine centrale qui présente ce discours, une vidéo montre Bibia Pavard, historienne et co-commissaire de l’exposition, qui feuillette et commente le tapuscrit. Elle évoque aussi la postérité de ce discours et la façon dont Simone Veil est devenue malgré elle l’incarnation de la lutte pour le droit à l’avortement. À travers l’abondant courrier reçu à ce sujet, Bibia Pavard montre les félicitations, mais aussi les lettres critiques qui vont jusqu’aux lettres d’insultes à caractère antisémite. Nous avons installé ensuite deux autres vitrines qui recontextualisent le discours. L’idée était de mettre en avant la lutte menée par les femmes, le MLF, le MLAC [Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, Ndlr], l’association « Choisir » à travers les personnalités de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir. La première vitrine revient sur le procès de Bobigny, avec des documents qui proviennent du fonds d’archives privées de Gisèle Halimi également conservé aux Archives nationales. Enfin, la dernière vitrine est appelée « De la dépénalisation à la conquête d’un droit », afin de montrer au public que, telle qu’elle est promulguée en 1975, cette loi est loin d’affirmer un « droit à à l’avortement » ; c’est une dépénalisation qui marque une première étape dans la conquête de ce droit. En effet, le cœur libéral du texte (toute femme dans les dix premières semaines de sa grossesse et qui se trouve en « situation de détresse » peut recourir à une IVG) est contrebalancé par une série de restrictions : demande par écrit, temps obligatoire de réflexion, autorisation parentale pour les mineures… Plusieurs freins importants qui seront levés par la suite.
L’exposition traite également du mouvement social qui accompagne la loi…
Oui, avant la mobilisation politique, il y a d’abord une mobilisation sociale qui permet ensuite de légiférer sur la question. Nous dévoilons ici un document prêté par le Planning familial, soit une carte postale éditée à l’occasion de la mobilisation pour la reconduction de la loi Veil en 1979, envoyée aux députés pour les inciter à soutenir la loi. À l’origine, la loi de 1974 était votée pour 5 ans. Grâce à une très grosse mobilisation féministe, elle est ensuite adoptée définitivement en 1979.
Cette exposition inscrit-elle ce discours encore un peu plus dans l’Histoire ?
Ce discours fait déjà partie de l’Histoire, mais une telle exposition permet de le « patrimonialiser ». C’est un document emblématique du point de vue de la charge émotionnelle qu’il transmet mais c’est aussi le symbole d’un tournant politique. Le présenter au public permet de le faire entrer dans notre patrimoine : chacun peut se l’approprier et en comprendre le contexte. Plus largement, nous avons mis en place le cycle d’expositions « Les Remarquables » pour montrer au public que les Archives nationales conservent des documents qui font partis de notre patrimoine à tous, et que tout le monde peut venir les consulter.
Infos pratiques : exposition « La loi sur l’IVG, 1974, le discours de Simone Veil » aux Archives nationales, 60, rue des Francs-Bourgeois, Paris 4e. Jusqu’au 2 septembre. Ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30 et le week-end de 14 h à 19 h. Entrée libre. Accès : métro Hôtel de ville (lignes 1 et 11), Rambuteau (ligne 11). Plus d’infos sur archives-nationales.culture.gouv.fr
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7 mars 2024 - Paris