Culture
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« Le street art a permis au public de renouer avec l’art contemporain »

Fin connaisseur de l'histoire de l'art, l'artiste Codex Urbanus, dont le bestiaire fantastique s'expose sur les murs du Grand Paris, a troqué la bombe pour la plume afin de livrer un manifeste sans concession sur le street art.

 

Selfie devant une oeuvre de Codex Urbanus / © Codex Urbanus
Selfie devant une oeuvre de Codex Urbanus / © Codex Urbanus

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de revenir sur l’histoire du street art avec un manifeste sans images ?

J’ai écrit ce texte la rage au ventre, avec le sentiment qu’on laissait dire tout et n’importe quoi sur le sujet. Tous les bouquins de street art sont remplis de belles images. Je voulais rester concentrer sur le fond plus que sur la forme. Pendant plus d’un an j’ai cherché une maison d’édition généraliste, afin de toucher un public large, mais je me faisais jeter. J’ai eu beaucoup de chance que les éditions Critères acceptent de publier mon ouvrage pour lancer leur série “Les chroniques du street art”, qui va donner la parole aux acteurs du mouvement. Je constate que très peu de personnes comprennent vraiment ce qu’est le street art. Les gens s’attendent à ce qu’un mouvement artistique soit basé sur une innovation graphique ou un sujet particulier, comme l’impressionnisme par exemple. Mais l’art urbain échappe résolument à cette vision : craie, pochoir, collage, mosaïque, abstraction, figuration, fantastique… le street art n’a aucune unité, ni dans le fond, ni dans la forme. Ce qui l’unifie c’est simplement le fait d’être illégal et de prendre place dans l’espace public. Cependant, comme le public a du mal à le cerner, on le réduit souvent à certains aspects, comme les grandes fresques monumentales. La jonction entre le street art et le graffiti est aussi une source de confusion, alors même que ce sont des mouvements mondiaux et omniprésents auxquels les gens sont exposés dans le monde entier, même à Pyongyang en Corée du Nord où bien sûr il est impensable de toucher les murs ou de se procurer des bombes. Là-bas, les graffitis sont réalisés en rayant les vitres du métro.

En quoi l’art dans la rue s’oppose à ce que vous appelez “l’art 2.0” ?

Ce que j’entends par “l’art 2.0” c’est ce que l’on connaît depuis la révolution accomplie par l’urinoir de Duchamp, qui sacralise un objet manufacturé comme oeuvre d’art et tue des milliers d’années de création, de techniques et de styles. Un siècle après, on voit qu’on en est toujours au même stade. Cet art de la démarche s’est longtemps opposé aux artistes qui avaient ce besoin irrépressible de dessiner ou de peindre. Le street art a permis au public de renouer avec l’art contemporain alors que c’était devenu réac de faire des images. Le tableau est dans la rue, visible par tous, il surprend, fait rêver. C’est un cercle vertueux car les gens font des photos des oeuvres qu’ils partagent sur les réseaux sociaux ce qui attire toujours plus d’artistes. Je peux constater que chaque mois, sur les murs de Montmartre, au moins une dizaine de nouveaux artistes dévoilent leur travail, même si pour la plupart cela ne sera qu’un galop d’essai. Cela donne lieu à un phénomène de terroir intéressant, où les habitants sont fiers et revendiquent les artistes de leur quartier. Da Cruz par exemple est devenu un étendard du canal de l’Ourcq, ou encore Philippe Hérard à Belleville. Ceci s’oppose à l’art 2.0 qui fait défiler les mêmes artistes dans tous les centres d’art contemporain du monde. De manière générale, ce qui se passe autour du street art aujourd’hui est totalement dingue. On l’a vu avec Banksy qui auto-détruit sa « Girl with balloon »  en pleine vente aux enchères chez Sotheby’s à Londres. Cette action symbolise bien la façon dont les artistes de la rue récupèrent leur liberté vis-à-vis des codes, des institutions, du marché de l’art.

Le street art a-t-il sa place dans les galeries ? 

Il existe une forte tension autour du terme street art, rejeté par la plupart des artistes concernés et qui ne veulent pas être rattachés à un mouvement global. C’est particulièrement vrai pour les graffeurs, qui pratiquent le lettrage à la bombe de façon vandale et qui ont un code d’honneur digne des samouraïs ! Pour la majorité d’entre eux, le street artiste est celui qui vend en galerie et ils tiennent à s’en distinguer. Pour ma part, il me semble clair qu’une oeuvre qui n’est plus dans la rue n’est ni du graffiti ni du street art. Un vrai collectionneur, soit il récupère les esquisses de l’oeuvre originelle, soit il s’empare littéralement du mur. Pour autant, les artistes qui évoluent dans la rue ont toute légitimité à vendre en galerie. L’idée selon laquelle on devrait mourir de faim pour notre art est abêtissante. Van Gogh, s’il avait pu vendre de son vivant, il l’aurait fait. Et attention aux hypocrites, qui blâment ceux qui exposent en galerie, alors qu’eux-mêmes ont un travail à côté et n’ont pas besoin de vivre de leur art. Chacun fait ce que bon lui semble, mais personne ne vit d’amour et d’eau fraîche, pas même les artistes.

Infos pratiques : Pourquoi l’art est dans la rue, de Codex Urbanus, Ed. Critères éditions, 18€. Disponible sur criteres-editions.com

L'artiste Codex Urbanus sur les toits de Paris / © Nestor de Picpus
L’artiste Codex Urbanus sur les toits de Paris / © Nestor de Picpus

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