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J’ai embarqué dans une machine à voyager dans le temps, la cité médiévale de Provins

Les maisons à colombage de la cité médiévale de Provins / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Les maisons à colombage de la cité médiévale de Provins / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

85 km et 800 ans séparent le périphérique parisien, barrière physique autant que psychologique, des remparts de Provins et leurs 25 mètres de haut. Ce patrimoine mondial, l'un des 5 que compte le Grand Paris, le journaliste John Laurenson s'y est immergé alors que la cité médiévale accueille son traditionnel marché de Noël les 14 et 15 décembre.

Depuis un an, le journaliste John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.

Il fait froid, sec et beau quand j’arrive à Provins (Seine-et-Marne). Un temps pour rentrer en triomphe dans la partie de la ville fortifiée. Jeanne d’Arc l’a fait en août 1429 avec le roi Charles VII fraîchement couronné. En sortant de la gare, on se trouve tout de suite dans un dédale de petites rues et de cours d’eau enjambés par des passerelles qui relient les maisons à la rue. On peut difficilement se tromper de direction. Devant nous se dresse la ville haute avec ses splendides vestiges médiévaux qui valent à Provins d’être classée au patrimoine mondial de l’Unesco. On voit de loin la basilique à coupole gris-bleu où Jeanne et le roi sont allés entendre la messe. À côté, une construction encore plus extraordinaire : un donjon massif entouré d’une « chemise » de tours et de courtines, la Tour César.

Il est 13 h 30, l’heure de déjeuner avant de partir à la découverte de toutes ces curiosités architecturales. Au Banquet des Troubadours, on se restaure dans la cave voûtée d’une auberge médiévale où des conteurs content, des jongleurs jonglent et un serveur habillé en bouffon du roi apporte vos feuilletés de cochon chauds alors que des ménestrels jouent de la musique. Venu seul, j’opte toutefois pour un cadre plus sobre chez Les Bistrophiles dont la carte fait la part belle aux saveurs locales avec notamment une cuisson à la bière de Seine-et-Marne et la tranche de brie de Meaux accompagnée d’un confit de roses de Provins.

Roses de Provins ? Je cherche sur mon téléphone. C’est une histoire prodigieuse ! Un certain Robert de Brie, à son retour des croisades en 1253, a rapporté à Provins un rosier de Damas, rose qui se répandit ensuite dans toute l’Europe et qui est l’ancêtre de beaucoup de variétés d’aujourd’hui. Je quitte Les Bistrophiles, repu et un peu plus cultivé. Je demande à mon GPS de m’emmener porte Saint-Jean. Dix minutes plus tard, je suis face à 1,2 kilomètre de murs fortifiés de 25 mètres de haut. Une sacrée claque, un coup de masse sur le heaume. Je ne pense pas m’être déjà trouvé devant une construction qui dégage une telle force brute.

Les remparts de Provins à la tombée de la nuit / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Les remparts de Provins à la tombée de la nuit / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Nostalgie pâtissière

Son bâtisseur, Thibaud IV (1201-1253), comte de Champagne, se faisait aussi appeler « Thibaud le chansonnier ». Car en plus d’être un homme de pouvoir et un guerrier, il était aussi un fameux trouvère qui écrivit quelque 70 compositions lyriques. Quand Thibaud a fait construire ces fortifications, le canon n’existait pas encore ; elles étaient donc indestructibles. Aux XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles, une armée n’aurait pas eu plus de chance que les moutons qui broutent désormais à leur pied. Les Anglais, avec le roi Édouard en personne à leur tête, ont essayé en 1359 mais ont échoué.

Pendant la guerre de Cent Ans, ce mur servait aussi à se protéger non pas des armées mais des grandes compagnies, des bandes de mercenaires à la solde des armées qui, surtout pendant les périodes de paix, vivaient au détriment de la population en la pillant. En dehors des murs, c’était l’anarchie, la dévastation, la soumission aux plus forts ; à l’intérieur, la paix, l’ordre et la liberté… mais aussi les petits gâteaux. Rue de Jouy, la biscuiterie Gourmandises médiévales, où officie la pâtissière Corinne Alaga, alias Dame Corinne, redonne vie aux recettes du Moyen Âge. La plus étonnante vient de la géniale moniale de la fin du Xe siècle Hildegard von Bingen, mystique, compositrice, poétesse et naturopathe très largement avant l’heure. Il faut absolument croquer dans son « biscuit de la joie » à base d’épeautre, de muscade, de cannelle et de clou de girofle. Le goût est très fort, très inhabituel. Et, clou de girofle oblige, légèrement anesthésiant. On trouve aussi d’étonnants biscuits à la rose (de Provins bien sûr), ainsi que des macarons puisque, oui, ce gâteau phare de la pâtisserie française nous vient de l’époque médiévale.

La Tour César / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
La Tour César / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Ave César

À quelques pas d’ici se trouvent les jolies maisons à colombages de la place du Châtel où se tiendra, les 14 et 15 décembre, le marché de Noël (avec cracheurs de feu). De là, on peut descendre la rue Thibaud pour visiter les souterrains, un réseau de caves voutées et de cavernes qui s’étend sous la cité médiévale. On peut aussi aller jusqu’à la ville basse voir l’église et le prieuré Saint-Ayoul, millénaires tous les deux. Pendant des siècles s’y tenait l’un des marchés les plus importants d’Europe où les marchands nordiques rencontraient ceux de la Méditerranée. Tout transitait par la Champagne. Grâce en grande partie à Thibaud (vous vous souvenez de lui ?). Les marchands de l’époque vivaient dans l’angoisse d’être pillés par des brigands ou des compagnies mais, dès que leurs chevaux mettaient un sabot dans son comté de Champagne, le comte leur donnait le « conduit » : la protection armée.

Alors que le soleil a entamé son coucher, je me dirige vers la Tour César, gros donjon octogonal au toit pointu entouré par quatre tourelles. Je grimpe tout en haut par des escaliers tellement étroits que mes épaules touchent les deux murs. Pendant longtemps, cette forteresse a servi de prison. Les internés étaient enfermés dans les tourelles, souvent dans l’obscurité totale. Pour eux, le Moyen Âge n’était pas un lit de roses…

Avant de reprendre le train, j’ai juste le temps d’aller jeter un dernier coup d’œil aux remparts. Quand j’arrive, le mur est joliment mais étrangement éclairé à côté de la porte Saint-Jean. Y sont projetées de grandes tâches de couleur pâle, vertes et rouges. S’agit-il d’illuminations de Noël ? Si oui, elles sont admirablement subtiles. Puis je comprends : des feuilles d’érable sont tombées sur la grille qui protège les éclairages des fortifications. Ce sont les couleurs des feuilles qui sont projetées sur les murs. Thibaud, j’en suis sûr, en aurait écrit une chanson.

Infos pratiques : « Marché médiéval de Provins » en ville haute, Provins (77). Samedi 14 et dimanche 15 décembre. Gratuit. Accès : gare de Provins (ligne P). Plus d’infos sur provins.net

La cité médiévale de Provins est l'un des quatre site franciliens classés au patrimoine mondial de l'Unesco / © Herman Pijpers (Creative commons - Flickr)
La cité médiévale de Provins est l’un des cinq sites franciliens classés au patrimoine mondial de l’Unesco / © Herman Pijpers (Creative commons – Flickr)

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