Retour au bercail. Après avoir arpenté le monde entier, le duo d’explorateurs de sites abandonnés formé par Yves Marchand et Romain Meffre, tous deux originaires de la banlieue sud, y font leur retour pour exposer leurs clichés avec « Exploration urbaine », une exposition consacrée à ce que l’on appelle dans le jargon « l’urbex » (contraction de « urban exploration »). Si, il y a quelques années encore, les « urbexeurs » n’étaient regardés que comme des illuminés amateurs de décors glauques, ils jouissent aujourd’hui de la même reconnaissance que les graffeurs.
Cette exposition est donc l’occasion de découvrir le talent fou d’Yves Marchand et Romain Meffre, tous deux « autodidactes partageant une obsession pour les ruines », pour reprendre leur propre définition. « Nous avons été étonnés d’apprendre que la Maison des arts d’Antony nous avait contactés uniquement par intérêt pour notre travail !, confie humblement Romain Meffre alors même que leurs œuvres photographiques sont représentées par plusieurs galeries prestigieuses dans le monde, dont la galerie Polka en France. Personne ne savait qu’en réalité j’ai été le voisin de la Maison des arts pendant 17 ans. Nous avons même travaillé toute notre série de photos sur Détroit dans mon bureau à 200 mètres du parc Bourdeau (là où se situe la Maison des arts, Ndlr). Revenir à Antony nous a évidemment séduits immédiatement, car c’est là que tout a commencé pour nous », confie Yves Marchand. Clin d’œil à leur attachement à la banlieue, l’exposition commence par un hommage à leurs débuts dans le 92.
« Visiter ces ruines reste une manière très ludique de plonger à deux pas de chez soi dans notre histoire récente »
Le couloir de l’entrée est d’abord l’occasion de découvrir un petit bout de l’histoire de la rencontre entre les deux jeunes fans d’urbex à travers leurs échanges via le site Internet Glauqueland. « Quand j’ai commencé, c’est l’adrénaline provoquée par l’exploration de tels sites qui m’a convaincu, alors que j’étais encore un adolescent. Puis on prend vite goût au fait de passer de l’autre côté. Et on découvre qu’il existe de nombreux sites un peu mystérieux sur lesquels nous nous sommes mis à effectuer des recherches. En réalité, visiter ces ruines reste une manière très ludique de plonger à deux pas de chez soi dans notre histoire récente. Ensuite, la photo a une valeur d’archive et de préservation », explique Romain Meffre.
Dans la première salle, nous découvrons une scénographie plutôt maligne, digne d’une série policière. Sur une immense carte d’Île-de-France, des fils relient les lieux punaisés aux photos prises par les artistes dans les années 2000 alors qu’ils débutent leurs explorations urbaines. Ce sera donc d’abord la banlieue sud puis, peu à peu, l’exploration de nombreux sites abandonnés dans toute l’Île-de-France. Parmi les nombreuses photos, on aperçoit les restes de la clinique des Vallées à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) où est né Romain Meffre en 1987, qui a subtilement glissé un extrait d’acte de naissance entre les photos de la clinique abandonnée. On revoit aussi l’île Seguin en 2003 avec encore les murs de l’usine Renault, puis le même paysage rasé, et enfin l’île en 2018 avec la Seine musicale flambant neuve. Au-delà de l’aspect cocasse, ces petits tirages photos montrent surtout la myriade de sites que le duo a explorés dans les années 2000 avant de se lancer à l’assaut du monde (abandonné).
Toujours plus loin
Après la banlieue, Romain Meffre et Yves Marchand élargissent leurs explorations dès 2002 en partant toujours plus loin : d’abord dans d’autres régions françaises puis en Europe pour finir par traverser les océans. Leur petit faible pour les édifices industriels à l’abandon est mis à l’honneur dans la seconde salle où nous voilà plongés dans les quartiers de Détroit (États-Unis) laissés à l’abandon. « Après quelques recherches, nous avons eu envie de découvrir Détroit, et ce fut une véritable claque », confie Yves Marchand. La cité, grande comme cinq fois Paris et ancienne capitale mondiale de l’automobile, a subi de plein fouet la désindustrialisation jusqu’à devenir une ville fantôme. Les tirages photos immenses montrent des sites industriels mais aussi des salles de classe ou des maisons qui semblent figées dans le temps.
« Nous avions découvert des sites comme l’île Seguin ou les Grands Moulins de Paris au milieu de villes grouillantes, en sachant que ces lieux allaient être réhabilités. Les ruines de Détroit sont à l’échelle américaine. C’était une évidence pour nous d’aller les voir et cela a eu sur nous un effet totalement sidérant », se souvient Romain Meffre. Puis ce fut la fascination pour l’architecture productiviste de l’île d’Hashima au Japon, qui accueillait à la fin du XIXe siècle les familles des travailleurs d’une mine de charbon. Enfin, la dernière partie de l’exposition nous emmène dans les salles de théâtre et de cinéma américaines de l’âge d’or hollywoodien, parfois laissées à l’abandon ou réutilisées à d’autres fins comme cette salle devenue supermarché.
La marque d’une génération
Pour les deux photographes, qui réfléchissent tous leurs clichés en binôme, l’engouement pour l’urbex est symptomatique des jeunes générations (ils sont nés dans les années 80). « Je crois qu’il y a quelque chose dans la psyché de notre génération qui nous emmène vers cette esthétique. Nous sommes une génération habitée par l’idée d’apocalypse, on ne nous a jamais fait miroiter des lendemains meilleurs », explique Romain Meffre. Nicolas Offenstadt, historien passionné d’urbex, parle de ces ruines comme d’espaces de liberté dans des espaces urbains contrôlés. »
Selon le duo, c’est aussi la démocratisation d’Internet et le développement des réseaux sociaux qui a permis de structurer les communautés d’urbexeurs. « Les vidéastes d’urbex ont fait accéder cette culture au plus grand nombre. Avant, on passait devant des ruines sans les considérer ; maintenant, la plupart des jeunes vont avoir envie de les explorer car cette culture est connue de tous. La curiosité d’aller voir ce qui existe dans ces lieux a été légitimée », note Romain Meffre. « Ce qui est intéressant avec l’urbex, c’est que cela éveille les gens à l’histoire des lieux près de chez eux. On franchit peut-être plus joyeusement une barrière qui ferme un site abandonné que l’on entre dans un musée propret », ajoute Yves Marchand.
Étrangement, cette exposition porte en elle quelque chose de très apaisant face à des sujets parfois anxiogènes, tout du moins sombres. « Visiter des ruines n’est pas forcément effrayant. Cette poésie du temps fait ressentir des sentiments merveilleux, en particulier quand la végétation revient », confie Romain Meffre. Si le temps ne suspend pas son vol, il surprend…
Infos pratiques : « Exploration urbaine », à la Maison des arts d’Antony, parc Bourdeau, 20, rue Velpeau, Antony (92). Jusqu’au 24 décembre. Ouvert du mardi au vendredi de 12 h à 19 h, samedi et dimanche de 14 h à 19 h. Entrée libre. Accès : gare d’Antony (RER B). Plus d’infos sur ville-antony.fr
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16 novembre 2023 - Antony