Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de consacrer une pièce à Facebook ?
Marion Siéfert : Il y a trois ans, j’ai eu l’occasion de participer à des performances théâtrales pour lesquelles les gens s’inscrivaient via des événements Facebook. Cela me permettait de connaître à l’avance qui allait composer le public. C’est comme cela que l’idée m’est venue d’écrire 2 ou 3 choses que je sais de vous. Parce que si je fais du théâtre, c’est pour travailler la relation au public : j’essaie de créer des formes artistiques qui explorent des zones de trouble, de danger, de tension avec les corps des spectateurs. Habituellement, ce sont eux qui viennent voir, qui viennent regarder les interprètes qui s’offrent à leur regard sur la scène. Cette fois-ci, j’ai souhaité inverser les rôles et tendre un miroir à la salle en projetant des captures d’écrans des profils Facebook de mes spectateurs. Confronter l’espace public du théâtre à celui de Facebook. Dès lors que l’on a un profil sur un réseau social, on entre dans le champ de la représentation.
Sous quelle forme se présente le spectacle ?
J’ai créé un personnage, Ziferte, qui est une étrangère cherchant à se faire des amis et qui, pour ce faire, parcourt Facebook. En amont de la représentation, j’effectue un travail de recherche en visitant les profils des personnes qui se sont déclarées intéressées par la pièce sur la page Facebook du théâtre. A partir de cette collecte d’informations, je réalise un montage de différents profils que je projette sur scène avec une voix off. Sur les réseaux sociaux, les gens choisissent, souvent avec une grande part d’inconscient, ce qu’ils décident de montrer d’eux-mêmes. Je fais à mon tour un travail de sélection, si bien que les images que je retiens sont souvent très fortes et très belles. Je choisis ce que je souhaite mettre en valeur, ce qui me touche et ce qui me semble faire sens pour le récit que je tisse pendant la représentation. Je ne cherche pas à éduquer les gens aux réseaux sociaux. Il ne s’agit pas non plus d’une critique de Facebook pour dénoncer une époque supposée superficielle. Mon intention est de créer un cadre pour poser des questions qui touchent au besoin d’être aimé, au voyeurisme et à la surveillance. J’ai conçu la pièce au moment où les lois sur le renseignement passaient en France dans l’indifférence la plus totale. Je voulais parler du fait de vivre sous surveillance de plusieurs manières, à plusieurs niveaux.
Qu’avez-vous appris de vos publics en faisant connaissance avec eux sur Facebook ?
Je me suis aperçu qu’ils variaient d’un théâtre à l’autre. A Aubervilliers, le public est très multiculturel. Cela se voit, cela se sent. Arpenter Facebook comme je le fais me permet également de retracer les grands événements qui ont marqué nos vies à tous. C’est un travail d’historienne et d’archiviste en quelque sorte. Les réseaux sociaux sont les réceptacles de nos récits personnels mais aussi de nos récits communs.
Comment les spectateurs réagissent-ils à cette mise en scène d’eux-mêmes ?
Cela dépend des personnes. Il faut savoir que pendant les 50 minutes que dure la pièce, j’en profite pour aller à leur contact, les toucher. La salle devient l’espace de jeu. Certains rient aux éclats, d’autres me serrent dans leurs bras voire pleurent. Parfois, ils essaient d’entrer en communication avec mon personnage, de me parler par signes. Cela crée une relation entre les personnes qui sont dans la salle. A la fin de la représentation, les gens se reconnaissent et ressentent le besoin de se parler. Je constate également une différence de perception entre les moins de 25 ans et les plus de 25 ans. Les seconds abordent la pièce avec légèreté, les autres avec plus d’angoisse car ils sont nés dans la société de surveillance. Ils la vivent.
Infos pratiques : « 2 ou 3 choses que je sais de vous » au théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (93). Du 2 au 4 février. Tarifs : 6€ à 24€. Infos et réservation sur lacommune-aubervilliers.fr
31 janvier 2018 - Aubervilliers