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Au Palais de Chaillot, on fait le tour du monde à la voile sur la terre ferme

Michel Desjoyeaux à la barre de Foncia / © Vincent Curutchet
Michel Desjoyeaux à la barre de Foncia / © Vincent Curutchet

A l'heure où les meilleurs marins du monde se disputent la dixième édition du Vendée Globe, le musée de la Marine à Paris nous plonge dans cette course autour du monde à la voile en solitaire, en autonomie et sans escale. Pour Enlarge your Paris, John Laurenson a mis le cap sur le Palais de Chaillot.

Il pleut et il vente alors que je traverse la place du Trocadéro et m’engouffre dans le musée de la Marine (16e). Sale temps pour être en mer. Là, on va naviguer à sec sur un parcours qui reproduit celui du Vendée Globe, la célèbre course en solitaire autour du monde. Des pièges du golfe de Gascogne aux tempêtes glaciales des quarantièmes rugissants en passant par le calme étouffant du Pot-au-noir équatorial. Il y a, le fascicule que j’ai à la main m’en informe, 300 objets – des jumelles, un sextant, un poisson volant… – dont plusieurs prêtés par les marins aventuriers eux-mêmes. Mais ce qui me saisit, moi, dès la première salle, ce sont les mots de ces marins-là, les voyages spirituels de ces pèlerins de la mer.

Au début de l’aventure, les deux plus grands étaient un Anglais et un Français. Je me penche sur une vitrine pour déchiffrer l’écriture d’une lettre écrite par l’Anglais Robin Knox-Johnston, le premier à réussir le tour du monde en solo. La lettre commence par « Le 1er juillet 1968, au large de Madère… » C’est quand même classe d’écrire une lettre en mer. « J’ai décidé », poursuit-il, « que si, avec l’aide de Dieu, je finis ce voyage autour du monde plus rapidement que les autres, je donnerais le prix aux Amis des marins… Il y a des bateaux plus rapides que le mien dans cette course. Je ne peux espérer aller plus vite qu’eux. Donc, si jamais je gagne, il ne serait que juste que les bénéfices aillent à Celui qui m’a aidé. »

Il n’avait, en effet, qu’un petit voilier peu performant et en mauvais état. Il a dû déployer des prodiges d’ingéniosité pour le garder à flot. Finalement, il fut le seul à franchir la ligne d’arrivée. Il a donné le prix de 5 000 livres, une somme énorme à l’époque, à la veuve d’un marin qui s’est tué –  ou plus probablement suicidé – lors de la course.

« Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer »

Et le Français, alors ? Bernard Moitessier. Qu’on voit sur la couverture de Paris Match torse nu, barbe fournie, belle tête de naufragé sur l’île déserte de son voilier. Encore un qui naviguait au ciel aussi bien que sur la mer. Moitessier cherchait ce qu’il appelait « l’Alliance » avec les esprits et la nature. Il a commencé à pratiquer le yoga pour combattre la dépression de son âme alors que son bateau dérivait sans un souffle de vent dans le Pot-au-noir. Un goût de ses écrits à lui : « Retrouver l’Alliance ne suffit pas, il faut la nourrir encore d’espace et de lumière, de grandeur et de beauté… »

Alors qu’il était bien placé pour remporter la course contre Knox-Johnston, il a décidé qu’elle était trop commerciale. Pour être sûr de ne recevoir aucune réponse afin de respecter les règles de la course, il envoie son message d’abandon par lance-pierre à un pétrolier qu’il croise : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. » Au lieu de revenir et de boucler la boucle, il va plus loin et finit par naviguer dix mois en solitaire.

Des marins comme des généraux

Après cette première course épique, sponsorisée par un journal britannique, 20 ans passent avant le lancement du Vendée Globe. La nouvelle génération de marins du grand large – Jeantot, Desjoyaux, MacArthur, Le Cam… – écrit peut-être moins mais se filme en parlant à la caméra. Peut-être plus taiseux sur le plancher des vaches, ces champions de la solitude se lâchent sur les flots. On les voit pleurer d’exaspération ou de déception, babiller de soulagement quand ils réussissent une réparation délicate, hurler de triomphe quand ils montent d’une place… ou jouer de la guitare imaginaire.

On apprend beaucoup dans cette exposition. Par exemple, en mer, le chemin le plus court est rarement le plus rapide. Les grands marins sont comme les généraux : des stratèges à calculs fins sur leur position, la météo, les vents et les courants. Et, une fois revenus aux Sables-d’Olonne, ces Ulysse des temps modernes sont des hommes et des femmes changés. Touchant terre pour la première fois depuis trois mois, on a demandé à Ellen MacArthur ce qu’elle avait appris en faisant un tour complet de notre planète bleue. Sa réponse fut : « Les gens devraient manger plus de poisson. »

Infos pratiques : exposition « En solitaire autour du monde » au musée national de la Marine, Palais de Chaillot, 17, place du Trocadéro, Paris (16e). Jusqu’au 26 janvier. Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h sauf le mardi, nocturne le jeudi jusqu’à 22 h. Tarifs : 14 €  (tarif Internet ou 15 € au guichet), gratuit pour les moins de 26 ans. Accès : métro Trocadéro (lignes 6 et 9). Plus d’infos sur musee-marine.fr

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