Proposer de l’art dans un lieu qui produisait… du lard. Quand on sait que l’exposition en question a lieu au PréàVIE, ancienne usine de salaison du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), cela n’a plus rien de farfelu. Chapeauté par Soukmachines, le site accueille du 4 au 20 février « -196° », qui réunit 17 artistes sous l’égide de la commissaire Marion Zilio. C’est d’ailleurs à elle qu’on demande des explications sur le titre énigmatique de la manifestation : « -196°, c’est la température d’ébullition de l’azote liquide, explique-t-elle. C’est aussi la température à laquelle sont conservés les corps de ces milliardaires qui se font cryogéniser. » C’est d’autant plus parlant quand on sait que les œuvres sont présentées dans deux des anciens immenses frigos de l’usine. « Le frigo, c’est, a priori, le processus de vie qui s’arrête, explique la commissaire. Mais que se passe-t-il quand on rouvre la porte ? »
Croisant les champs du vivant, de la conservation, mais aussi du politique, « -196° » propose une collection d’œuvres étonnantes. Dans une vidéo intitulée The Scale of Signs, Gabrielle Le Bayon feuillette un livre d’histoires dont on réalise vite qu’il propose une version des faits très « masculino-centrée ». La vidéo est encastrée dans une étagère en métal, survivance de l’ancienne vie de l’usine. La commissaire a d’ailleurs fait réinstaller des rideaux de plastique blanc, caractéristiques de l’industrie agroalimentaire. Lise Thiollier, elle, propose des sculptures en grès anthropomorphe, à la lisière du monstrueux. Quant à Gabrielle Kourdadzé, elle réutilise dans sa peinture des IRM de son propre cerveau. La chair, l’organique… mises en scène dans un frigo géant, ces thématiques se teintent d’une dimension toute particulière.
Poser un regard critique sur le monde
« Là, on s’immerge dans une ambiance plus SF », prévient Marion Zilio, au moment de pénétrer dans le second frigo. Tout de suite nous saute aux yeux la toile immense et magnifique de Diane Benoît du Rey : inspirée de la photo d’une stalactite, elle reproduit mille nuances mouvantes de bleu. On s’arrête aussi devant une photographie de Louise Lan Millot : au premier plan, elle capture l’image d’une grenouille tandis que, à l’arrière, des éclats orange font perdre à la scène sa dimension bucolique pour la faire basculer dans l’apocalyptique. L’installation de Miguel Miceli fascine également : en disposant de l’ammoniac sur du charbon, il réussit à créer un petit jardin chimique. Une recette popularisée pendant la Grande Dépression aux États-Unis par la marque de lessive Mrs Stewart qui proposait, à partir de son produit, de réaliser son petit jardinet d’intérieur. « On appelait cela « les jardins de la Dépression » ou « la fleur du pauvre » », rappelle Marion Zilio. A l’heure des JO de Pékin à base de neige 100 % artificielle, on se dit que l’œuvre trouve une drôle de résonance dans l’actualité. C’est d’ailleurs ce que permettent bon nombre d’œuvres présentées : poser un regard critique, parfois sardonique même, sur ce monde qui ne tourne décidément plus rond. Et, malgré tout, grâce à l’art, garder la tête froide face aux absurdités.
Infos pratiques : exposition « -196° » au PréàVIE, 25, rue Danton, Le Pré-Saint-Gervais (93). Du 4 au 20 février. Vernissage le 4 février à partir de 19 h (sur inscription). Visite libre les samedis et dimanches entre 15 h et 19 h. Visites guidées en présence de l’un des artistes du mercredi au vendredi à 18 h 30 (sur inscription). Accès : métro Hoche (ligne 5). Plus d’infos sur Facebook
3 février 2022 - Le Pré-Saint-Gervais