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J’ai testé le jeu de paume au château de Fontainebleau

La salle du jeu de paume dans le château de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
La salle du Jeu de paume dans le château de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Elle a été construite par Henri IV. Toujours en activité 400 ans plus tard, la salle du Jeu de paume du château de Fontainebleau est l'un des terrains de sport les plus prestigieux du Grand Paris, et qui pourtant est ouvert à tous. Ce qu'est allé vérifier pour Enlarge your Paris John Laurenson, correspondant de la BBC installé outre-périphérique.

Jusqu’aux Jeux olympiques, le journaliste John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.

Au téléphone, le président du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau (Seine-et-Marne), Thierry Bernard-Tambour, m’explique :

« Devant le château, vous voyez l’escalier fer à cheval au milieu ? »

« Je vois, je vois. »

« Eh bien, la porte de la salle de jeu de paume est juste à gauche. »

C’est élégant tout de même : traverser l’immense cour pavée où Napoléon a fait ses adieux à sa Vieille Garde pour jouer au « jeu des rois, roi des jeux ». Enfin, jouer… « tripoter » quelques balles, plus exactement. « Tripoter » (qui veut dire jouer des balles sans compter les points), tout comme « peloter » (la pelote, c’est la balle), « rester sur le carreau », « épater la galerie » et « tomber à pic » comptent parmi les mots et expressions issues du jeu de paume.

Jamais on ne devinerait que, derrière les murs du château (classé au patrimoine mondial de l’Unesco), se trouve pareil terrain de sport. Heureusement, un très ancien panneau en fer, peint d’une sorte de blason héraldique genre « raquette rampante accompagnée de quatre balles d’argent », montre qu’on est bien arrivé. On pousse la porte et apparaît un homme tout de blanc vêtu avec un sourire sympathique et une barbe royale. C’est le « maître paumier » Guillaume Dortu.

« Maître paumier » ? Le professionnel du jeu de paume. Chaque club en a un. Il enseigne et il encadre. C’est important. La balle du jeu de paume est bien plus lourde et bien plus dure qu’une balle de tennis ou de squash. Elle vole vite – plus de 150 km/h à haut niveau – et se joue aussi sur les murs qui, n’étant pas toujours droits, rendent les rebonds moins prévisibles et plus dangereux. Les joueurs portent d’ailleurs parfois des protections aux yeux.

Ces balles très spéciales, c’est le maître paumier lui-même qui les fabrique ; une tradition qui remonte au XIIIe siècle. Guillaume en confectionne 25 par semaine. Il me montre. Un cœur de morceaux de bouchons de liège enroulés dans des bandelettes de coton ficelées (c’est ça qui fait le poids), à leur tour enfermées dans de la feutrine cousue main.

Je laisse une de ces balles tomber sur les carreaux. Pleine, elle rebondit peu.

« Donc, il faut taper fort ? »

« C’est contre-intuitif, mais non, répond Guillaume. Les raquettes sont très tendues, presque trois fois plus qu’une raquette de tennis. La balle part quasiment toute seule. Le jeu de paume, ce n’est pas un jeu de puissance mais un jeu de finesse, de précision et de position. »

« Les échecs du tennis », enchérit Yann, l’un des joueurs du Cercle.

L'enseigne du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
L’enseigne du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Un sport mixte

La force physique n’étant pas déterminante, le jeu de paume est l’un des rares sports où les hommes et les femmes jouent les uns contre les autres, à égalité. Et cela depuis des siècles. « On sait qu’une certaine Margot d’Hainaut, née en 1402, a joué contre les hommes et les a battus à plate couture », évoque Guillaume avec malice. C’est la première sportive dont on a la trace dans l’histoire occidentale. Aujourd’hui, l’Anglaise Claire Fahey et la Française Lea Van der Zwalmen, respectivement n° 1 et n° 2 mondiale chez les femmes, participent aux compétitions majeures nationales et internationales face aux hommes.

Quant à la salle, c’est Henri IV qui l’a fait construire en 1601. Lui et ses successeurs, comme Louis XIII, y ont joué. Et Napoléon ? « La légende veut qu’il soit venu jouer une fois, qu’il ait été mauvais, et qu’il n’y ait pas eu de seconde fois », raconte Guillaume. Le jeu de paume est intimement lié à l’époque de la Renaissance. « C’était une période marquée par l’idée humaniste d’un esprit sain dans un corps sain. Chaque dauphin avait son maître paumier pour l’initier dès son plus jeune âge », rappelle Guillaume. C’est aussi, dit Thierry Bernard-Tambour, « le premier sport à introduire, dès la Renaissance, la notion de fair-play : respect de l’adversaire, maîtrise de soi, modération des propos, connaissance de ses limites. » En France, l’engouement est grand à cette période. Rien qu’à Paris, on comptait, à la fin du XVIe siècle, 250 salles de jeu de paume. Les rois en étaient fous. François Ier par exemple construisait des salles dans tous ses châteaux, et même une sur un bateau. Qui malheureusement a coulé avant qu’il puisse en profiter.

À l’origine, au Moyen Âge, le jeu de paume se jouait avec la main comme son nom l’indique. Les raquettes sont introduites dès le XVe siècle et il se joue face à face par-dessus un filet. « Les journalistes parlent toujours de « l’ancêtre du tennis », même quand on précise de ne pas le faire, enrage le président du Cercle, Thierry Bernard-Tambour. C’est l’origine du tennis, pas l’ancêtre ! Les ancêtres sont morts alors que le jeu de paume est bien vivant ! »

Des cibles à viser

Si l’air de famille entre le tennis et son noble, heu, ancêtre est évident, le jeu de paume est plein de surprises. Bien qu’un seul rebond soit autorisé au sol, on peut en faire autant qu’on veut sur les murs. À ses débuts, croit-on, le jeu de paume est un sport populaire qui se joue sur les places de villages, ce que les terrains ont imité par la suite dans leur architecture. Sur ceux qu’on commence à construire un peu partout en France vers la fin du Moyen Âge, on retrouve des murs rappelant ceux des maisons qui entouraient les places et des pans inclinés comme les toits des échoppes des marchands.

Contrairement au tennis, au jeu de paume, il y a des cibles à viser (dont un filet un peu comme un but de foot) qui, quand on les atteint, permettent de remporter le point. Et puis il y a les « chasses », ces lignes marquées au sol. Guillaume m’explique : « Au tennis, quand la balle rebondit deux fois dans sa moitié du terrain, on perd tout de suite le point. Au jeu de paume, ce n’est pas comme ça. Les joueurs changent de côté – c’est de là que vient l’expression « qui part à la chasse perd sa place » – et vont rejouer le point. Mais pas sur tout le terrain : seulement entre la ligne qu’on appelle la chasse, où la balle a touché le sol la deuxième fois, et le mur du fond. »

Je regarde Guillaume, la mâchoire légèrement descendue. « C’est compliqué », concède-t-il. Il n’est donc pas question de chasses quand le moment vient pour moi d’enfiler mes tennis. En revanche, je m’en donne à cœur joie avec les cibles et les pans inclinés. On s’amuse comme François Ier en son temps, mais peut-être pas autant que le grand maître paumier du XVIIIe siècle, Antoine-Henri Masson, qui a épaté la galerie et gagné une belle somme en jouant une partie où il entrait et sortait d’un tonneau entre chaque coup de raquette.

Guillaume Dortu, le maître paumier / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Guillaume Dortu, le maître paumier / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Un patrimoine vivant

À Fontainebleau, le jeu de paume continue de se jouer dans la même salle depuis 400 ans. C’est du patrimoine vivant. Mais ce sport né en France se joue maintenant davantage dans le monde anglo-saxon. Sur les 42 salles de jeu de paume dans le monde, on n’en dénombre que trois en France. Les autres sont aux États-Unis, en Australie, et surtout en Angleterre. « Là-bas, le jeu de paume est assez florissant avec de nouvelles salles qui se créent », souligne Guillaume. Néanmoins, on trouve aussi quelques projets prometteurs en France. « Il y a un jeu de paume datant du XVIe siècle qui est en cours de réhabilitation à Chinon (Indre-et-Loire). À Pau, c’est un ancien court converti en terrain de pelote basque qui va redevenir salle de jeu de paume », m’indique le maître paumier bellifontain.

À Fontainebleau, le jeu de paume tente de faire de nouveaux convertis. Les visiteurs du château peuvent venir et regarder s’il y a un match. Ils ont la possibilité également de réserver un cours d’initiation tandis que les joueurs plus expérimentés peuvent réserver un créneau pour jouer en autonomie. Parmi la centaine de personnes membres du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau, on compte 43 enfants. Yann Perrier, lui, a découvert l’existence du Cercle un jour qu’il visitait le château. « Je me suis dit que c’était génial de jouer dans un château mais que c’était sans doute super cher ! En fait, c’est 30 € de l’heure. C’est moins cher qu’au tennis de Fontainebleau ! » Le client est roi.

Infos pratiques : Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau dans le château de Fontainebleau, boulevard Magenta, Fontainebleau (77). Tarifs : 30 € par personne + 10 € par personne supplémentaire pour les séances d’initiation. Tél. : 01 64 22 47 67. Accès : gare de Fontainebleau–Avon (ligne R). Plus d’infos sur Facebook

L'entrée du château de Fontainebleau... et du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
L’entrée du château de Fontainebleau… et du Cercle du Jeu de paume de Fontainebleau / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

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