Jusqu’aux Jeux olympiques, John Laurenson, Grand-Parisien et correspondant pour la BBC, nous partage son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway
Longtemps, il n’en est resté qu’un : le Bouillon Chartier de la rue du Faubourg-Montmartre (9e), classé monument historique depuis 1989. À la manière d’Alice au fond de son armoire, en un demi-tour de porte à tambour, on passe dans un autre monde. Un Paris d’avant, celui de la Belle Époque, grouillant de monde, où la soupe de légumes coûte 1 € et où les serveurs, gilets noirs et tabliers blancs, se faufilent entre les tables, assiettes empilées avec audace sur les bras. La carte est une feuille de papier. Idem pour la nappe sur laquelle votre serveur griffonne l’addition (pour deux-tiers voire la moitié de ce qu’on paierait dans une brasserie) avec un stylo à bille.
Aujourd’hui, avec l’inflation qui galope, les bouillons font un retour fracassant à Paris et dans le Grand Paris. En 2024, le chef étoilé Thierry Marx en ouvrira un entre les murs du vénérable Coq de la Maison blanche à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) avec pour slogan et manifeste « Agréable à manger, agréable à payer ».
Mais c’est à l’opposé du 93, au Petit Bouillon de Versailles (Yvelines), loin de Thierry Marx et des avenues Karl Marx, que je me pointe en ce mardi de décembre. Je n’en suis pas à ma première tentative dans ce restaurant à succès ouvert il y a un an tout près du château. J’y ai déjà donné rendez-vous à deux amis indiens qui, arrivés les premiers, m’avaient envoyé un texto : « File d’attente énorme. Nous avons trouvé un autre endroit. » Cette fois-ci, il fait un froid de gueux dans la cité royale et, le froid rétrécissant les queues comme tout le monde sait, il y a seulement quelques durs à cuire qui attendent dehors pour goûter aux poireaux vinaigrettes aux herbes (4,50 €), dévorer un jarret de porc sur son lit de choucroute (12,50 €) ou croquer dans un chou chantilly (3,50 €). « C’est bon, c’est pas cher et c’est classique », me souffle Agathe, le nez légèrement rosi par le gel. « Il y a toujours beaucoup de monde. C’est assez sympa et chaleureux. C’est aussi une raison pour laquelle les gens viennent », renchérit son amie Véronique. « Les restaurants qui proposent une cuisine traditionnelle, disons de qualité standard, mais qui ne sont pas hors de prix sont devenus rares à Paris et à Versailles », me confie pour sa part Louis, de nationalité anglaise, qui patiente lui aussi dans la file d’attente avec un ami.
Première chaîne de restaurants populaires jamais créée
À l’origine des bouillons, on trouve un boucher du nom d’Adolphe-Baptiste Duval qui ouvre un premier restaurant en 1854 aux Halles. Il cherche alors à augmenter les ventes des bas morceaux de viande qui lui restaient sur les bras. Il va donc en faire du bouillon ; bon, chaud, nourrissant, peu cher, dans le ventre de Paris. Les « bouillons » vont ensuite se développer avec une rapidité étonnante. À la fin du XIXe siècle, Paris comptait presque 250 Bouillons Duval, soit la toute première chaîne de restaurants populaires jamais créée.
À Versailles, on finit par franchir la porte. Le patron, le bouillonnant Didier Lacoste, me révélera plus tard qu’il n’est pas rare que les gens fassent connaissance dans la file d’attente et décident de partager une table. Avec Louis, on n’en est pas encore là mais il me donne une autre raison qui lui fait aimer les bouillons : « Ils sont beaux. Le Petit Bouillon de Versailles est quite nice mais à Paris on trouve de véritables splendeurs Art nouveau ! » C’est vrai. Le plus extravagant étant le Bouillon Julien, rue du Faubourg Saint-Denis (10e), où Édith Piaf retrouvait Marcel Cerdan au milieu de vitraux, de paons en mosaïque et de fresques de femmes fleuries à la Alfons Mucha.
Enfin installé, je choisis les escargots en entrée suivis d’un bœuf bourguignon. Dans un bouillon, on oublie rarement qu’on est en France. Une voisine de table, prénommée Albertine, me fait toutefois remarquer que l’on peut aussi y manger très sainement. Son parcours santé : carottes rappées (3,10 €, un prix qui sonne furieusement bouillon), cuisse de poulet à l’estragon et poêlée de légumes (10,50 €) et un morceau de cantal (3,60 €) afin de finir dans les prairies fleuries du Massif central.
« C’est une cuisine madeleine de Proust, me glisse Fanchon, une autre voisine de table. Une cuisine que les jeunes n’ont peut-être jamais faite à la maison mais des plats qu’ils mangeaient chez leurs grands-parents le dimanche et qu’ils aiment. » Des plats de grand-mère, donc. D’ailleurs, la recette de son bœuf bourguignon, le plat préféré de ses clients et de loin, Didier Lacoste l’a trouvée dans les fiches cuisine de sa bonne-maman à lui…
Infos pratiques : Le Petit Bouillon Versailles, 7, rue Colbert, Versailles. Ouvert en continu tous les jours à partir de midi sauf le lundi. Pas de réservation. Accès : gare de Versailles château–Rive gauche (RER C). Plus d’infos sur petitbouillonversailles.com
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20 décembre 2023 - Versailles