En partenariat avec la Métropole du Grand Paris
Dans quel état se trouvent aujourd’hui les rivières du Grand Paris et quels sont les grands projets de réouverture ?
Klaire Houeix : Le milieu aquatique dans le Grand Paris représente plus de 4 000 km de cours d’eau permanents. S’y ajoutent 3 500 km de cours d’eau intermittents, c’est-à-dire qui connaissent des périodes à sec durant l’année, généralement entre juillet et septembre (l’étiage). Parmi les projets et les réalisations, on peut ainsi penser à la Bièvre dont certains tronçons ont déjà été rouverts. C’est également le cas sur le Croult et le Petit Rosne. Beaucoup de structures étudient les leviers de réouverture de cours d’eaux.
Mounir Chaiblaine : Il existe une hétérogénéité en ce qui concerne l’état des rivières du Grand Paris. En effet, sur les 366 km du réseau hydrographique, il existe des linéaires busés, d’autre qualifiés « d’indéterminés » car nécessitant des investigations pour prouver le caractère de cours d’eau, enfin ceux qui s’écoulent à ciel ouvert. Une étude des potentialités de restauration des cours d’eau de la Métropole du Grand Paris doit être lancée pour l’année 2024. Elle permettra d’avoir une vue exhaustive de l’état du réseau hydrographique et de l’intérêt et la possibilité de renaturer.
Mais pourquoi ces cours d’eau ont-ils été enterrés?
Klaire Houeix : De grosses erreurs ont été faites en termes d’urbanisme en artificialisant les sols. En fait, ce mouvement date de l’avant-guerre puis de l’entre-deux guerres et s’est poursuivi sous les Trente Glorieuses. On a donc fait passer ces cours d’eau dans des canalisations, exactement comme pour des eaux usées.
Mounir Chaiblaine : L’origine du busage des cours d’eau est expliquée par l’utilisation qui était faite des rivières par le passé. Le réseau et la gestion des eaux usées (domestique et industrielle) n’étant pas développé, les rivières constituaient un exutoire naturel permettant d’évacuer ces effluents. Cette pratique impliquait de forts désagréments olfactifs et visuels, et ne permettait pas d’assurer la salubrité publique. Pour ces raisons, il a été décidé de les recouvrir et sur certains tronçons des constructions ont peu à peu pris place au-dessus de la rivière. Par exemple sur la Bièvre, le développement de l’urbanisation et de l’assainissement de la vallée a entrainé une intégration de la rivière dans le système d’assainissement de l’agglomération parisienne.
Pourquoi la réouverture de cours d’eau apparaît-elle nécessaire ?
Klaire Houeix : C’est la conjonction de plusieurs facteurs. Ces réouvertures sont, bien entendu, très mises en avant dans le cadre de l’adaptation au changement climatique. L’eau participe au rafraîchissement urbain. Elle permet aussi de lutter contre l’érosion des sols, de favoriser la biodiversité, qu’elle soit ordinaire ou patrimoniale . Une rivière en ville, c’est également un exutoire aux eaux pluviales et aux rejets domestiques. Rouvrir des cours d’eau permet de rétablir leurs capacités auto-épuratoires. On obtient finalement par la nature ce qu’on obtient aujourd’hui de façon technique. Il ne faut pas non plus oublier, et cela a été documenté scientifiquement, que les espaces de nature en ville, dont les milieux aquatiques font partie, améliorent le niveau de santé mentale des habitants.
Mounir Chaiblaine : La réouverture des rivières est justifiée par la nécessité de retrouver le fonctionnement naturel des cours d’eau ,ou du moins d’y tendre le plus possible ; nous connaissons ces dernières décennies une érosion importante de la biodiversité et la réouverture des rivières fait partie des solutions contribuant à l’inversion de cette tendance par la réintroduction et le renforcement, notamment en milieux urbain, d’une biodiversité trop peu présente. Par ailleurs cela permettra de bénéficier des services écosystémiques que les rivières en « bonne santé » offrent en termes d’adaptation au changement climatique : amélioration cadre de vie, qualité de l’eau, lutte contre ilots de chaleur… Enfin il est important de noter que ces objectifs de reconquêtes des rivières naturelles sont dirigés et légitimés par une loi européenne (Directive Cadre sur l’Eau) qui fixe à chacun des pays membres de l’Union européenne des objectifs pour la préservation et la restauration de l’état des eaux superficielles et des eaux souterraines.
Pourriez-vous préciser les liens qui existent entre ouverture de cours d’eau et restauration de la biodiversité ?
Klaire Houeix : Pour accomplir leur cycle de vie, les espèces qui vivent autour d’un cours d’eau doivent pouvoir y trouver en permanence une variété suffisante d’habitats pour répondre à leurs besoins de reproduction, de croissance, d’alimentation, de repos et d’abri. Le maintien et la régénération constante de ces habitats diversifiés sont étroitement liés au bon fonctionnement du mécanisme naturel d’érosion, de transport et de dépôt des sédiments (pierres, graviers, sables grossiers, etc.) engendré par les changements de débits entre les crues et les étiages, les changements de pente du cours d’eau, les changements de nature des berges et les changements de substrats en fond du lit de la rivière. Ce sont ces paramètres qui sont restaurés lors du passage d’un cours d’eau enterré à un cours d’eau rouvert.
Mais alors pratiquement, comment rouvre-t-on un cours d’eau ?
Klaire Houeix : A grand renfort de pelles mécaniques ! En fait, on doit débitumer, c’est-à-dire qu’on va enlever la croûte imperméable. On casse les tuyaux dans lesquels le cours d’eau était contenu. On apporte du sol composé de matières organiques et de minéraux afin de reconstituer un lit et qu’il puisse s’écouler. Il faut aussi retravailler sa forme car une rivière se déploie en méandres, elle sinue. Ces méandres sont donc à reconstituer afin de lui permettre de faire son chemin. On donne également de la matière pour l’habitat de la faune et de la flore, notamment avec du sable, des graviers, des galets. C’est ce que l’on appelle la recharge granulométrique. Enfin on ensemence, on plante des amorces végétales pour coloniser les berges.
Mounir Chaiblaine : Une réouverture de cours d’eau débute en amont de toute étude par la naissance d’une réflexion qui doit se traduire par une volonté politique. C’est un travail préliminaire primordial afin de fédérer les élus et les administrés autour du projet. Ce n’est qu’à partir de ce travail que les études de faisabilité, d’avant-projet et de projet peuvent être menées en concertation avec l’ensemble des acteurs du territoire (élus, société civile, administrés, Etat…). Ces études permettent de faire émerger des scénarios d’aménagement réaliste en fonction du contexte local. L’étape suivante consiste à établir les études de maitrise d’œuvre qui vont préciser et concevoir le scénario retenu et constituera « le mode d’emploi / mise en œuvre » pour les entreprises de travaux publics. Ainsi nous arrivons à la dernière étape, celle des travaux, l’aboutissement de toute les concertations et études. Cela dépend du contexte mais de manière générale les entreprises de travaux retenues devront principalement mener des terrassements de la zone d’emprise du projet pour recréer un lit, des berges, des méandres et finir par la reconstitution de la ripisylve.
Combien de temps cela prend-t-il?
Klaire Houeix : Ces travaux peuvent durer plusieurs années car il est nécessaire d’établir des diagnostics, d’obtenir des autorisations. La phase de concertation peut durer à elle seule parfois une dizaine d’années. Mais ensuite, cela peut aller très vite. Des linéaires de quelques centaines de mètres peuvent être rouverts en une saison.
Mounir Chaiblaine : Les durées peuvent varier en fonction de chaque projet par rapport à la complexité de la réouverture mais nous pouvons dire que de tels projets peuvent prendre en moyenne entre 5 à 7 ans. Une partie de la durée de mise en œuvre est liée aux études, aux autorisations environnementales et démarches administratives. Pour la partie opérationnelle cela peut relativement être plus rapide si le contexte s’y prête. Dans les cas ou il existe de nombreux réseaux enterrés (assainissement, gaz, électricité…) et voirie à dévoyer et/ou du foncier à maitriser, cela peut rapidement être plus complexe et donc plus long. C’est souvent le cas dans les zones très urbanisées comme dans la Métropole du Grand Paris.
Est ce que des études ou des observations confirment que la réouverture des cours d’eau a un impact sur la nature ? Voit-on, par exemple, des espèces revenir ?
Klaire Houeix : Ce qui est sûr, c’est que la recolonisation par les plantes se fait naturellement. Depuis trois ans, il existe aussi un suivi écologique mené par des experts naturalistes. Ce suivi repose sur des inventaires libres qui visent à l’exhaustivité et des suivis standardisés dans le temps par groupe taxonomique (flore, oiseaux, chauves-souris, hérisson d’Europe, reptiles, odonates…). Les résultats sont encore partiels mais de bon augure pour la suite. Dans les zones humides du Petit Rosne, vers Gonnesse, on assiste par exemple au retour de libellules de proportion équivalente à la moyenne régionale.
Mounir Chaiblaine : Evidemment ça a un impact mais la volonté est d’impacter positivement la nature en lui proposant des leviers d’amélioration (réouverture, reméandrage, reconstitution de la ripisylve…) pour lui permettre de se reconstituer et se développer et donc à terme de voir des espèces réintégrer les milieux ( exemple : oiseaux (héron cendré), population piscicole, batraciens, odonates, macro invertébrés…)
Ces réouvertures constituent-elles un vrai enjeu?
Mounir Chaiblaine : Oui ! Elles répondent même à plusieurs enjeux. Des enjeux environnementaux, comme de restaurer les fonctionnalités physiques et écologiques des milieux aquatiques, et améliorer la biodiversité et la qualité de l’eau. Des enjeux urbains, pour le ralentissement dynamique des crues, la valorisation des espaces verts, le développement des liaison douce et la contribution à la lutte contre les ilots de chaleur. Enfin des enjeux sociaux, pour une réappropriation de la culture de l’eau en ville et l’amélioration du cadre de vie des administrés.
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6 février 2024