« De loin, cela ressemble à une forteresse. » Max, d’abord, a été impressionné par Mozinor. « Son aspect extérieur, brute, et sa masse imposante, intriguent ou peuvent faire peur. J’ai même un peu flippé, la première fois que j’ai dû y pénétrer, avec son entrée qui plonge sous le bâtiment. » Ce salarié, comme tous ceux qui travaillent à Montreuil Zone Industrielle Nord, aka Mozinor, a rapidement été conquis par cet édifice qui vient de se voir décerner le label « Architecture contemporaine remarquable » par le ministère de la Culture.
Créée en 1975 par la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis), cette cité industrielle verticale, qui empile les usines et les ateliers sur cinq étages, est unique en France. « L’endroit est génial, mais on ne peut s’en rendre compte qu’une fois que l’on y a pénétré », souligne Max, qui travaille pour l’atelier du designer et créateur Erwan Boulloud, situé au deuxième étage. Dans ce vaste atelier, le plafond en béton armé trône à plus de six mètres de hauteur, offrant une grande luminosité et de larges espaces à la dizaine de salariés qui façonnent, tels des orfèvres, des meubles d’une rare beauté, croisements hybrides entre machines métalliques, pierres précieuses et formes organiques, autour desquelles tournoient des chariots élévateurs.
Monstre de béton coiffé comme Boris Johnson
Au sommet de ce monstre de béton qu’est Mozinor, le toit-terrasse offre un point de vue à 360 degrés sur le Grand Paris au milieu d’un décor singulier : une allée de tilleul et une prairie d’herbes hautes y ont été plantés, offrant ainsi à l’édifice une chevelure à la Boris Johnson. Autre trésor caché : la double rampe intérieure qui dessert les étages et permet aux 33 tonnes, aux voitures des salariés ou aux vélos de monter et descendre dans le bâtiment sans jamais se croiser à la manière de l’escalier à double révolution pensé par Léonard de Vinci pour le château de Chambord (Loir-et-Cher).
Pierre-Louis est fasciné par l’édifice. Ce cuisinier en reconversion au sein de Label Gamelle, entreprise d’insertion préparant des repas pour les centres d’hébergement avoue faire des tours et des tours quand il veut se détendre dans cette rampe hélicoïdale. Sensible à « l’expressivité brutaliste » de la façade, cet ancien architecte loue surtout « la grand
e intelligence de construction » de ce programme imaginé par Claude Le Goas, urbaniste de la ville de Montreuil de 1958 à 1990 à qui l’on doit le siège de la CGT. « Superposer les lots industriels, des usines et des ateliers sur cinq étages, relève Pierre-Louis, est dix fois plus intelligent que de multiplier des boîtes dans des zones industrielles à plat qui consomment de l’espace et des terres. »
Mozinor pourrait-elle servir de modèle contre l’artificialisation des sols ? « Le bâtiment n’est pas reproductible, car cela coûterait trop cher. En revanche, Mozinor est inspirant« , estime Isabelle Deluc Charles, directrice de développement de la Semimo, société d’économie mixte qui assure le syndic de cette copropriété et y représente la ville de Montreuil. Le site démontre « qu’une zone d’activité verticale peut fonctionner, que des entreprises de production peuvent être installées au cœur du tissu métropolitain et pas dans des zones d’activités horizontales situées en zone périurbaine très lointaine. Il faut réfléchir à des formes modernes de Mozinor.«
Une utopie du siècle dernier en phase avec le siècle nouveau
Citadelle bâtie à l’ère industrielle, Mozinor est en phase avec les enjeux contemporains. « Le rooftop, la terrasse avec son jardin planté et son restaurant auraient pu être conçu aujourd’hui, abonde Daria Horsch, architecte urbaniste au service Etudes et développement urbain de la ville de Montreuil. L’idée de maintenir une activité productrice en zone urbaine dense est une idée qui préoccupe énormément aujourd’hui tous ceux qui pensent la ville. » En cherchant à créer une communauté de travailleurs en rapprochant les entreprises ou en créant des services partagés, telle que la terrasse plantée, cette copropriété industrielle, baignée d’utopie communiste, pourrait constituer, cinquante ans après sa création, un remède à l’atomisation des salariés au XXIe siècle. La conception du site a aussi des vertus économiques : la proximité des locaux favorise les échanges entre les entreprises et leurs salariés.
Avec ses surfaces modulables et adaptables en fonction des besoins ou de la croissance des entreprises qui y sont implantées, ce bâtiment est aussi un modèle de réversibilité. Ce n’est pas un hasard si Mozinor a été cité par l’architecte néerlandais Rem Koolhas à la biennale d’architecture de Venise et figure régulièrement dans des travaux de prospectives ou de benchmarking de professionnels de la fabrique de la ville.
Entre ses murs aussi, Mozinor connaît « un vrai renouveau« , souligne Gaylord Le Chequer, premier adjoint au maire de Montreuil chargé de l’urbanisme. Créé à l’origine pour freiner la désindustrialisation, Mozinor a eu le malheur d’être inauguré peu après le premier choc pétrolier en 1975 et « a pris de plein fouet la crise industrielle« . « On avait peine à trouver des locataires, donc on s’est retrouvé avec des activités à valeurs ajoutées plus limitées, avec des entrepôts et des activités de stockages. Depuis 2010, l’attractivité a été renforcée grâce à la qualité intrinsèque du bâtiment et au travail de remise en état effectué par les copropriétaires, la Semimo et la ville de Montreuil qui a soutenu la mise en valeur du site.«
Après avoir connu une forte vacance – ce qui permit au passage au site d’accueillir, dans les années 1990, des raves party devenues légendaires – Mozinor fait aujourd’hui le plein avec une cinquantaine d’entreprises installées, employant près de 500 salariés répartis sur les 42 000 m2 du site. Cet écrin industriel est en passe de devenir une place forte de la transition sociale et écologique, et pas uniquement en raison de son toit végétalisé ou de sa faible emprise foncière. Outre la présence de créateurs réputés, à l’image du designer Erwan Boulloud ou de Carrafont, entreprise de création de prototypes et de maquettes ayant de nombreux clients dans le luxe, le site accueille les cuisines de Label Gamelle ainsi que le centre logistique de Kelbongoo, qui organise la livraison de produits locaux et paysans en circuit-court à Paris et en Seine-Saint-Denis. Est aussi annoncée, dans quelques semaines, l’arrivée d’une entreprise spécialisée dans le recyclage de décors de cinéma…
« Il y a une grande richesse à l’intérieur de Mozinor, mais qui ne se voit pas. Notre but, aujourd’hui, c’est de permettre aux Montreuillois et aux habitants d’Est ensemble de découvrir l’ensemble de ces savoir-faire ainsi que des métiers qui ont une véritable plus-value« , rapporte Gaylord Le Chequer. La fête prévue le 9 juillet (qui affiche déjà complet) annonce d’autres ouvertures au public à la rentrée, lors des Journées de l’architecture ou des Journées du patrimoine. Avec l’arrivée du tram, sur l’ancienne bretelle de l’A86, aujourd’hui détruite, le site pourrait même devenir « une vraie locomotive pour le développement du Haut Montreuil. »
Infos pratiques : Mozinor, 2-20 avenue du Président Salvador Allende, 93100 Montreuil (93). Plus d’infos sur decouvrezmozinor.fr
Lire aussi : La gare de demain est une crèche comme les autres
Lire aussi : 2010-2020, retour sur les 10 ans de la friche du 6b à Saint-Denis
Lire aussi : Les tiers-lieux sont déjà le monde d’après
12 août 2021 - Montreuil