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Même en amour, le périph constitue une barrière

Le kilomètre25 sous le périphérique à côté de la Porte de la Villette redémarre le 5 mai / © Kilomètre25
L’open air Kilomètre25 sous le périphérique à côté de la Porte de la Villette / © Kilomètre25

Comment s’aime-t-on dans le Grand Paris et ailleurs en France ? Dans son essai-enquête « Foules sentimentales », la journaliste Pauline Machado met en lumière la façon dont la ville impacte l’amour. Ce qu'elle a dévoilé à Enlarge your Paris.

Vous mentionnez dans votre essai une étude de l’IFOP de 2018 qui révèle qu’une Parisienne sur trois ne pourrait pas sortir avec un habitant de Seine-Saint-Denis. Comment l’expliquez-vous ?

Pauline Machado : Il y a une stigmatisation évidente et décomplexée des personnes vivant en banlieue. Une jeune femme me confiait justement que, en arrivant à Paris pour faire ses études, elle avait ressenti une catégorisation, un étiquetage péjoratif parce qu’elle venait de l’autre côté du périph. Beaucoup m’ont dit qu’il persistait un « monde » entre Paris et les banlieues dans un contexte pourtant de grande proximité géographique.

Prend-on le temps d’aimer à Paris ou sommes-nous au contraire dans une consommation effrénée des rencontres ?

On manque de temps à Paris et dans les capitales en général. Parce qu’on travaille plus tard qu’ailleurs, que l’on passe plus de temps dans les transports et que les divertissements sont plus nombreux. Tout s’enchaîne à une vitesse folle. Ce culte de la rapidité se retrouve effectivement dans les rencontres. À cela s’ajoute un réflexe d’hyperconsommation propre aux grandes villes qui contribue à ce qu’on appelle l’« ubérisation » de l’amour : on veut tout avoir, tout de suite, et surtout être satisfait immédiatement. Pourtant, je crois que le temps est indispensable à ce que l’amour s’installe et grandisse.

Comment les rencontres s’effectuent-elles à Paris ? On pourrait s’attendre à ce que l’amour y soit plus facile à trouver, or les chiffres montrent que 44 % des Parisiens et des Parisiennes étaient célibataires en 2017 selon l’Insee…

Je ne veux pas être complètement pessimiste, on peut aussi trouver l’amour et être très heureux à Paris ou dans les grandes villes ! S’il y a davantage de célibataires à Paris, c’est parce qu’il est plus simple de s’affranchir de l’injonction du couple quand l’anonymat permet d’être seul, librement et sans jugement. On remarque aussi que les rencontres s’effectuent de plus en plus en ligne et moins en face-à-face, malgré un nombre de lieux de sortie considérable (8 600 bars à Paris au sortir du covid, Ndlr). Surtout, il y a quelque chose de plus combatif à s’aimer en ville. Pour revoir quelqu’un, il faut le vouloir ; il est rare de tomber dessus au café du coin ou à une soirée entre potes. Il faut aussi avoir envie de prendre le temps de se connaître et ne pas succomber à la tentation de « trouver mieux » au coin de la rue.

Paris n’est-elle pas victime de son image d’Épinal de ville de l’amour ? Et, de ce fait, les attentes ne pâtissent-elles pas de cette vision glamourisée ?

Tout à fait, mais surtout pour celles et ceux qui débarquent à Paris en ayant grandi ailleurs. Les Parisiens n’ont pas ce regard romantique et romantisé de leur ville, ou beaucoup moins. Les autres perçoivent Paris comme la ville de l’amour où les rencontres seront forcément multiples et concluantes. On tombe bien souvent de haut. C’est pour ça qu’il est important de ne pas uniquement considérer le cadre romantique qu’offre Paris comme une expérience à vivre absolument en couple.

Et dans les quartiers, comment s’aime-t-on ?

Les personnes concernées parlent notamment du poids de la réputation avec une menace de la « mauvaise réputation ». Cette dernière, qui a des accents particulièrement sexistes puisqu’elle cible surtout les jeunes filles et femmes, va encourager ou forcer à cacher ses amours et ses relations intimes. Ce phénomène prend aussi son ampleur du fait de l’absence d’anonymat de ces espaces, comme dans les villages ou les petites villes ailleurs en France.

Infos pratiques : Foules sentimentales, comment la ville impacte l’amour. Pauline Machado. Éd. Les Pérégrines. 19 €. Plus d’infos sur editionslesperegrines.fr

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