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« L’Île-de-France est le plus important vivier de footballeurs professionnels au monde »

Le stade Yves-du-Manoir à Colombes a accueilli la première finale des championnats du monde de foot à l'occasion des JO de Paris en 1924 / © Rémi Belot pour Enlarge your Paris
Une rencontre du Racing Club de France au stade Yves-du-Manoir à Colombes / © Rémi Belot pour Enlarge your Paris

Kylian Mbappé, William Saliba, Adrien Rabiot, N'Golo Kanté… Autant de cadres de l'équipe de France de foot ayant fait leurs classes en Île-de-France, région d'où sort le plus grand nombre de footballeurs professionnels dans le monde. Un phénomène sur lequel a enquêté So Foot et dont nous parle Lucas Duvernet-Coppola alors que les Bleus affrontent les Portugais ce 5 juillet pour une place en demi-finale de l'Euro.

Vous avez consacré récemment un numéro de So Foot à Paris et la banlieue. On y apprend que la région parisienne est devenue celle qui forme le plus de footballeurs professionnels dans le monde…

Lucas Duvernet-Coppola : Oui, si on se concentre sur les 5 grands championnats européens, 10 % des footballeurs professionnels qui y évoluent viennent d’Île-de-France ! C’est énorme. Par exemple, c’est la région la plus représentée à la Coupe d’Afrique des Nations et à l’Euro. On voit aussi que l’équipe de France est constituée d’une majorité de joueurs franciliens. L’un des meilleurs joueurs du monde (Kylian Mbappé, Ndlr) vient d’ailleurs de Seine-Saint-Denis ! Depuis quelques années, le plus important vivier de footballeurs professionnels n’est plus la région de São Paulo au Brésil, qui nous a tant fascinés, mais bien Paris et sa région. C’est cette constatation qui m’a donné l’idée de ce numéro spécial.

Comment cette montée en puissance s’est-elle opérée ?

C’est multifactoriel en réalité. Pour comprendre, il faut regarder dans le rétroviseur. D’abord, il y a l’arrivée de populations immigrées pour répondre aux besoins de main-d’œuvre de la région parisienne. Elles se concentrent dans les périphéries alors que le foot est depuis longtemps le sport le plus populaire. Pendant la campagne présidentielle de 1981, une partie des candidats de gauche commencent à voir les banlieues comme un territoire où se cristallisent chômage de masse et montée de l’insécurité. Les problèmes de la jeunesse deviennent une préoccupation majeure et le sport est considéré comme un ciment. Cela va aboutir au plan J-sports en 1991 qui donne lieu à la réalisation de 1 000 équipements sportifs de proximité, notamment des « city stades ». Avant cela, on jouait au foot en bas de chez soi. En 1998, la victoire de la France à la Coupe du monde de foot est l’étincelle qui a donné aux jeunes des quartiers l’envie de réussir. La fameuse France « Blacks-Blancs-Beurs » naît. Il y a alors 1 200 clubs en Île-de-France pour 1 268 communes et la quasi-totalité des clubs pratiquent des prix abordables. À ce moment-là, la FFF comprend qu’elle a de l’or entre les mains. Comme le niveau des joueurs grimpe, les entraîneurs deviennent aussi meilleurs. Avant 1998, l’équipe des poussins pouvait être entraînée par un père de famille car il n’y avait personne d’autre. Aujourd’hui, il y a tellement d’enfants qui veulent faire du foot que les clubs se sont réorganisés. L’entraîneur des plus petits est déjà très fort. Un nivellement par le haut s’est produit.

Le football dit-il beaucoup de l’histoire des banlieues ?

Oui, c’est notamment le sujet du papier de Cherif Ghemmour intitulé « De Kenzy à Kyky », qui traite de la manière dont le rap puis le foot « made in banlieue » ont permis à toute une génération de relever la tête et de monétiser ses talents. D’un côté, on peut se réjouir de la fierté retrouvée, du côté ascenseur social, mais on peut aussi voir l’aspect moins joyeux de cette histoire qui symbolise l’ouverture à l’ultralibéralisme, quelque chose de calqué sur le modèle américain. C’est ce que dit Stanislas Frenkiel, historien à l’université d’Artois : « Derrière l’aspect positif des banlieues qui se sont prises en main, il y a l’échec des idéaux de gauche qui n’ont pas porté leurs promesses d’émancipation sociale. » Qu’un gamin de cité rêve de devenir footballeur, rappeur ou influenceur plutôt que de faire de bonnes études dit beaucoup politiquement de ce qui se passe dans ces territoires. Il ne s’agit pas de dire que c’est bien ou non. Nous ne faisons que constater.

 
 
 
 
 
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Comment décryptez-vous l’image de Kylian Mbappé ?

Parce qu’il vient de Seine-Saint-Denis, il jouit d’une « street credibility ». En réalité, il est loin de la carte postale de l’enfant des cités. Si on ne creuse pas, on voit juste le gamin de Bondy né d’un père camerounais et d’une mère algérienne qui est devenu pro et qui gagne aujourd’hui des millions. Mais c’est oublier qu’il est le fils de deux sportifs qui l’ont beaucoup entouré et qu’il n’a pas grandi dans une grosse cité. Mbappé est un personnage rafraîchissant par certains côtés : il ne baisse jamais la tête et demande beaucoup d’argent car il est conscient de sa valeur. Si le foot est devenu un moyen de s’en sortir, c’est aussi peut-être que beaucoup de promesses n’ont pas été tenues. Cela montre l’échec de certains idéaux, l’effritement des liens sociaux aussi. On peut se demander si le city stade n’a pas remplacé la place du village…

Quel impact le foot a-t-il eu sur l’image que l’on se fait des banlieues ?

La banlieue, je ne vais pas vous l’apprendre, revêt de nombreux visages. Si on parle du 93, c’est indéniable que le foot a changé l’image du territoire. Mais notre préoccupation était de raconter l’Île-de-France dans sa globalité et sa complexité, en sortant des cités et des grands ensembles.

Vous vous êtes intéressé aux stades des portes de Paris. Pour quelle raison ?

J’ai grandi moi-même non loin d’une porte à Paris. Je n’ai pas oublié à quel point ce sont des lieux de mélange extraordinaires. C’est le cas par exemple du stade de la porte d’Asnières. On y croise les enfants des familles bourgeoises des villes aisées des alentours qui jouent avec des gamins des cités du 17arrondissement, et cela seulement à quelques minutes à pied de l’Arc de triomphe. Souvent, beaucoup de gens ont tendance à croire que Paris est un peu Disneyland. En réalité, on y trouve beaucoup de HLM. Les stades des portes étaient pour nous une bonne occasion de raconter un Paris peu connu. Et le stade de la porte d’Orléans (14e) est bien différent de celui de la porte de Montreuil (20e), lui-même bien différent de celui de la porte de Charenton (12e) ! Ces lieux racontent beaucoup de la ville et de la région : entre les gardiens qui travaillent là depuis toujours, les mômes qui se fument un joint loin de la rue ou les filles d’un club antifasciste qui viennent jouer au foot, cela brosse un portrait en creux du territoire.

Finalement, Paris est-il vraiment magique ?

Oui, avec ou sans le foot, Paris et l’Île-de-France sont magiques ! Je trouve cette région fascinante. De nombreuses cultures s’y brassent, s’amalgament avec plus ou moins de succès. Le foot permet de rendre compte de cette diversité entre le stade Vidal de Montfermeil, le Centre national du football de Clairefontaine ou encore les stades des portes de Paris. Le foot aide réellement à comprendre cette région.

Infos pratiques : « Comment Paris et sa banlieue sont devenus le premier producteur mondial de footballeurs », So Foot n° 216, mai 2024. 4,90 € en kiosque, 2,90 € en téléchargement sur abonnement.sopress.net

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