Cet entretien est extrait du dernier numéro de Paris Projet, « La ville essentielle. Quels changements attendons-nous de la crise de 2020 ? Quelle ville essentielle ? » dans la section « La ville habitée. La crise aura-t-elle un impact durable sur les attentes des ménages concernant leur logement ? » coordonnée par l’urbaniste Stéphanie Jankel. La revue Paris Projet à laquelle a contribué Enlarge your Paris est éditée par l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) .
Pourquoi avoir lancé la réflexion sur le concept de logement à temps partiel ?
Antoine Maitre : Avec le confinement et le développement du télétravail, la question du cadre de vie est devenue un sujet majeur et a conduit beaucoup de gens à quitter la région parisienne, ou au moins à l’envisager, sans pour autant changer de travail. Pour le moment, on ne connaît pas l’ampleur du phénomène. Raison pour laquelle le PUCA (Plan urbanisme construction architecture) a initié une consultation sur ces migrations post-Covid. L’étude est en cours, mais on sait déjà que lorsqu’ils viennent à Paris pour travailler, ces ex–Parisiens vont dormir chez des amis, dans leur famille, à l’hôtel ou bien dans un appartement loué sur Airbnb. C’est une logistique complexe et pesante pour beaucoup, ce qui nous a donné l’idée d’imaginer une typologie de logement plus flexible. D’où notre proposition de « logement à temps partiel», un concept sur lequel nous avons commencé de travailler en 2020 grâce au soutien de « FAIRE Paris », un accélérateur d’idées lancé par le Pavillon de l’Arsenal. Comme pour l’autopartage, on met l’accent ici sur l’usage et non plus sur la propriété.
Catherine Sabbah : L’objectif est bien ici de proposer des logements accessibles au plus grand nombre. Dans ce secteur, les innovations ne répondent paradoxalement pas toujours à des demandes qui sont peu ou pas identifiées. Ce sont ces besoins que nous avons voulu cerner via un questionnaire portant sur différents thèmes comme le coût, le confort recherché, les modalités d’usage… L’enquête en ligne entre avril et mai 2021 a réuni quelque 600 répondants, soit un petit échantillon que nous avons complété par des interviews qui montrent l’intérêt porté à cette innovation de logement à temps partiel.
Antoine Maitre : En parallèle de cette étude, nous avons également travaillé avec le Lab Cheuvreux à l’écriture d’un nouveau type de bail afin d’offrir un cadre juridique à ce nouveau mode d’occupation des logements. Il sera mis à la disposition de tous ceux qui le souhaitent.
Concrètement, comment fonctionne le logement à temps partiel et quelle est la différence avec le coliving?
Catherine Sabbah : Le logement à temps partiel permet de partager l’occupation d’un logement dans le temps et non plus seulement dans l’espace. Ce n’est plus, chacun sa chambre, mais chacun son jour… ou plutôt sa nuit. L’usage du bien est réparti par nuitée entre les différents locataires qui signent un bail pour une durée de six mois ou d’un an et s’engagent à être présents, qui chaque lundi, qui chaque mercredi et jeudi, qui le troisième week-end du mois. Même lorsqu’ils ne viennent pas, les utilisateurs paient leur «loyer» ce qui représente une garantie pour le loueur. Majma a imaginé cette solution comme une offre plus économique que le coliving, une solution qui propose plus de services mais atteint des budgets hors de portée pour beaucoup.
Quels sont les principaux enseignements de l’étude que vous avez menée ?
Jean Vannière : On voit que cette solution de logement à temps partiel est plébiscitée par les CSP+, qui constituent 86 % des répondants. Il s’agit aussi bien de jeunes cadres, dont les revenus sont insuffisants pour vivre à Paris, que de cadres plus seniors qui disent avoir quitté Paris pour des raisons familiales et dans le but de sortir du métro-boulot-dodo. Beaucoup sont installés dans une grande métropole comme Nantes ou Lyon, mais ils sont également un nombre significatif à vivre à la campagne. Cette population est prête à payer entre 40 € et 60 € par nuitée, sachant qu’à Paris la moyenne pour une chambre d’hôtel est de 145 € et de 130 € pour un Airbnb. Le sondage fait apparaître une très forte proportion de gens qui veulent venir entre le lundi et le jeudi, mais certaines demandes concernent le week-end.
Quels sont les équipements plébiscités dans le logement à temps partiel ?
Jean Vannière : Hormis le lit, sept équipements reviennent systématiquement : le réfrigérateur, une table avec des chaises, Internet haut débit, des plaques de cuisson, des espaces de rangement, une machine à laver, un micro-ondes et une cafetière. À noter que les plus de 40 ans sont plus nombreux à désirer un plan de travail séparé de la table de cuisine ainsi qu’un bon fauteuil.
Catherine Sabbah : S’agissant des rangements, deux possibilités étaient proposées dans le sondage: soit un espace sécurisé au sein d’un appartement attitré soit un casier que l’on récupère à l’arrivée, dans une conciergerie ou avec une simple clef, et que l’on emporte dans son logement. L’analogie serait celle du flex-office. Le logement à temps partiel contient bien l’idée de retrouver un «chez soi » plus intime que lorsque l’on habite chez quelqu’un parce que l’on peut y arriver quand on veut, s’y comporter comme l’on veut. C’est une solution plus personnalisable que l’hôtel parce que l’on y retrouve ses affaires, plus convivial aussi car on peut y croiser régulièrement les mêmes personnes.
La gestion du planning est l’un des éléments clés. Comment l’imaginez-vous ?
Antoine Maitre : Si ce sont des personnes qui se connaissent, elles auront peut-être envie de s’organiser entre elles, seules. Si l’on parvient à industrialiser le modèle, il semble nécessaire de mettre en place une plateforme de réservation qui sera gérée par un exploitant professionnel. L’idée toutefois est bien de proposer des lieux qui ne soient ni des hôtels, ni des coliving, ni des Airbnb et qui reposent sur le modèle d’un loyer mensuel. Les modèles peuvent se rejoindre. Je ne serais d’ailleurs pas surpris de voir des hôteliers faire de nouvelles offres un peu similaires dans les prochaines années. Nous en avons rencontré qui nous ont dit avoir des demandes de grosses entreprises en quête de lieux où leurs cadres pourraient dormir et laisser leurs affaires entre deux séjours.
Comment voyez-vous la suite ?
Catherine Sabbah : Avant la crise, nous n’aurions sans doute pas eu les mêmes réponses. Ce genre de proposition aurait séduit des personnes habituées au nomadisme, soit des cadres « portables et valises à roulettes », soit des professions plus créatives et plus indépendantes. Grâce au télétravail, le logement à temps partiel est maintenant susceptible de concerner des métiers plus classiques. Ce qu’il faut à présent, c’est trouver le modèle économique de ce produit pour que chacun y trouve son compte.
Infos pratiques : Le Paris Projet #46 « La Ville essentielle. Quels changements attendons-nous de la crise de 2020 ? Quelle ville essentielle ? » est téléchargeable sur apur.org au format numérique
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27 janvier 2022