Chose rare pour un chantier de métro, le Grand Paris Express s'est doté d’une direction artistique incarnée par Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo, et José-Manuel Gonçalvès, directeur du Centquatre. Nous les avons rencontrés avant « KM1 », la grande fête qu'ils ont préparée pour le lancement officiel des travaux samedi 4 juin à Clamart (92) .
Selon les chiffres de l’Arcadi, structure de soutien à la création artistique en Île-de-France, on compte 1200 lieux de diffusion du spectacle vivant en région parisienne, 400 à Paris et 800 en banlieue. Pourtant, l’attention continue de se porter sur Paris intra-muros. Quel regard portez-vous sur le sujet ?
José-Manuel Gonçalvès : Aujourd’hui, on n’associe pas le même imaginaire à Paris et à la banlieue. Ce n’est pourtant pas lié à un manque de propositions artistiques de l’autre côté du périphérique. L’un des enjeux du métro du Grand Paris express est de les rendre davantage visibles.
Jérôme Sans : Beaucoup d’artistes et de créatifs sont désormais installés autour de Paris car la capitale est devenue difficilement accessible pour eux. Aujourd’hui, ne s’intéresser qu’à Paris, c’est être figé dans le monde d’hier. On peut d’ailleurs dresser un parallèle avec New York. Il y a 20 ans, toute l’attention se focalisait encore sur Manhattan, au détriment de Brooklyn, du Queens, du Bronx et de Harlem. Ce serait impensable à l’heure actuelle. A Paris, il nous faut sortir des schémas du passé afin d’imaginer une métropole capable de rivaliser avec Londres, Tokyo ou Pékin. Les territoires autour de Paris sont déjà incroyablement riches en lieux culturels. D’ailleurs, selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme et de la DRAC d’Île de France, plus de 270 lieux culturels ont été répertoriés aux abords des 68 futures gares du Grand Paris Express. Le Grand Paris Express permettra de les relier et d’en souligner les singularités.
Dans une étude récente, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France relève que la plupart des grandes métropoles font face à une saturation des musées et des lieux culturels dans leur hypercentre. Qu’en pensez-vous ?
José-Manuel Gonçalvès : Il est évident que l’hypercentre ne pourra plus répondre à terme à toutes les demandes. De nombreux lieux dans Paris affichent déjà constamment complet. Il y a donc besoin de construire de nouveaux itinéraires et de les rendre visibles. Ces itinéraires vont être rendus cohérents entre autres grâce au transport. La boucle du Grand Paris Express va dessiner un chemin de l’art qui mêlera des lieux et des artistes déjà présents, et d’autres appelés à émerger. Ce sera comme un gigantesque musée d’un genre nouveau. On passera d’un lieu à un autre comme d’une salle à une autre en 7 minutes grâce au métro. D’une certaine manière, le Grand Paris va rendre service à Paris en élargissant la vision que l’on a de l’offre disponible. Ceci ne fera que renforcer le statut du Grand Paris comme capitale des arts dans le monde.
Jérôme Sans : Je ne partage pas l’idée d’une saturation des lieux culturels dans Paris car ils sont tous différents. Il ne s’agit pas de dupliquer en banlieue ce qui existe déjà intra-muros mais d’inventer de nouvelles propositions et de nouveaux modèles culturels adaptés aux mode de vie du XXIème siècle ainsi qu’aux nouvelles manière de faire. Ce sera le cas notamment avec la Cité de la gastronomie à Rungis et la Villa Médicis à Clichy-Montfermeil. De nouveaux formats culturels, qui manquaient jusque-là sur l’échiquier de la création en France, vont naître grâce au Grand Paris. Car Paris est devenu un décor de théâtre sur lequel très peu de choses peuvent bouger. Aujourd’hui, c’est dans la périphérie de Paris que la ville bouge. C’est là que s’écrit le Paris d’aujourd’hui et de demain.
José-Manuel Gonçalvès, vous avez été à la tête d’un centre culturel aux Ulis et de la Ferme du Buisson à Noisiel. Existe-t-il des spécificités propres aux lieux culturels de banlieue ?
José-Manuel Gonçalvès : Le rapport au public est très différent. A Paris, celui qui construit la relation avec le public, c’est davantage l’artiste que le lieu d’accueil. Tout le contraire de ce qui se passe en banlieue où l’effort est porté avant tout par les lieux grâce à une politique de médiation. Quand vous ne disposez pas des espaces pour communiquer, notamment dans les médias, la solution est d’entretenir un lien de confiance avec le public. C’est ainsi que la Ferme du Buisson est parvenue à des audiences dix fois supérieures à la population locale.
Jérôme Sans : C’est lorsqu’une salle gagne la confiance d’un public qu’elle témoigne d’une programmation culturelle pertinente. Il n’y a qu’à penser aux salles de cinéma d’autrefois où le programmateur, passionné par l’histoire du cinéma, vous mettait en perspective le film que vous alliez voir. C’est cela une vraie direction artistique. Donner envie aux gens d’aller dans un endroit pour vivre une expérience unique, singulière.
A ce titre, quelle est la raison d’être de la direction artistique de la Société du Grand Paris ?
Jérôme Sans : Notre rôle commence dès la phase des chantiers et consiste à les accompagner jusqu’à l’émergence des gares, à faire vivre leur évolution pour faciliter leur appropriation. De faire de ces zone de nuisances, généralement fermées, des endroits « ouverts » où il peut se passer des choses, comme sur une place publique. Les réinscrire dans le tissu urbain pour mieux envisager l’avenir et ses nouvelles configurations.
José-Manuel Gonçalvès : C’est pendant le temps du chantier que va commencer de se construire un imaginaire de la métropole du Grand Paris. Il est donc important que ce ne soit pas qu’un moment subi. Certes, on ne va pas pouvoir chercher à cacher les nuisances en demandant aux artistes de se transformer en palissades et de venir avec des filets à poussière. En revanche, nous allons donner à voir, par le biais d’interventions artistiques, l’évolution du paysage et de l’environnement avec l’arrivée des gares.
Que va-t-il se passer le 4 juin avec l’événement « KM1 » sur le site de la future gare de Clamart – Fort d’Issy – Vanves – Malakoff ?
Jérôme Sans : Nous allons faire du premier geste de génie civil du Grand Paris Express un moment festif, concerté et participatif avec les acteurs de ces territoires et de nombreux artistes. Le kilomètre un de la ligne 15 Sud constitue le début d’une nouvelle histoire qui va s’écrire collectivement, celle de la métropole du Grand Paris. Il s’agit d’un moment important qui doit contribuer à mettre fin au flou qui règne autour du projet métropolitain.
José-Manuel Gonçalvès : Nous n’avons pas voulu organiser quelque chose de tape à l’œil. L’idée est avant tout de pouvoir tous se rassembler pour manger, écouter de la musique et voir des artistes à l’œuvre. C’est une façon pour le public de mettre le pied dans le chantier et de s’approprier un site qui va devenir un nouveau centre commun à Issy, Vanves, Malakoff et Clamart. On veut créer une ambiance de place de village, dans un esprit populaire revisité avec une grande table commune où l’on dégustera des mets préparés par le chef Thierry Marx, la plasticienne Martine Camillieri ou encore la designer culinaire Julie Rothnann.
Jérôme Sans : Parmi les artistes qui interviendront, nous avons fait appel au collectif danois SUPERFLEX, reconnu internationalement pour leur processus artistique de co-construction avec les acteurs des territoires et les habitants. Habitués à travailler sur les liaisons urbaines, sociales, historiques et culturelles, ces artistes ont notamment collaboré avec l’architecte de la future gare, Philippe Gazeau. Suite à la découverte de dessins réalisés par une enfant sur les murs d’une maison qui allait être démolie dans le cadre du chantier, ils ont conçu un projet inspiré d’Alice aux pays des merveilles. Une manière de symboliser ce passage d’un monde à un autre que constituent les travaux du Grand Paris Express. Avec Philippe Gazeau, ils ont imaginé un pavillon/chaise/belvédère qui permettra de voir le chantier d’en haut. Ils ont aussi développé toutes sortes d’objets de différentes échelles (mobilier urbain, trous de serrures dans les palissades donnant à voir le chantier, etc.), ainsi qu’un système d’orientation sporadique tout autour du chantier et issu de la maison de la petite Alice. Leur approche est emblématique de ce qui va se développer de manière pérenne dans les gares du Grand Paris Express. L’objectif n’est pas ici de poser des œuvres qui n’auraient pas de lien avec les lieux mais plutôt d’écrire à chaque fois un récit en co-construction avec les habitants et les acteurs du territoire. Faire émerger dans la durée un patrimoine de la métropole qui soit multiscalaire.
Coulisses – Le Grand Paris : un lancement en fête – 2016/05/31
La culture aura-t-elle toujours sa place dans les gares du Grand Paris express lorsque le chantier sera terminé ?
José-Manuel Gonçalvès : Les gares sont devenues aujourd’hui des endroits où viennent s’agréger différentes fonctions. Demain, elles seront davantage encore des centres urbains où l’art et la culture auront tout naturellement leur place.
« KM1 », la fête de lancement des travaux de la ligne 15 sud du Grand Paris Express, se déroulera samedi 4 juin de 14h à minuit au pied de la gare de Clamart (92). Au programme performances artistiques, balades urbaines, repas de chantier et bal pop. Accès libre. Toutes les infos sont à retrouver sur www.societedugrandparis.fr
2 juin 2016