Ce reportage s’inscrit dans une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes le long de la ligne 14 du Grand Paris Express réalisée en partenariat avec la Société des Grand Projets
Lorsqu’il évoque sa discipline, le visage de Stéphane Simonin, directeur général de l’Académie Fratellini à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’une des meilleures écoles de cirque au monde, rayonne d’une énergie brûlante. Sous les traits du quinquagénaire, dans son discours soudain animé, surgit l’enfant de Besançon (Doubs), né dans une famille de médecins, béat d’amour, pétrifié d’émotions, devant les créations monumentales de Royal de Luxe ou La Volière Dromesko, troupe sublime d’oiseaux et d’humains, chocs de poésie intense et utopies bouleversantes qui décidèrent de sa vocation.
« Ce que j’aime dans le cirque, c’est ce public qui se fait face sous le chapiteau, arène d’un soir ; ce public qui rit, frissonne et soupire d’un même cœur, parce qu’il connaît les enjeux du corps, les prouesses et les dangers encourus, s’enthousiasme-t-il. J’aime sa sincérité. On ne triche pas avec la voltige. J’aime sa générosité, la mise à nu de ces artistes, prompts à se remettre en cause à chaque spectacle, pour conquérir le public. Du cirque, j’aime enfin le côté populaire au sens noble du terme, loin d’un élitisme galvaudé, où nul ne se sent exclu. »
Au service des artistes
Dans ce grand barnum, lui se veut « au service des artistes », l’homme de l’ombre avant le lever du rideau (rouge). Gestionnaire de formation, Stéphane Simonin travaille au départ comme administrateur du Salmanazar, théâtre d’Épernay (Seine-Saint-Denis), avant d’intégrer Hors les Murs, centre national de ressources des arts de la rue, comme chargé de mission puis comme directeur, pendant neuf ans. Et le voici depuis 2012 à Saint-Denis, évoluant comme un poisson dans l’eau, saluant chaleureusement chaque étudiant qui passe, veillant au bon déroulé des répétitions, orchestrées par la directrice pédagogique Valérie Fratellini, fille de la mythique Annie, disparue en 1997.
Aujourd’hui, nous sommes pourtant à mille lieues des paillettes et de la magie à venir. Car pour l’instant, l’antre Fratellini, vaste chantier truffé d’Algecos, apparaît comme un champ de boue, de bric et de broc. Mais le sublime reste à venir, après des travaux de 15 millions d’euros. Les bâtiments provisoires laisseront place à des structures pérennes de toute beauté, dont le grand chapiteau de 1 600 places, enfin rénové.
En 2003, l’installation – temporaire au départ – de cette première école de cirque pour tous en France, en rupture avec les grandes dynasties familiales, sur le territoire de Saint-Denis, tenait du pari un peu fou. Pourtant, Stéphane Simonin l’affirme haut et fort : « Je ne conçois plus ce projet sans son environnement, sans cette « ville-monde », ce concentré de jeunesses, ce laboratoire de la France de demain, qui cumule tant de richesses. Le cirque contemporain, hyper-poreux, se nourrit de la société ; et ici les sources d’inspiration et les partenariats se révèlent multiples. Fratellini s’inspire du parkour, du hip-hop, des arts urbains, travaille avec le Pôle Sup’93… Et à l’inverse, le cirque reste un formidable vecteur d’émancipation sociale, de poésie dans des quotidiens parfois difficiles. »
Force est de le constater. Il y avait jusqu’alors ce handicap dû la position géographique de la structure, à deux pas du RER D, fréquenté par un public originaire de Plaine Commune à 70 %, comme l’assume Stéphane Simonin : « Nous sommes ici à la périphérie de Saint-Denis, une sorte de zone « trait d’union » entre Paris et le 93, dans un quartier d’affaires et de bureaux, sans beaucoup d’habitations, avec des salariés qui désertent le soir. Et notre chapiteau était, je dois désormais le reconnaître, un peu surdimensionné pour cette situation. »
Une vraie révolution
Mais l’arrivée de la ligne 14 du métro et la gare de Saint-Denis – Pleyel, à 8 minutes à pied grâce à la passerelle, devraient durablement changer la donne, pour le plus grand bonheur des étudiants, des salariés et des usagers de l’école « amateur » de l’Académie Fratellini. « Le métro vient toujours anéantir cette barrière symbolique du périph pour les spectateurs, et la 14 permet déjà d’éviter un changement compliqué à Gare du Nord. Et puis désormais nous sommes sur la ligne directe depuis Orly. Ce qui permettra d’accueillir avec la plus grande aisance, par exemple en avril prochain, les 60 directrices et directeurs de la FEDEC (Fédération française des écoles de cirque), dont je suis président, insiste Stéphane Simonin. À terme également, les lignes 15,16 et 17 nous connecteront facilement avec des structures partenaires comme l’École du cirque de Rosny. Enfin, la reconversion du village olympique va créer 4 500 nouveaux logements. Soit de potentiels nouveaux spectateurs et une population plus mixte… Une vraie révolution pour nous ! »
Pour fêter comme il se doit l’avènement de cette ligne 14, l’Académie Fratellini prévoit d’ailleurs dès octobre 2025, dans le quartier Pleyel, des projets avec le collectif de mât chinois Sous le manteau, de l’autre côté de la passerelle. Une manière bien à eux d’accueillir leurs nouveaux voisins, et de célébrer cette transformation urbaine, ainsi que la naissance de ce nouveau centre grand-parisien, avec son cirque au cœur. En 2025, avec la réouverture de l’Académie Fratellini sur son site, le chapiteau comble, comme l’aime Stéphane Simonin, frissonnera, grondera et vibrera à nouveau d’émotions.
Infos pratiques : Académie Fratellini, 1-9, rue des Cheminots, Saint-Denis (93). Actuellement en travaux. Accès : métro Saint-Denis – Pleyel (ligne 14), gare de Stade de France – Saint-Denis (RER D). Plus d’infos sur academie-fratellini.com
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14 novembre 2018 - Saint-Denis