Que pensez-vous de la manière dont Pantin s’identifie à Brooklyn, vous qui habitez Pantin et qui avait également un pied à Brooklyn ?
Mira Kamdar : Je trouve que le maire de Pantin mène une politique intéressante. Pantin commence à signifier quelque chose de désirable dans l’imaginaire. Les villes ont compris, comme les entreprises ou les partis politiques avant elles, qu’il fallait construire une marque pour attirer les gens. La comparaison avec Brooklyn est une manière d’y parvenir. Surtout, la ville mise sur l’artisanat et a déjà convaincu des enseignes comme Chanel et Hermès d’y installer leurs ateliers. C’est une manière d’amener de l’emploi et d’attirer une population parisienne de jeunes familles et de jeunes professionnels qui travaillent dans ces industries. L’enjeu maintenant est de ne pas exclure la population locale. C’est pourquoi des filières de formation sont en train de se créer pour permettre aux Pantinois d’intégrer ces secteurs.
Quelle image aviez-vous de la banlieue et du 93 avant d’y emménager ?
J’en avais une image très floue et je ne m’imaginais pas du tout y vivre. C’est l’amour et la rencontre avec mon mari qui m’a fait franchir le périphérique. Je me souviens d’ailleurs la première fois que je suis allée chez lui à Pantin. Je suis descendu à la station de métro Hoche et j’ai trouvé ça très glauque. Nous étions en 2010. La ville n’avait pas encore commencé à prendre son envol. Pourtant, beaucoup de choses étaient déjà là que je ne connaissais pas : le Ciné 104, le Centre national de la danse, la salle de concert Banlieues bleues. Si seulement Enlarge your Paris avait existé pour en parler ! Depuis, l’environnement a considérablement changé. Il y a eu l’arrivée du tramway bien sûr, mais aussi l’aménagement de nouveaux jardins, l’ouverture de la galerie d’art contemporain Thaddaeus Ropac… Alors qu’il a longtemps considéré Pantin comme un dortoir, mon mari est aujourd’hui fier d’être Pantinois. Lui et moi avons envie de mieux nous intégrer dans la vie locale, de rencontrer plus de monde.
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Dans votre tribune sur la banlieue parue en 2013 dans le New York Times, The Other Paris Beyond The Boulevards, vous affirmiez ne voir « ni peur ni désespoir, mais quelque chose de plus vivant que l’élégance figée et éternelle de Paris ». Vous ajoutiez que « le futur de Paris se trouvait dans sa périphérie » ? Ces deux dernières années ont-elles conforté votre point de vue ?
Je suis encore plus convaincue qu’il y a deux ans du fait que l’avenir de Paris va se jouer en périphérie. J’adore Paris et Pantin me permet d’y accéder facilement. Par contre, je pense que beaucoup de Parisiens se privent de la banlieue. Là où je vis, je profite d’être dans un lieu très dynamique et très cosmopolite. La diversité saute aux yeux. Il y a beaucoup d’immigrés. Un peu à l’image de Brooklyn. Ceci constitue une richesse qui est souvent occultée en France. L’immigration est pourtant un atout dans un monde de plus en plus mondialisé. Malheureusement, elle est perçue comme une menace ici.
Lorsque l’on tape « banlieue » dans Google images, on voit apparaître des photos de quartiers en crise et de voitures calcinées. En revanche, lorsque l’on tape « suburbs », ce sont des zones pavillonnaires rutilantes qui s’affichent. Contrairement à la France, la périphérie n’est donc pas synonyme de relégation aux Etats-Unis ?
Les zones d’exclusion aux Etats-Unis ne se situent pas en périphérie des villes mais plutôt dans les centres-villes. Pour comprendre, il faut remonter à la période de l’après-guerre qui coïncide au développement de l’industrie automobile. La voiture va vider les villes des classes moyennes qui partent s’installer dans des lotissements immenses en banlieue. Elles laissent derrière elles une population qui n’a pas les moyens de s’offrir cette vie. Detroit en est la parfaite illustration. C’est devenue une ville dévastée, où il ne reste quasiment que des Noirs pauvres. Heureusement, on voit de plus en plus de politiques se mettre en place pour faire revivre ces villes abandonnées. On voit également des quartiers naguère abandonnés aux pauvres recolonisés par des bobos blancs attirés par le patrimoine architectural, comme par exemple les fameuses brownstones du 19e siècle à Brooklyn. C’est d’ailleurs sans doute la chance qu’ont ces quartiers par rapport aux cités de Seine-Saint-Denis, qui n’ont pas la même histoire ni la même richesse architecturale. En même temps, cette « gentrification » aux Etats-Unis est souvent brutale, entraînant l’exode des populations qui s’y étaient installées avant l’arrivée des bobos colonisateurs.
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5 février 2018 - Pantin