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« La norme sociale n’est pas encore de partir en week-end à 40 km de chez soi »

Les falaises du Vexin du côté de La Roche-Guyon / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris
Les falaises du Vexin du côté de La Roche-Guyon / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Si le covid a permis de développer le recours au télétravail ainsi que l'usage du vélo, le tourisme de proximité ne s'est quant à lui pas ancré dans les habitudes des Grand-Parisiens. Ce que révèle une étude co-dirigée par Agnès Grisoglio, directrice de la Mass Transit Academy au sein de la SNCF.

Pourquoi votre étude annuelle consacrée au mass transit (métro, RER, train et tramway) porte-t-elle sur le tourisme et les loisirs cette année ?

Agnès Grisoglio : Lorsqu’elle a été lancée en septembre 2020, en pleine crise sanitaire, cette étude (portée par la Mass Transit Academy, Transilien SNCF, l’Institut Paris Region, Hove et Sustainable Mobilities) avait pour but de mesurer l’impact du télétravail sur le mass transit francilien, c’est-à-dire la fréquentation du métro, du tramway, du RER et du train, sans oublier la fréquentation des axes routiers. Malgré le recours massif au télétravail, nous avions constaté qu’il restait des heures mais aussi des jours de pointe, notamment le mardi et le jeudi. Un phénomène qui s’est ancré en quatre ans. Cette année, nous avons voulu zoomer sur le week-end et les déplacements dans le cadre des loisirs. Afin d’avoir une vision large des déplacements des Franciliens, il était important de mener ce travail à plusieurs, en l’occurrence avec la Mass Transit Academy, l’Institut Paris Region, Transilien SNCF et les bureaux d’études Hove et Sustainable Mobilities. Le trafic est revenu à 95 % du niveau de celui d’avant le covid et le dépasse même le dimanche. En nombre de déplacements, le samedi représente désormais 65 % d’un jour de semaine, c’est beaucoup.

L’étude pointe que les Parisiens continuent d’éprouver des difficultés à franchir le périph…

Même si certaines lignes, comme la 11, la 14 et le RER E, ont été prolongées récemment, on constate que la carte mentale des Parisiens ne passe toujours pas le périphérique. Le maillage très serré du métro parisien y est certainement pour quelque chose. Paris est l’une des villes au monde les mieux desservies par son métro. Passer à d’autres types de transports peut déboussoler, voire faire peur. La distance entre deux gares de la grande couronne est bien plus grande qu’entre deux stations de métro. Il y a donc moins de solutions de repli en cas de problème. Mais le développement du Grand Paris Express ou encore le prolongement du RER E vont certainement venir compenser ce manque d’assurance face à ces territoires. Tout est affaire de carte mentale à élargir ! Le développement de ces lignes y travaille en tout cas.

Le tourisme de proximité n’est pas encore devenu une habitude chez les Parisiens ?

Notre étude montre bien que, le week-end, le Parisien reste dans Paris et utilise principalement le métro, le vélo ou la marche pour se déplacer. S’il ne reste pas dans Paris, il part très loin. Pour l’instant le fameux « staycation » (vacances de proximité, ndlr) ne prend pas vraiment. Au moment de la crise du covid, quand nos déplacements étaient limités, on a pu penser que les habitudes allaient changer durablement. Mais la norme sociale n’est pas encore de partir en week-end à 40 kilomètres de chez soi.

Parmi les freins, il y a les difficultés liées au « dernier kilomètre », c’est-à-dire la distance qui reste à parcourir entre la gare et la destination…

Les opérateurs de mass transit, Île-de-France Mobilités et les sites touristiques eux-mêmes doivent travailler ensemble afin de faciliter la venue des visiteurs. C’est un travail collectif à effectuer autour du trajet, de la signalétique et de la communication. J’espère que l’expérience des Jeux Olympiques va créer des habitudes de coopération entre les différents acteurs, et de bonnes pratiques à pérenniser. Avec 13 sites hors de Paris et 12 dans Paris, on espère que les Jeux vont élargir les fameuses cartes mentales.

Quels sont les leviers pour encourager les déplacements en transports en commun hors Paris chez les touristes  ?

Beaucoup de touristes de notre panel nous ont répondu que les déplacements franciliens étaient compliqués. Il est donc important de communiquer sur  les forfaits qui permettent les déplacements en dehors de Paris. Les professionnels du tourisme doivent également participer à cet effort. Je me souviens d’une chambre d’hôtel à Tokyo dans laquelle était accrochée dans un cadre et sous verre le plan du réseau de transports local. Tout est question de travail collectif pour faire bouger les lignes.

Il s’agit donc de promouvoir une autre norme sociale…

Oui, il y a ce que les sciences comportementales appellent le nudge ou « coup de pouce » pour influencer les usages. On en avait beaucoup entendu parler avec la fameuse fausse mouche placée dans les urinoirs d’un aéroport qui avait permis de diminuer de plus de 80 % le budget nettoyage des toilettes, car les hommes spontanément visaient la mouche ! Nous essayons d’appliquer le même genre de dispositif pour le mass transit en inventant des moyens simples pour changer les comportements. En sciences comportementales, la norme sociale est l’un des leviers les plus puissants pour faire évoluer les pratiques. Si le fait d’utiliser les transports en commun le week-end pour partir non loin de chez soi devient la norme, alors les choses vont bouger. Cette étude a été menée aussi pour que tous les acteurs de la mobilité et du tourisme agissent ensemble afin d’inciter à changer nos normes sociales.

L’étude montre que le mass transit est un moyen de contribuer à la « résilience climatique de la région ». Comment ?

1,5 million de Franciliens sont vulnérables aux fortes chaleurs. Parmi eux, on trouve les habitants des zones les plus densément peuplées comme les Parisiens et les habitants de Seine-Saint-Denis. Nous avons pourtant la chance d’habiter une région dotée d’îlots de fraîcheur comme les forêts ou les espaces nautiques. Cette richesse est très peu exploitée par ces habitants vulnérables. Car notre étude montre aussi que les forêts sont principalement fréquentées par les riverains, à l’exception de Fontainebleau. On peut pourtant y aller en transports en commun. Il est donc possible quand il fait très chaud d’aller se rafraîchir dans ces îlots. Ces déplacements peuvent contribuer à la résilience face au changement climatique. C’est le message que nous souhaitons faire passer. Par ailleurs, plus on utilise le mass transit, moins notre impact carbone est grand. Mais, quoi qu’il en soit, il faut faire avec le changement climatique : il n’est plus question de l’éviter, mais d’en diminuer l’impact.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Nous avons la chance en Île-de-France, par rapport à d’autres grandes métropoles européennes, de développer à grande échelle notre réseau de transports. Le Grand Paris Express va quand même doubler la taille du métro ! Un meilleur maillage de l’Île-de-France devrait produire un appel d’air, donner un autre visage à la mobilité des Franciliens et des touristes. Il y aura forcément un choc positif qui va provoquer du mouvement. Par ailleurs, les JO peuvent aussi, comme le covid avec le télétravail, faire changer la norme sociale et la carte mentale de chacun, rendre visible ce qui était invisible. Et l’effet « Vu à la TV » ne sera pas négligeable ! Enfin, Paris est la première ville qui installe ses Jeux Olympiques et Paralympiques dans toute une région. Il n’y a pas de parc olympique mais des sites disséminés partout en Île-de-France. C’est un essai mondial que l’on espère porteur de grands changements !

Infos pratiques : retrouvez l’étude « Mobilité loisirs et tourisme : pratiques actuelles en mass transit et nouveaux défis » sur institutparisregion.fr

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