Olivier Razemon est journaliste spécialiste des transports et de l’urbanisme. Cet article est tiré de son blog « L’interconnexion n’est plus assurée » sur lemonde.fr
Qu’elle soit « débridée », « incontrôlée », « massive », ou juste « hyper », personne n’aime la métropolisation. Personne ne sait non plus de quoi il s’agit au juste. Le terme peut qualifier, selon les lieux et les circonstances, des phénomènes aussi divers que la forte croissance des échanges aériens entre les mégapoles de plus de 10 millions d’habitants, le passage du tour de France à Rennes, la surconsommation de biens standardisés, les élections libres en Biélorussie, la délégation de certains services au secteur privé, les incendies de forêt près de Marseille, l’érection d’immeubles de bureaux à Bordeaux, la piétonnisation des berges de la Saône à Lyon, la fusion de plusieurs communes dans les environs de Périgueux, la suppression d’une école dans un village, le harcèlement de rue, l’ouverture d’un centre d’hébergement pour réfugiés à Paris, un vol de voiture dans une commune de la Loire, la consommation de fraises en hiver, etc.
« Les maux de la « métropolisation » ressemblent à ceux de la gentrification, de la mondialisation et de la spéculation réunies »
Au fond, les maux de la « métropolisation » ressemblent à ceux de la gentrification, de la mondialisation et de la spéculation réunies, plus quelques autres maladies de la société contemporaine. Le sujet passionne, en tous cas. Il sera notamment débattu par le collectif Nantes en commun (proche de LFI) fin août et aux journées d’été des écologistes, à Pantin (Seine-Saint-Denis) le 20 août.
Les métropoles seraient des « citadelles imprenables », affirme le consultant Christophe Guilluy. Elles « hissent le pont-levis », renchérit une journaliste de L’Express, et se seraient fermées aux classes populaires en régulant la circulation automobile. Les élus des métropoles seraient en outre illégitimes car désignés au suffrage universel indirect, ce qui est certes le cas, mais comme pour toutes les structures intercommunales… à l’exception de la métropole de Lyon.
Chacun avance son remède. Le maire de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), l’une des villes les plus riches de France, Jean-Christophe Fromantin (divers droite) a trouvé une solution : « mettre chaque zone rurale à moins de vingt minutes d’une ville moyenne et chaque ville moyenne à moins d’une heure trente d’une métropole régionale », explique-t-il dans Marianne en juillet 2020. Il s’agirait donc de construire encore davantage de routes, d’encourager la vitesse et la mobilité contrainte, de provoquer encore davantage d’étalement urbain. Et tout cela au nom de la grande ville qui « irrigue » le territoire, la version géographique du ruissellement. On a déjà donné, comme l’a rappelé le mouvement des « gilets jaunes ».
L’ingénieur et sociologue Pierre Veltz estime, de son côté, que la France constitue une « métropole unique » destinée à rivaliser avec les grandes métropoles mondiales. Et ceci, car les dix principales villes de France se situent toutes à moins de trois heures de Paris. Méditons sur cette conception de la géographie : chacun devait impérativement vivre « à moins de trois heures de Paris » pour devenir aussi heureux qu’un habitant des métropoles. Le journaliste Vincent Grimault démontre pourtant (c’est ici) que dans les campagnes, des entrepreneurs pouvaient parfaitement créer des emplois, sans dépendre de la proximité des très grandes villes.
« Les capitales régionales sont accusées à leur niveau de concentrer les richesses, de mener une course à l’attractivité et d’accroître, par ces choix, les inégalités sociales à l’échelle du pays »
Une métropole est, à l’échelle mondiale, une grande ville, un pôle urbain doté de fonctions majeures qui amènent les habitants vivant alentours à s’y rendre de temps à autre pour des raisons diverses. A l’échelle de la France, une métropole est aussi, depuis 2010, un statut juridique renforcé en 2014 et 2015, qui dote ces collectivités d’une gouvernance efficace et de compétences élargies. Ce statut, dont il existe quelques variantes (Lyon, Marseille, Paris), a été octroyé à pas moins de 22 agglomérations comptant théoriquement au moins 500000 habitants : Toulouse, Strasbourg ou Nantes, mais aussi Metz, Orléans ou Brest, mais pas Angers, Besançon, Limoges, qui pourtant comptent à peu près le même nombre d’habitants. Il faut signaler enfin les « fausses métropoles », Charleville-Mézières, Châteauroux ou Valenciennes, dont les intercommunalités se sont autoproclamées « métropoles » sans en avoir le statut juridique.
Toutes ces villes, en premier lieu les capitales régionales, sont accusées à leur niveau de concentrer les richesses, de mener une course à l’attractivité et d’accroître, par ces choix, les inégalités sociales à l’échelle du pays. Et il y a incontestablement beaucoup d’éléments qui montrent que c’est le cas. Sans pour autant que ce soit une volonté délibérée des élus. Mais ces changements très décriés s’accompagnent aussi, on l’oublie un peu vite, de la redécouverte des charmes urbains. Comme Bologne, Bâle, Anvers ou Hambourg, les principales agglomérations françaises se perçoivent désormais comme des grandes villes et non plus comme des bourgades qui ont trop grossi.
20 août 2020