« Il y avait déjà une tendance mais là, depuis le confinement, mes clients parisiens changent clairement leurs critères. Pour preuve, ce texto d’un client reçu il y a quelques jours m’indiquant qu’il élargissait désormais ses recherches hors de Paris pour avoir un environnement vert. » Salvador Castillo, conseiller immobilier de l’agence Safti à Montreuil (Seine-Saint-Denis) est formel. Il y a bel et bien un avant et un après confinement dans le secteur de l’immobilier francilien.
Dans les agences yvelinoises, le téléphone n’arrête d’ailleurs pas de sonner depuis le déconfinement. « En quatre ans de métier, je n’ai jamais reçu autant de demandes d’achats d’un coup. Parfois, j’enregistre jusqu’à 30 demandes de maisons en une seule journée. C’est énorme ! », témoigne une agent immobilier basée à Verneuil-sur-Seine et qui a souhaité conserver l’anonymat. « Ces personnes veulent s’installer à la campagne« , résume-t-elle.
Alexis Moret, négociateur immobilier sur le secteur d’Orgeval et de Villennes-sur-Seine (Yvelines) abonde : « J’ai beaucoup de demandes d’achats de personnes déjà propriétaires et en quête de nature. Elles recherchent souvent une maison disposant d’un accès à Paris par le train. » Les visites s’enchaînent donc à un rythme élevé, « d’autant que les gens sont plus facilement disponibles car ils sont tous en télétravail« , note l’autre agent immobilier yvelinoise interrogée.
L’impact du télétravail
De plus en plus d’urbains rêvent désormais de verdure et de place après deux mois enfermés dans des appartements. « Avant, sur les demandes de biens de trois ou quatre pièces, les gens ne cherchaient pas forcément un extérieur, se remémore Salvador Castillo. Aujourd’hui, c’est la première question qu’ils me posent. » Le passage massif au télétravail change la donne. « En l’espace de dix jours, j’ai reçu cinq ou six demandes de personnes envisageant de s’installer définitivement à Fontainebleau ou dans les villages alentours, en m’expliquant qu’elles comptaient télétravailler plusieurs jours par semaine, souligne Sabine Ficheux, directrice de l’agence Century 21 de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Nous ne sommes qu’à 37 minutes de la gare de Lyon, c’est un gros avantage. »
Mais qui sont ces urbains qui décident de venir s’installer en grande banlieue ? « On trouve majoritairement des familles avec des enfants de moins de 10 ans ou des couples en instance de divorce. Le confinement a probablement accéléré les séparations dans certains couples, indique Alexis Moret. J’ai en revanche peu de primo-acquéreurs venant de Paris ou de la proche banlieue. Mes clients sont déjà propriétaires et cherchent une maison pour s’installer définitivement ou simplement pour y passer leurs week-ends. » Même son de cloche du côté de Fontainebleau où Sabine Ficheux reçoit régulièrement des demandes de « familles avec enfants qui ont été enfermés dans 50 mètres carrés pendant le confinement ».
D’autres optent plutôt en faveur de la location longue durée pour s’assurer une solution de repli en cas de nouveau confinement. Certains sont même prêts à dépenser des montants élevés à l’année pour avoir un pied-à-terre à la campagne. Des maisons aux caractéristiques alléchantes — 300 mètres carrés, un jardin, une piscine — où passer ses week-ends et ses vacances. « Notre agence fait peu de locatif habituellement mais là on a des produits qui se louent en deux jours !« , s’étonne Alexis Moret. Même les clients « vraiment fortunés » cherchent à se mettre au vert en grande banlieue. « Dans ce cas-là, ce sont des personnes en quête d’une grande maison secondaire avec piscine. Avant le confinement, j’avais peut-être un appel tous les 20 jours sur ce créneau. Aujourd’hui, j’ai pas mal de visites », affirme Salvador Castillo de l’agence Safti.
Des écarts de prix considérables
Il faut dire que l’écart de prix entre la zone dense et la grande couronne est considérable. Selon le site seloger.com, les prix moyens du mètre carré sont de 11.100€ à Paris, 6.909€ dans les Hauts-de-Seine, 4.794€ dans le Val-de-Marne, 3.684€ en Seine-Saint-Denis, 2 534€ en Seine-et-Marne, 2.801€ dans l’Essonne, 3.069€ dans le Val-d’Oise et 3.535€ dans les Yvelines. A Fontainebleau et dans ses environs, une maison de 100 mètres carrés se négocie entre 300.000 et 400 000€ selon Sabine Ficheux de chez Century 21. Dans les Yvelines, les tarifs se situent entre 500.000 et 600.000€. « Sur notre secteur à Orgeval et Villennes-sur-Seine, on remarque que le budget moyen de nos clients augmente, constate le négociateur immobilier Alexis Moret. Depuis la reprise, nos clients nous contactent avec des budgets de 800.000€, 900.000 voire un million. Ce n’est plus la même clientèle. On a vendu une maison 1,3 million à Orgeval en une seule visite ».
Malgré des moyens conséquents, les acheteurs ne trouvent pas nécessairement la maison de leurs rêves. « Les gens sont bien ici, alors ils bougent peu et il y a peu de biens en vente », prévient Alexis Moret. Lui et ses confrères observent en tous cas prudemment cette attirance soudaine pour la grande banlieue. « Est-ce l’euphorie après le traumatisme du confinement qui crée l’urgence de partir ? Est-ce une mode qui cessera dans quelques mois ?« , s’interroge Sabine Ficheux. Pour Alexis Moret, il y a un « phénomène de rattrapage. » « En ce moment, on travaille beaucoup, c’est vrai, et on a beaucoup de sollicitations de Parisiens. Mais le secteur immobilier a été à l’arrêt pendant deux mois. On reste prudents. » Le monde d’après n’a pas encore livré tous ses secrets.
Lire aussi : « Ce que le confinement a souligné profondément, c’est une envie de nature »
Lire aussi : L’ABCDE des passagers du RER, un carnet de voyage sociologique du géographe Laurent Chalard
Lire aussi : Le vélo peut-il se développer hors des grandes villes ?
13 juin 2020