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L’histoire du métro du Grand Paris côté coulisses

Gare de La Courneuve Six routes / © Société du Grand Paris -  Agence Chartier Dalix
Gare de La Courneuve Six routes / © Société du Grand Paris – Agence Chartier Dalix

Homme des coulisses, familier des cabinets ministériels et des directions des grandes sociétés de transport, Pascal Auzannet a publié récemment les "Secrets du Grand Paris". L'actuel PDG d'Ixxi, une filiale de la RATP, y décrit l'épopée du Grand Paris Express depuis le début des années 2000 jusqu’à son lancement définitif. Le 11 avril, il interviendra lors d'une conférence à l'Hôtel de Ville de Paris organisée par le club des Acteurs du Grand Paris.

 

Pourquoi avez-vous souhaité raconter l’histoire du Grand Paris Express ?

Pascal Auzannet : J’ai suivi les coulisses de la création du métro du Grand Paris durant près d’une décennie, de 2004 à 2013. J’ai aussi essayé de contribuer à ce projet au travers de recommandations qui figurent dans deux rapports remis au gouvernement. Alors que les travaux du métro ont commencé, j’ai voulu raconter la genèse de ce chantier hors du commun. L’actualité [les questionnements relatifs à certaines lignes du Grand Paris Express, Ndlr] n’a rien à voir avec mon envie d’écrire ce livre. Celle-ci découle du fait que ceux qui sont à l’initiative de ce projet ne sont désormais plus aux manettes et que peu de gens en connaissent la genèse.

A partir de quand émerge l’idée d’un métro autour de Paris ?

L’idée d’un métro périphérique faisant le tour Paris vient de loin, et revient de loin ! Entre 1997 et 2000, j’étais conseiller du ministre des transports Jean-Claude Gayssot [ministre du gouvernement Jospin, Ndlr]. On planchait à l’époque sur un projet de tramway en petite couronne qui aurait fait le tour de Paris. On avait aussi imaginé l’extension de la ligne 13 du métro jusqu’à Gennevilliers, de la ligne 4 à Montrouge et Bagneux, de la ligne 12 à Aubervilliers et de la ligne 8 à Créteil. Il s’agissait de petites extensions, une vingtaine de kilomètres de lignes tout  au plus. L’idée d’un super métro à l’échelle de la métropole parisienne était loin de faire l’unanimité. Les élus et les aménageurs ne juraient que par le tramway et les voies réservées pour les bus, des modes de transport en surface, légers et pas trop chers.

Qu’est-ce qui va changer la donne ?

Entre 2002, et 2007, j’ai été directeur du développement et de l’action territoriale au sein de la RATP. La présidente de la RATP, Anne-Marie Idrac, cherchait un projet utile pour l’Île-de-France qui aurait aussi l’avantage de mobiliser les ingénieurs et les techniciens de l’entreprise. Je lui ai proposé un métro autour de Paris à la place du tram. En fait, nous reprenions à notre compte l’idée d’Orbitale, un projet de rocade de métro en banlieue qui avait été imaginé au début des années 1990 et qui devait relier l’ensemble des lignes de métro à un kilomètre à l’extérieur de Paris. Mais Orbitale n’avait pas été sérieusement envisagé car les grands projets en cours, EOLE pour le RER E et METEOR pour la ligne 14 du métro, absorbait l’essentiel des budgets publics.

Vous faites donc renaître Orbitale…

Oui, nous le ressortons des cartons en lui donnant une vraie dimension urbaine et en expliquant que c’est autant un projet d’urbanisme que de transport. Nous savions que le réseau en étoile générait de l’étalement urbain, envoyait des populations vivre à une vingtaine de kilomètres de leur lieu de travail. Pour bloquer cet étalement et permettre une densification urbaine, il fallait créer un anneau de transport ainsi que de nouvelles gares dans des quartiers densifiés. Il nous fallait pour cela convaincre les acteurs institutionnels. Nos prévisions nous ont permis de démontrer aux élus parisiens qu’avec notre métro on diminuait les trajets de banlieue à banlieue transitant par Paris et que ceci permettait de donner de l’oxygène au réseau de métro et de RER dans la zone centrale. Nous avons dans la foulée convaincu le Val-de-Marne qui a validé notre idée et lancé en 2006 le programme Orbival. Se sont ensuite ralliés les Hauts-de-Seine puis, plus tardivement, la Seine-Saint-Denis. L’idée d’un métro en rocade a fait son chemin grâce notamment à l’action des agences de développement territorial de la RATP implantées dans chaque département. 

A lire : Le Grand Paris Express en résumé

Gare Saint-Maur Créteil / © Société du Grand Paris - Agence ANMA
Gare Saint-Maur Créteil / © Société du Grand Paris – Agence ANMA

 

Le débat sur la rénovation du réseau existant existait-il déjà ?

Bien sûr. Le débat sur les transports du quotidien existait déjà. Mais hier comme aujourd’hui, il ne doit pas empêcher de penser l’avenir. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les problèmes techniques ne constituent que 30% des incidents de transport. Ceux-ci sont dus dans une large majorité aux accidents voyageurs, aux signaux d’alarme indûment utilisés, aux colis suspects ou encore aux personnes et aux animaux sur les voies. Le management et l’organisation du travail ont aussi leur importance.

Quels sont les projets en cours lorsque l’idée d’un métro autour de Paris est véritablement lancée  ? 

En 2005, lorsque nous avons lancé cette idée alors baptisée « Métrophérique« , la Région était déjà engagée avec l’Etat dans un contrat de plan ambitieux comportant des tramways, de nouvelles lignes SNCF ainsi que des extensions de lignes de métro. Certains de ces projets avaient pris du retard. En ajouter un autre de cette envergure complexifiait les choses, sans oublier le critère financier. Mais le projet a pu bénéficier du soutien des élus de Paris et de la petite couronne. Dès novembre 2006, la Conférence métropolitaine, initiée par le maire de Paris Bertrand Delanoë et son adjoint Pierre Mansat, s’est emparée du sujet des transports. C’est ainsi que Métrophérique a pu être discuté et que le président de la Région Jean-Paul Huchon a annoncé le lancement d’Arc Express, une rocade de métro similaire. Au-delà du nom et de la paternité, le principe était acté.

C’est alors que l’Etat est entré dans la partie…

Oui, et ce fut décisif. En juin 2007, Nicolas Sarkozy, tout juste élu, annonçait son soutien à Métrophérique lors du discours de Roissy. C’était la première fois que l’Etat prenait position. Et au plus haut niveau. En 2008, Christian Blanc, nommé secrétaire d’État chargé du Développement de la région capitale, a fait du métro l’un des éléments centraux de son projet. Sa vision était celle d’une ville-monde s’appuyant sur des regroupements d’entreprises, les clusters, desservis par des transports modernes. Son action va considérablement changer la donne. Un énorme travail va alors débuter pour aboutir au projet de Grand Paris Express. De son côté, la Région avait engagé avec tous les départements un plan de mobilisation pour les transports comprenant notamment Arc Express. Dans mon livre, j’essaie de comprendre la logique à l’œuvre chez les uns et les autres. Je ne cherche pas à déterminer qui avait raison. Chacun avait sa propre logique.

Quelle était celle de la Région ?

La mandature de Jean-Paul Huchon est intervenue après des décennies de politique pro-automobile et d’adaptation de la ville à la voiture, et donc de sous-investissement chronique dans les transports en commun. M. Huchon a voulu inverser cette tendance en faisant le choix des transports en commun de surface, moins chers que le métro. La Région avait également le souci de ne pas négliger la grande couronne. Le Grand Paris Express, comme son nom l’indique, concerne avant tout Paris et la petite couronne.

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Gare de Villejuif - Institut Gustave Roussy / / © Société du Grand Paris - Dominique Perrault Architecture
Gare de Villejuif – Institut Gustave Roussy / © Société du Grand Paris – Dominique Perrault Architecture

 

Qu’est-ce qui fonde la vision du Grand Paris ? 

Le discours fondateur du Grand Paris, c’est celui de Nicolas Sarkozy en avril 2009 à la Cité de l’architecture. Co-rédacteur de ce discours, Christian Blanc a placé au cœur de la vision présidentielle la desserte des aéroports depuis Paris, le métro banlieue-banlieue, la mise en réseau des clusters ainsi que la desserte des territoires de l’Est parisien. Le Grand Paris d’aujourd’hui, c’est le projet de Christian Blanc avec bien sûr des évolutions. Très vite, il a constitué une équipe resserrée, avec notamment un petit groupe d’ingénieurs de la RATP travaillant de manière hyper confidentielle pour dessiner les premières esquisses du métro. Rien ne fuitait du bureau de Christian Blanc. En 2009, il a mis en place une mission de préfiguration d’une quinzaine de personnes que je dirigeais avec Didier Bense et dont a découlé, en 2010, la création de la Société du Grand Paris. Incontestablement, Christian Blanc aura été un artisan majeur, voire central, du projet.

Après Christian Blanc, vous avez travaillé avec son successeur, Maurice Leroy, avec la mission de négocier avec la Région…

Maurice Leroy fut ministre de la Ville de novembre 2010 à mai 2012. Ce fut un moment de recherche de consensus. Il créa pour ce faire un club informel, le Club du Grand Paris, avec les présidents des conseils généraux, le préfet de Région Daniel Canepa, des architectes, la mairie de Paris et des représentants du monde des transports. A une époque, on se réunissait toutes les semaines. Maurice Leroy et Jean-Paul Huchon, qui ne se connaissaient pas avant, se sont tout de suite bien entendus. Cela a énormément compté. Maurice Leroy m’avait confié la mission de faire converger le projet du Grand Paris Express avec celui de la Région. Le matin, je travaillais avec l’équipe du ministre et l’après-midi, je voyais Jean-Paul Huchon. J’allais également à l’Hôtel de Ville de Paris, je rencontrais les élus de petite et de grande couronne. C’était un peu « Mission impossible ».

Quels étaient les points de convergence ?

Arc express n’était qu’un des éléments du grand plan de la Région pour les transports publics, qui incluait aussi la création de lignes de bus et de tramway, la modernisation des RER ou encore l’extension de certains métro. Il fallait donc faire place à cette vision. Pour se rapprocher des ambitions de la Région, on a ajouté des gares afin de mieux desservir le territoire. On a aussi créé la ligne de métro 15 Est afin de lutter contre la fracture territoriale et sociale en Seine-Saint-Denis. Pour cela, je suis allé voir Claude Bartelone, qui venait de prendre aux communistes la présidence du conseil général du 93, et lui ai proposé de renforcer le métro dans son département. Il a tout de suite accepté et est devenu un soutien. Ce qui pouvait aider dans les négociations avec la Région, elle-aussi socialiste. D’autre part, Maurice Leroy et Claude Bartolone s’estimaient. Cela a joué.

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Gare de Saint-Denis Pleyel / © Société du Grand Paris - Agence Kengo Kuma
Gare de Saint-Denis Pleyel / © Société du Grand Paris – Agence Kengo Kuma

 

Quand ces négociations finissent-elles par aboutir ? 

Le 26 janvier 2011, la Région et le gouvernement signent un accord symbolisant leur rapprochement à la fois technique et politique, ce qui a donné lieu à des ajustements. Par exemple, la Région et le STIF (devenu Île-de-France Mobilités, Ndlr) voulaient des métros de grand gabarit sur rails. L’Etat a donc renoncé à l’option des métros de petit gabarit sur pneus. Mais sans changer le tracé des lignes du Grand Paris Express. Il y a aussi eu le débat sur l’extension de  la ligne 14 qui, dans le tracé originel, devait aller jusqu’à Roissy. Or, la Ville de Paris craignait une saturation de la ligne. Elle a donc exigé et obtenu qu’elle s’arrête en gare de Pleyel, à Saint-Denis. C’est pourquoi on a dessiné la ligne 17, qui reliera Pleyel à Roissy. Au final, le schéma d’ensemble du Grand Paris Express est le fruit d’une démarche de convergence entre l’Etat, la Région, les maires et les conseil généraux. Jean-Paul Huchon a pu obtenir le financement de son plan de mobilisation pour les transports qui se concrétise aujourd’hui avec notamment le prolongement de la ligne 11 du métro et l’ouverture de plusieurs lignes de tramway.

Cet accord de 2011 n’a jusque-là pas été remis en cause…

Cela n’a pas été le cas après l’alternance de 2012. Le projet a été confirmé après une clarification sur les coûts, revus à la hausse, et la fixation d’un calendrier beaucoup plus réaliste tenant compte des contraintes techniques et financières.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture de votre livre ?

J’ai revu beaucoup d’acteurs de ce projet à l’image de Christian Blanc, Jean Paul Huchon, Maurice Leroy, Claude Bartolone, Christian Favier et Pierre Mansat. J’ai aussi souhaité rencontrer leurs entourages pour avoir un décodage de leurs positions. J’essaie de rendre hommage à certains de ces grands serviteurs de l’Etat qui ont fait le grand Paris. Imaginez si Sarkozy n’avait pas été élu, si la RATP n’avait pas lancé le projet Métrophérique ? Durant quelques années, des femmes et des hommes aux intérêts et aux profils divers ont inventé et porté ce projet qui va changer notre horizon. Il y a aussi tout le travail en coulisses, les tactiques, les méthodes, la gestion du temps, les rapports de force, les recherches d’argumentaires, les avancées, les reculs, sans faire l’impasse bien sûr sur la difficile cohabitation du politique et du technique. C’est cette histoire que j’ai voulu raconter. 

 

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