Société
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« Pour certains, le camping va être vécu comme un déclassement. Pour d’autres, comme une amélioration. »

Le sociologue Gaspard Lion a vécu plusieurs années en caravane dans un camping francilien pour étudier la question du camping résidentiel / © Gaspard Lion

Sociologue, Gaspard Lion a étudié la vie en camping à l'année et s'est lui-même installé dans une caravane sur un terrain en Île-de-France. Dans son passionnant essai « Vivre au camping » (éd. du Seuil), il dresse le portrait d'un nouveau mode d'habitat et de ceux qui l'adoptent, que ce soit par choix ou par contrainte. En filigrane, c'est un état du logement en France qui se dessine.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’habitat en camping ?

Gaspard Lion : Le point de départ, c’est vraiment la crise du logement qui devient de plus en plus sévère. Pour rappel, en France, 15 millions de personnes sont en difficulté de logement. Parmi celles-ci, plus de 4 millions sont mal logées, c’est-à-dire qu’elles vivent dans des lieux insalubres, sans confort sanitaire (sans eau courante, sans WC…), en situation de surpeuplement accentué, ou sont peu protégées juridiquement parce qu’habitant par exemple chez un tiers. Parmi ces 4 millions, plus d’un million sont privées de logement personnel. Actuellement, 330 000 personnes sont sans domicile. Ce chiffre a été multiplié par trois depuis les années 2000. Dans ce cadre, les situations de logement non ordinaire comme le camping à l’année se sont développées. Cela touche un secteur de population qui ne cesse de croître. De plus en plus de gens ne peuvent se maintenir dans le parc ordinaire. En fait, le camping illustre, par la diversité des profils quel accueille, les effets différenciés de la crise sur différentes catégories de population. S’y intéresser, c’est aussi décentrer le regard sur tout un tas de discours très axés sur l’urbain. Car le mal-logement existe aussi en zones rurales ou périurbaines.

Vous avez décidé, pour cette enquête, de vivre en immersion pendant plusieurs années dans un camping de la région parisienne. Pourquoi ce choix ?

Parce que, sur le sujet, il existe un discours misérabiliste très répandu. M’installer en caravane au camping me permettait de recueillir la parole des habitants, de créer des relations dans la durée, basées sur la confiance et la proximité. De plus, ce n’était pas prévu, mais il s’avère que les habitants du camping ont été expulsés sur décision de la mairie. Cela m’a permis de documenter ce processus, et grâce aux relations de proximité qui avaient pu être nouées, de suivre plusieurs années après leur délogement ces résidents pour savoir ce qu’ils devenaient.

Vous avez renommé la ville où se situe ce camping Ampoix. Ce qui n’est pas le vrai nom de la commune

L’anonymisation est un procédé assez classique en sociologie. Cela permet de garantir des discours plus libres de la part des enquêtés. Ce que je peux dire, c’est qu’Ampoix est assez représentatif d’un certain type de camping, situé en périphérie de Paris, à côté des petites villes, entre les territoires ruraux et ce que les géographes appellent le périurbain non bâti. On est entre champs, forêts, bois…

Qu’est-ce qui rassemble ces personnes vivant au camping ?

Ils sont issus des classes populaires. Ce sont des ouvriers, des employés, des personnes sans emploi. Ils ont plus de quarante ans. Leurs pratiques culturelles – telles que le bricolage, le jardinage, la pêche- et la façon dont ils les envisagent – les distinguent également des classes moyennes et supérieures. Pourtant, il existe une véritable diversité interne liée aux différences de ressources, de trajectoires, de situations résidentielles, avec des effets différenciés sur le rapport au stigmate par exemple…

Vous voulez dire que, pour certains, vivre au camping est stigmatisant alors que pour d’autres, non ?

Les appréciations positives ou négatives varient en effet selon les profils sociaux. Pour certains, le camping va être vécu comme un déclassement. On a alors affaire à des personnes avec un emploi ou en retraite mais qui, par exemple, vont rencontrer des difficultés à se loger après une séparation. Il y a peu encore, elles se sentaient protégées au niveau de l’habitat. Leur arrivée au camping est donc vécue douloureusement. Il peut y avoir des dépressions, des tentatives de suicide. A contrario pour d’autres chez qui le camping s’inscrit dans un parcours de vie plus heurté, le lieu peut être vécu positivement, apparaître comme une amélioration par rapport aux situations vécues antérieurement. Je pense notamment à des gens qui ont connu la rue. Au camping, il y a l’eau courante, des portes qui ferment. Ils se déploient aussi dans des activités qu’ils apprécient et qui les valorisent comme le jardinage ou la pêche qui, en plus, leur permettent d’avoir une forme d’autonomie alimentaire et de faire face aux difficultés du quotidien. Enfin il y a une troisième catégorie d’habitants : les personnes qui pouvaient se maintenir comme locataires dans le parc ordinaire et qui choisissent de devenir propriétaires d’un mobile home. Beaucoup ont grandi en maison et ressentaient une frustration par rapport à cela. Le camping leur permet d’accéder à la propriété et de quitter l’habitat collectif.

Le jardin du résident d’un camping en bord d’étang / © Gaspard Lion

Est-ce qu’en France, le camping ne pâtit pas aussi d’un certain mépris ? En Allemagne, par exemple, on ne pose pas du tout le même regard dessus

Vous touchez sans doute là quelque chose de juste. Il y a, en France, dans la façon de considérer le camping, une forme d’ethnocentrisme. Le camping à l’année est associé à l’imaginaire lié aux classes populaires. C’est oublier un peu vite que les campings ont monté en gamme ces dernières années. Il existe une méconnaissance de ce type d’habitats qui peut bénéficier d’un environnement ou de panoramas enviables. En fait, le camping résidentiel est vu comme différent et surtout inférieur car il déroge aux normes sociales et à un certain nombre de critères qui correspondent à un logement standardisé ; il est vu comme différent, inférieur, car un logement est censé répondre à certains critères. C’est un habitat déprécié car dominé du point de vue des représentations sociales.

Au cours de votre séjour au camping, avez-vous rencontré des figures qui vous ont marqué ?

Il y en a beaucoup qui me viennent en tête. Je vais en évoquer une, celle d’Alain, car je l’ai eu hier au téléphone. Alain a vécu plusieurs années à Ampoix. Chauffeur routier à la retraite, il a été expulsé de son logement à la suite du décès de sa compagne. Il s’est installé au camping d’abord en caravane puis en mobile home. Eh bien, il s’est emparé de façon très positive de ce lieu ! Je pense que le fait d’avoir été routier et de vivre dans sa cabine – un espace contraint – l’a aidé à s’y adapter. Il s’est aussi battu pour ce lieu au moment de la procédure d’expulsion. Quelques années plus tard, il a acheté un vieux voilier pour 1 000 euros. Il s’est endetté pour le remettre en état. Aujourd’hui, il vit dessus, en Bretagne et apprécie son nouveau mode de vie.

Finalement, que nous apprend le camping sur le logement en France aujourd’hui ?

Il parle déjà du désir important d’accès à la propriété et à l’habitat individuel, notamment parmi les classes populaires. Car, dans le parc ordinaire, les alternatives qui existent correspondent souvent à de l’habitat collectif dégradé. Le camping permet d’éviter cela. Pour rappel, actuellement, 2,6 millions de ménages sont en attente d’un logement social. Ce chiffre n’a jamais été aussi haut. Et ce alors que, à l’inverse, le nombre de logements sociaux construits aujourd’hui n’a jamais été aussi faible qu’au cours des dernières décennies, en raison d’un désinvestissement massif de la puissance publique dans le logement social. De plus, il faut noter que les logements construits sont largement inadaptés à la demande : la production de logements PLS – attribués à des ménages en haut des classes moyennes – a, depuis le début des années 2000, augmenté dans des proportions bien plus importantes que la production de logements PLUS – correspondant au parc HLM traditionnel – ou PLAI – attribués aux locataires en situation de précarité. Or, ces logements PLS sont inaccessibles à la plupart des demandeurs de logements sociaux. En effet, 70 % des demandeurs de logement social relèvent des logements PLAI… Pour rendre le logement accessible aux plus modestes, cela suppose donc de construire massivement du logement vraiment social à très faible loyer. Et puis cela suppose aussi de réguler de façon beaucoup plus rigoureuse le marché immobilier privé, de lutter contre la spéculation immobilière et foncière et de déployer des politiques de lutte contre les inégalités et la pauvreté. C’est là, je crois, la seule véritable façon de faire véritablement reculer le mal-logement. 

Infos pratiques : Vivre au camping, un mal-logement des classes populaires de Gaspard Lion. Éd. Le Seuil, 320 p.24 €. Disponible en librairie. Plus d’infos sur seuil.com