Ouverte depuis 2013 dans un quartier populaire de Colombes, R-Urban a vu débarquer les forces de l'ordre ce 20 février qui ont commencé sa destruction pour permettre l'aménagement d'un parking provisoire.
Début de semaine amer pour R-Urban, la micro-ferme urbaine de Colombes (92). Ouverte en 2013 par le collectif AAA (Atelier d’Architecture Autogérée), après deux ans d’études techniques et de concertation auprès des habitants, elle a fait l’objet ce 20 février d’une expulsion manu militari par les forces de l’ordre afin de laisser place à la construction d’un parking. Une action qui fait suite à une décision du Conseil d’Etat prise en octobre dernier et qui anticipe de quelques semaines le déménagement de la ferme à Gennevilliers (92).
Tout avait pourtant bien commencé. En 2009, le maire de l’époque confie un terrain municipal en friche dans un quartier très populaire du Nord de Colombes à l’AAA, que coordonnent les architectes Constantin Petcou et Doina Petrescu. Ces derniers comptent alors à leur actif plusieurs expériences réussies de tiers-lieux associatifs à Paris, ce qui leur vaut de décrocher une (grosse) bourse européenne afin de mener un projet de transition écolo-urbaine.
Fort de ces soutiens, les archis dessinent et font construire l’Agrocité, superbe bâtiment en bois à la fois hangar, cuisine collective, séchoir à graines, lieu de distribution pour l’Amap du coin, salle d’expo et de débats. Evidemment, elle est entourée d’un jardin partagé de quelques centaines de mètres carrés, qui apporte une touche de vert au pied des tours HLM. Parachevant le dispositif, un local dédié au recyclage des déchets locaux ainsi que des ateliers destinés à l’économie sociale et solidaire sont installés à quelques rues de là.
Un projet qui a vu le jour dans le cadre de la stratégie de transition écologique intitulée R-Urban (pour “résilience urbaine”), soutenue par la mairie de Colombes, la Région Ile-de-France, le département des Hauts-de-Seine et l’ADEME. L’objectif ? Sensibiliser les populations aux enjeux de l’agriculture urbaine et plus largement de l’écologie dans les quartiers populaires. Rapidement, cette initiative expérimentale rencontre le succès. Le projet est présenté à la Biennale d’architecture de Venise, au Pavillon des Nations Unies à Genève, au Massachusetts Institute of Technology, à Harvard ainsi qu’au Bourget dans le cadre de la COP21. Il est enfin l’un des exemples choisis par la France en octobre dernier pour la grande conférence “HabitatIII″ des Nations Unies qui s’est tenue à Quito.
Casser l’image de l’écologie truc-de-bobos
« Notre objectif, ce n’est pas de produire des tomates mais du lien social et de l’éducation. Le métier d’agriculteur urbain, c’est un mixte entre production alimentaire et animation sociale », résume Constantin Petcou, pour qui R-Urban relève en réalité de la recherche et développement avec pour but de produire une nouvelle génération de mobilier urbain destiné à aider les habitants à affronter la crise – écologique et sociale – à venir. « Le problème c’est que l’écologie fait peur aux gens parce qu’ils pensent qu’ils doivent abandonner leur vie pour moins bien. Du coup, ils disent que c’est un truc de bobos, que ce n’est pas pour eux. Notre recette, c’est un lieu de transition écolo en bas de chez soi où l’on est bien.»
Problème. En décembre 2015, la nouvelle municipalité de Colombes annonce un projet d’aménagement dans le quartier de la ferme et exige des membres d’AAA qu’ils déménagent afin de réaliser un parking provisoire. Pour le cabinet de la maire Nicole Goueta, l’association se trouvait sur un “terrain municipal qu’elle occupait sans droit ni titre”. Le contrat d’occupation n’avait en effet pas été reconduit suite au changement de majorité en 2014. Finalement, il avait été conclu, après plus d’un an de négociations, que l’Agrocité déménagerait sur un nouveau site à Gennevilliers en mars.
Mais la préfecture des Hauts-de-Seine a décidé de hâter le pas en dépêchant ce lundi les forces de l’ordre, accompagnées d’un huissier. « Ils ont débarqué comme des sauvages, dès huit heures du matin quand personne n’était là et sans autorisation !” s’insurge Constantin Petcou, revenu de Londres en urgence. L’architecte Anna-Laura Bourguignon, autre membre d’AAA, est tout aussi choquée : “ Nous n’avons pas reçu d’avis de mise en demeure, la procédure est très violente.” Quant au terrain de Gennevilliers, il n’est pas encore exploitable dans l’immédiat. “Nous avons informé la mairie de Colombes des démarches en cours. Notre déménagement était imminent, il nous fallait encore un peu de temps”, se désole Anna-Laura.
De son côté, la mairie de Colombes assure que la déconstruction se fait dans le respect du bâtiment, le mobilier et les éléments de la structure étant transportés pour être stockés à Gennevilliers. “On ne pouvait plus se permettre de repousser indéfiniment la rénovation urbaine du quartier. L’intervention a été déclenchée directement par la préfecture, elle n’est pas de notre fait. L’association n’a pas été prévenue car ce n’est pas la procédure en cas d’expulsion”, explique l’un des membres du cabinet de Nicole Goueta. La maire s’est félicitée pour sa part de la tournure des événements affirmant « ce n’est pas Notre-Dame-des-Landes et, ici, les décisions de justice sont appliquées : l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers !” Après cet envol de Colombes contraint et forcé, l’Agrocité espère maintenant se poser au plus vite à Gennevilliers et continuer à creuser son sillon dans la durée.
Plus d’infos sur la suite de l’aventure R-Urban sur www.r-urban.net et sur Facebook
20 février 2017