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Pour Fanny Cohen, directrice de Handilab, le handicap et son approche concernent tout le monde

À Saint-Denis, à deux pas du village olympique et de la gare de Saint-Denis–Pleyel, emblématique du Grand Paris Express, un nouveau lieu a ouvert ses portes en décembre : Handilab. Le but : rassembler startups, chercheurs et entreprises pour imaginer les solutions de demain en matière de handicap. Rencontre avec sa directrice, Fanny Cohen.

 
Fanny Cohen, directrice de Handilab, dans les locaux de l’association quelques jours avant son inauguration en décembre 2024 / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

Ce reportage s’inscrit dans le cadre d’une série de portraits de Grand-Parisiens et de Grand-Parisiennes le long de la ligne 14 du Grand Paris Express réalisés en partenariat avec la Société des Grands Projets

Au fronton de verre de cet immeuble mastodonte aux allures futuristes du cœur de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), à deux pas de la Seine et de L’Île-Saint-Denis, s’inscrit en lettres majuscules : Handilab. À l’étage, d’immenses open spaces présagent déjà de l’ébullition à venir. Car ces 13 000 m2 – espaces de coworking, showrooms, auditorium, incubateur, hubs d’innovation, laboratoires, etc. – se veulent un lieu unique au monde : le premier « accélérateur d’innovations dédié au handicap et à la perte d’autonomie » qui réunira en un lieu unique start-ups, chercheurs et entreprises, univers trop souvent imperméables les uns aux autres.

Imaginé par Fiminco, une foncière privée à qui l’on doit, entre autres, le quartier culturel FAST à Romainville (Seine-Saint-Denis), Handilab, dont l’ambassadeur n’est autre que le triple champion paralympique de tennis fauteuil Stéphane Houdet, devait à l’origine s’installer à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Mais c’est finalement Saint-Denis qui aura eu le dernier mot. Une évidence symbolique. « Nous sommes situés non loin du Stade de France et à 500 mètres du village olympique. Or, les Jeux paralympiques ont révélé à la face du monde les performances des athlètes aux corps empêchés, leur résilience, leurs parcours de vie fascinants… Cet événement a changé, en accéléré, notre regard sur le handicap. Nous nous inscrivons dans cet héritage… » Ainsi parle Fanny Cohen, nouvelle directrice de Handilab depuis quatre mois. Cette capitaine, tout en sourire et en rondeurs diplomatiques, ne cache pas son émotion. À la lecture de son CV sur LinkedIn, rien ne prédisposait pourtant cette « femme de culture », qui fut tour à tour durant 25 ans professeur de philosophie, responsable des affaires culturelles et secrétaire générale du conservatoire Darius-Milhaud à la mairie de Paris puis directrice générale du LAAC (L’atelier d’art chorégraphique), à tenir le gouvernail de Handilab. Du moins, en apparence car, pour finir, « tout fait sens », assure-t-elle.

Les espaces publics du Village olympique à Saint-Denis / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

La philosophie pour questionner la norme et la différence

Celle qui fut sûrement choisie pour son habileté à « créer des passerelles, fédérer des partenaires, construire des projets à la jonction des secteurs culturels et sociétaux », s’appuie d’abord sur sa discipline première, la philosophie, pour embrasser le handicap. « Cette discipline permet de porter un regard qui déplace le sujet. De questionner la norme et la différence dans nos sociétés de plus en plus segmentées », affirme-t-elle. L’un des fils rouges de sa carrière : le goût pour la transmission. Un autre : son appétence pour les mouvements et les corps au travers de ses missions autour de la danse. Un troisième : son amour des lieux, ces ancrages géographiques, qui concrétisent les idées sur un territoire donné. Ainsi a-t-elle participé au début des années 2010 à la réhabilitation de l’emblématique cinéma Louxor, qui a contribué à redorer le blason du quartier Barbès (18e). Alors, aujourd’hui, quelle joie pour cette ex-secrétaire générale du Théâtre national de Chaillot (16e), de voir le bâtiment de Handilab ouvrir ses portes : un lieu phare pour tous les porteurs de handicaps.

Au fil de son discours, elle parle à l’envi de « projets à impact », de « vivre-ensemble », de « fertilisation croisée ». Mais, derrière ces concepts un peu nébuleux, transparaît un vœu sincère : « Améliorer la société dans laquelle on vit : ma boussole ! » Et la voici qui s’enthousiasme déjà pour les inventions des start-up à venir, à Handilab. Losonnante, par exemple, qui a inventé des bornes pour écouter du son par conduction osseuse ; WheelMove et son ingénieux système – une petite roue ultra-mobile – pour sillonner les chemins de randonnée en fauteuil ; ou Ava, application mobile pour les sourds qui transcrit les conversations en direct sur smartphone.

« Le regard autour du handicap nous confronte à nos propres vulnérabilités »

« Derrière chaque innovation, il y a des histoires exceptionnelles ! », se réjouit-elle. On doit d’ailleurs à la prise en compte du handicap plusieurs créations révolutionnaires : la télécommande, le bouton-pression, l’éplucheur à légume ou l’essoreuse à salade… Car elle en est persuadée : le handicap et son approche concernent tout le monde. « On estime qu’il existe en France 14,5 millions de personnes empêchées. Chaque citoyen est confronté à la perte d’autonomie, que ce soit par un accident, par le vieillissement… Le regard autour du handicap nous confronte à nos propres vulnérabilités, nos finitudes… », explique-t-elle.

Parce qu’il s’adresse à tous, Handilab (en partenariat avec l’Essec, l’ISC Paris, etc.) se veut un écosystème riche, en trois volets : la recherche, l’incubateur pour start-up, mais aussi l’animation pour le grand public, avec des masterclass, des conférences, des moments artistiques car, pour Fanny Cohen, « la culture, la danse, le cinéma, les jeux vidéo participent à changer notre vision du handicap ».

Pour rendre tout cela possible, il fallait bien sûr une accessibilité optimale de ce nouveau bâtiment. D’abord dans l’infrastructure elle-même, via des plans tactiles pour non-voyants, des applications mobiles, mais aussi et surtout par sa position géographique au cœur de ce qui s’impose comme l’un des futurs centres du Grand Paris, à proximité de la gare de Saint-Denis–Pleyel dessinée par l’architecte Kengo Kuma et qui incarne une nouvelle génération de gares inclusives. Fanny Cohen se réjouit du prolongement de la ligne 14, qui désenclave assurément le territoire, de l’arrivée de la future ligne 15 du Grand Paris Express qui passera à proximité immédiate du bâtiment, ou encore de l’ouverture du franchissement urbain Pleyel et de la rénovation de la gare SNCF de Saint-Denis. Ce sont pour elle des signaux clairs de l’amélioration nette de l’accessibilité des transports grand-parisiens pour les personnes à mobilité réduite. Et aussi de la reconfiguration de la capitale par l’émergence du Grand Paris, qui permettra de rapprocher les citoyens des transports et des services. Dans cette future mégapole, le handicap et l’inclusion seront au cœur… Tout un symbole.

Infos pratiques : Handilab, 84, rue Charles Michels, Saint-Denis (93). Plus d’infos sur handilab.com

Le parvis de la gare de Saint-Denis–Pleyel / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

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