Ils étaient les chouchous des Grand-Parisiens (et des Français) lors du premier confinement. Rien de mieux que les commerces de proximité pour faire ses emplettes. À la Ferme des 4 étoiles à Auffargis (Yvelines), la fréquentation avait d’ailleurs explosé. Une demande telle que son propriétaire Jean-Baptiste Galloo ouvrait sa boutique de produits locaux jusqu’à six jours sur sept. Sans compter le système de livraisons à domicile gratuites pour les personnes à risques et le personnel soignant. Plus au nord du département, à Verneuil-sur-Seine, Bénédicte Deglas, propriétaire du magasin de jouets Zébulon & Miss Coquette, avait elle aussi profité de l’engouement pour son service de livraisons à domicile mis en place en urgence en mars.
« On espère que le soufflé ne va pas retomber », craignait toutefois Jean-Baptiste Galloo fin juin. Mais dès le déconfinement, « la fréquentation a baissé car certains clients ont repris leurs anciennes habitudes. » Un phénomène qui ne surprend pas Olivier Razemon, journaliste et auteur de Comment la France a tué ses villes. « C’était une solution facile d’effectuer ses achats dans des commerces de proximité, il y avait une confusion entre le kilomètre autorisé pour les balades et la possibilité de faire ses courses en-dehors de ce périmètre. » Aujourd’hui, les mêmes commerces de proximité s’interrogent sur leur capacité à survivre à ce nouveau confinement face aux grandes surfaces et aux géants du web comme Amazon. D’autant que les fêtes de fin d’année approchent à grands pas. « Je ne pensais pas que ce serait possible de nous reconfiner maintenant, surtout à la période de Noël. Pour moi, c’est le moment de faire ma trésorerie pour l’année ! », souligne Bénédicte Deglas.
L’avènement du click & collect
Pas question de jeter l’éponge pour autant. Les commerçants s’appuient sur tous les leviers possibles pour sauver le chiffre d’affaires de cette fin d’année. « J’ai tout de suite remis en place les systèmes de click & collect et de livraisons. Et j’ai mis un gros coup de collier côté communication via des mails, des SMS… J’ai tiré les leçons du premier confinement ! », explique la commerçante yvelinoise. Un service de commande en ligne et de récupération des achats sur le pas de la porte des boutiques qui se généralise. Le réseau Librest, qui regroupe 13 librairies dans le Grand-Paris, propose ainsi 350.000 livres à la vente. Même les fleuristes s’y mettent, à l’image du Jardin de Célia, installé dans le centre-ville de Poissy (Yvelines).
Avec parfois, la nécessité de créer un site web marchand ou une vitrine en ligne, pour faciliter les achats des consommateurs. « J’avais fait le choix de ne pas avoir de site e-commerce. Là, j’ai décidé de créer un catalogue en ligne pour mes quelque 3.000 produits. Mais ça prend un temps fou, témoigne Bénédicte Deglas. Je réfléchis aussi à mettre en place le paiement en ligne. Mais en tant que boutique de quartier, ce n’est pas mon cœur de métier. » Certaines entreprises se proposent donc de voler au secours des commerçants de proximité, pas toujours à l’aise avec le numérique. L’agence de communication digitale Les Others Studio a inauguré des webinaires gratuits pour « lancer une boutique en ligne en une journée. » Face à l’afflux de demandes dès les premières heures du confinement, le président de Les Others a annoncé la mise en ligne d’un article détaillé sur la marche à suivre, accessible par tout commerçant intéressé.
L’apparition des centres-villes virtuels
De son côté, la fondatrice du blog Ma Petite Banlieue, Sandrine, donne à nouveau de la visibilité aux boutiques locales franciliennes sur son compte Instagram, comme au printemps dernier. « Suite à mon dernier IGTV [vidéo postée sur Instagram, Ndlr], je continue de réfléchir avec mon conjoint à une plateforme pour des associations de commerçants proposant la livraison et la vente à emporter, confie-t-elle. L’idée est de mutualiser et rendre accessible la vente en ligne sur le long terme via un site qui donne envie ! Un peu comme des centres-villes virtuels. On est en contact avec plusieurs commerçants intéressés ! » Une idée de centre-ville numérique qui émerge un peu partout en France, comme à Limoges, qui a inauguré le 5 novembre un « mini Amazon local », réunissant sur la plateforme « Shop in Limoges » une quarantaine de commerçants.
C’est aussi une idée développée à l’échelle nationale par Ma Ville Mon Shopping depuis 2017. Cette plateforme en ligne créée par La Poste donne de la visibilité aux boutiques locales et leur permet de vendre en ligne leurs produits. « Les commerçants peuvent s’inscrire sur la plateforme eux-mêmes ou alors bénéficier d’un contrat souscrit par les chambres de commerce et d’industrie ou les communes », explique Anne-Sophie Maille, chargée de la communication de La Poste en Île-de-France. 270 communes en France ont d’ores et déjà souscrit à ce contrat, dont quatre du Grand Paris : Garches (Hauts-de-Seine), Marly-le-Roi (Yvelines), Le Vésinet (Yvelines) et Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Un service ouvert « sans frais d’inscription ni d’abonnement et sans engagement à tous les commerçants, artisans et producteurs de France qui souhaitent vendre leurs produits en ligne ».
Une numérisation stratégique
Les collectivités s’activent aussi. À Verneuil-sur-Seine, l’association des commerçants locaux est en relation régulière avec la mairie. Cette dernière a lancé un appel d’offres afin de créer une plateforme digitale pour l’ensemble des commerces vernoliens. « Cela nous permet de mutualiser les coûts. Et même si on aura probablement rouvert d’ici à la mise en place de cette plateforme, si reconfinement il y a à l’avenir, on sera prêts !, assure Bénédicte Deglas. La Région Île-de-France n’est pas en reste avec sa plateforme IDF Solutions Covid-19, dédié notamment aux artisans et aux commerçants. L’objectif est de recenser les solutions pouvant être utiles à ces professionnels, de la livraison à domicile aux systèmes de paiement à distance en passant par les centres-villes virtuels. La Région continue également d’attribuer ses « chèques numériques pour un commerce connecté ». D’un montant pouvant aller jusqu’à 3000€, ils servent à financer des outils digitaux comme la création d’un site Internet ou l’abonnement à des logiciels de gestion en ligne.
A l’échelle nationale, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a promis une enveloppe de 100 millions d’euros dédiée à la digitalisation des commerces de proximité. Avec l’objectif de passer d’une boutique sur trois digitalisée aujourd’hui à plus de 50%. Une décision saluée par Francis Polombi, président de la Confédération des commerçants de France. « Les mesures économiques du gouvernement vont dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin. On a demandé la participation d’Amazon et d’Alibaba à un fonds de solidarité pour nous permettre d’accélérer notre digitalisation. Les commerçants, indépendants ou franchisés, y compris les supérettes des centres-villes, font vivre l’économie locale. » Un point de vue partagé par le journaliste Olivier Razemon. « Les commerces de proximité alimentent l’économie locale et participent à rendre la ville agréable et dynamique. » Un apport économique résumé par la Semaest (société d’économie mixte de la Ville de Paris spécialisée dans la revitalisation du commerce et de l’artisanat de proximité) qui rappelait dans un tweet du 2 novembre que sur 100€ dépensés, 48€ sont injectés dans l’économie locale si les achats sont effectués dans un commerce de proximité indépendant. Un chiffre qui tombe à 14€ lorsque les achats sont réalisés chez un commerce issu d’une chaîne et à seulement 1€ lorsqu’ils passent par une plateforme en ligne, à condition que « le livreur réside localement. »
Des consommateurs de plus en plus sensibles à l’achat local
Mais de cette crise sanitaire et des deux confinements de l’année 2020, une évolution durable des modes de consommation pourrait finalement émerger. « Je perçois que mes clients s’inscrivent dans cette démarche de consommer local. Les autres commerces de Verneuil-sur-Seine aussi le remarquent », note Bénédicte Deglas, membre du bureau de l’association des commerçants de la ville. Des signaux faibles qu’Olivier Razemon capte aussi depuis le printemps dernier. « Une tendance manifeste en faveur de l’achat de produits locaux émerge. Elle est concomitante à l’envie de mieux se nourrir, quand on le peut financièrement, mais répond aussi au souhait de connaître ces produits locaux, uniques, qui ne sont pas des produits lambda issus de la mondialisation. »
Des transformations qui vont de pair avec une mutation sociétale plus profonde qu’il observe également. « Cette envie de proximité, au moins d’une partie de la population, va de pair avec davantage de déplacements à vélo et de contacts avec ses voisins. » Le 31 octobre dernier, il écrivait dans une chronique publiée dans Le Monde que la « société a changé » et que « les villes moyennes et petites sont devenues plus désirables que les métropoles », comme le montre l’engouement pour les achats de maisons avec jardin au lendemain du confinement. « Les petits et moyens centres-villes sont d’ailleurs ceux qui se sont le mieux maintenus durant le premier confinement, constate-t-il. Je crois beaucoup à l’implication des citoyens, au-delà des décisions politiques. Ils ont un vrai rôle à jouer en se posant cette question : « De quelle manière vais-je voter aujourd’hui dans la façon dont je fais mes courses ? »
Ce n’est pas la fondatrice de Zébulon & Miss Coquette qui dira le contraire. « Notre carburant, c’est le lien créé avec nos clients, pas juste notre chiffre d’affaires. Notre métier, ce n’est pas de faire de l’Amazon. Nous, on entretient des liens, on donne le petit bonbon qui fera plaisir à l’enfant, on sourit derrière nos masques quand on livre les commandes. Il ne faut pas nous couper trop longtemps de nos clients. C’est ce qui nous booste au quotidien. »
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6 novembre 2020