Marion Voillot, designeuse, spécialiste des sciences de l’éducation et doctorante au sein du Centre de recherches interdisciplinaires à Paris
Les transformations dues à la révolution numériques et l’épidémie de Covid-19 a nous invitent à repenser les lieux et formes d’éducation. Désormais, il ne s’agit plus d’animer l’éternel débat autour de l’intégration, ou non, des outils numériques aux pratiques pédagogiques. Grâce à la multiplication des interfaces mobiles (ordinateur, smartphone, tablette) équipés d’une connexion Internet, on peut apprendre partout
Où est-ce que l’on apprend ? Quand est-ce que l’on apprend ? Avec qui et comment peut-on apprendre ? L’architecte Fiona Meadows, responsable de programmes à la Cité de l’architecture et du patrimoine, éclaire ces questions qui sont aujourd’hui au cœur du débat public à travers une exposition intitulée « Trop classe », présentée à Paris au MAIF Social Club jusqu’au 13 février.
Le choix de cette expression interroge volontairement la notion de transmission : « elle peut être vue comme positive, synonyme de “Génial !”, mais elle peut aussi se lire comme la contraction de “trop de classe”, renvoyant à un “trop plein”, une présence excessive de la “forme scolaire” », explique la commissaire.
La scénographie s’organise ainsi autour d’une agora, dans laquelle on retrouve certains lieux clés de l’école – la salle de classe, le préau, le “coin sieste”, ou encore la bibliothèque – mais revisités grâce aux œuvres des artistes comme Filipe Vilas-Boas ou Bonnefrite, et ouvrant sur de nouvelles expériences à la fois tangibles et numériques.
Au centre de l’exposition, les enfants peuvent appréhender la notion de communication grâce à la manipulation de formes en volumes éparpillées dans l’espace. Composé de cercles, de bâtons ou de virgules, ce Sign System, conçu par le studio smarin, s’inspire librement de l’alphabet tangible créé au XIXe siècle par le pédagogue allemand Friedrich Fröbel et permet de former des mots en français et en arabe.
À l’heure où l’on peut dialoguer en temps réel avec des personnes à l’autre bout de la planète, se pose également la question du passage et de la traduction d’une langue à une autre. L’enjeu est d’inviter les enfants à jouer avec le langage, de s’interroger sur la façon dont on peut faire communauté grâce à l’association de formes, vers la création d’un langage commun.
« Bien avant que l’écriture ne se démocratise, la transmission s’appuyait sur la parole »
Bien avant que l’écriture ne se démocratise, la transmission s’appuyait sur la parole. Un échange direct également transformé par les nouvelles technologies comme les assistants vocaux. À l’image du code informatique, composé de 0 et de 1 (aussi appelé langage binaire), le dialogue avec ces machines conversationnelles se codifie avec l’usage de formules toutes faites : « Dis Siri… ? », « Hey, Google, est-ce que tu peux… ? »
Mais l’utilisation d’outils numériques permet aussi de conserver toute la spontanéité du dialogue avec un enfant, comme en témoignent les entretiens réalisés par Valérie Mréjen et Mohamed El Khatib. Dans ces vidéos projetées sur un mur de l’exposition, les enfants sont interrogés de manière bienveillante sur des sujets du quotidien comme la dispute, ou leur manière d’expliquer certaines expressions idiomatiques comme « La peau de l’ours ».
A l’ère du numérique, l’intelligence du faire et de la main est également à l’honneur. Les fab labs, ces tiers lieux de fabrication numérique, fleurissent un peu partout en France. Ce sont des espaces accessibles à toutes et tous qui promeuvent l’apprentissage par le « faire » (ou « Learning by doing ») grâce à l’utilisation de machines numériques – découpeuses laser, imprimantes numériques, etc. – et la diffusion de la philosophie « open-source ». Avec l’épidémie de Covid-19, ces tiers lieux se sont démocratisés et sont devenus des lieux de production, de blouses et de masques par exemple, comme le souligne une tribune récente publiée sur Le Monde.
On retrouve au cœur de l’exposition « Trop Classe ! » le « Mobilab » du designer Victor Bois, lauréat de la 7e édition du concours MiniMaousse sur le thème de l’inclusion numérique. Ce fab lab mobile part à la rencontre des acteurs et actrices des territoires dans lesquels il s’implante autour de projets collaboratifs.
« Les outils numériques incitent à un changement de posture de la part de l’enseignant »
Les outils numériques incitent à un changement de posture de la part de l’enseignant. Puisque l’information est facilement accessible sur Internet, l’enseignant n’est plus le seul maître du savoir. C’est sur cette idée que s’appuie la classe inversée. Dans cette pratique pédagogique, les élèves étudient les leçons à la maison et font les activités en classe, ce qui leur permet de pouvoir poser des questions ou de travailler en groupe plus facilement.
Reprenant le principe de la classe inversée au sein de l’exposition, l’artiste Bonnefrite nous invite à venir dessiner à la craie sur le traditionnel tableau noir de la classe. Tout au long de la visite, on est invité à participer à l’exposition, tout comme l’élève doit adopter une posture active en classe.
Pour prolonger l’interaction, des applications sur tablettes sont disponibles au centre de la scénographie. Sélectionnées par la Souris Grise, référence dans le numérique éducatif, ces applications permettent aux enfants de développer leurs « soft skills », telles que la collaboration ou l’esprit critique. Elles côtoient alors les livres sur les étagères (inventés par les mêmes créateurs que les applications). Il ne s’agit donc plus d’opposer culture du livre et culture numérique mais de les associer dans un même espace, au sein d’une même culture.
« Le jeu est aujourd’hui utilisé comme un réel outil pédagogique, de la maternelle à la formation continue »
Cette exposition, à la fois ludique et pédagogique nous démontre formellement que le jeu est LE vecteur des apprentissages. Bien que mise en avant par les pédagogies alternatives depuis plus d’un siècle, la notion de « jeu » a pourtant été trop longtemps délaissée de nos systèmes éducatifs. Depuis l’apparition des jeux vidéos et l’engouement autour des « serious games » et autres « escape games », le jeu est aujourd’hui utilisé comme un réel outil pédagogique, de la maternelle à la formation continue.
Le jeu nous apprend ainsi que l’alternance d’essais et d’erreurs est source de motivation et de mémorisation dans le processus d’apprentissage – à l’inverse de la punition « bête et méchante », comme le souligne l’œuvre de Filipe Vilas-Boas intitulée The Punishment. Dans cette œuvre, un bras robotique recopie à l’infini un message de prévention pour apprendre qu’il est interdit de blesser un humain (soit la première loi d’Azimov de la robotique). Quel serait donc le sens d’une sanction qui peut être accomplie par une machine ?
Enfin, dans une petite salle presque dissimulée, les visiteurs et visiteuses sont invités à rêver. Grâce au « Kairos » de smarin. la lumière est régulée en fonction du rythme cardiaque. Cet espace nous invite ainsi à nous (re)poser pour réguler notre anxiété, alors que le sommeil est de plus en plus mis en péril par notre temps d’écran. Cette réflexion permet de valoriser le repos, un moment essentiel à l’assimilation des apprentissages.
Les évolutions récentes bousculent les pratiques pédagogiques, nous invitant ainsi à repenser les lieux de transmission comme des espaces ouverts sur les autres et sur l’extérieur, la ville et les territoires, qu’ils soient tangibles ou virtuels. L’école devrait aujourd’hui permettre à chacun de construire son parcours de manière interactive, individuelle et autonome à l’image du parcours proposé au sein de cette exposition.
Infos pratiques : Exposition « Trop classe » au MAIF Social Club, 37 rue de Turenne, Paris (3e). Jusqu’au 13 février. Entrée libre. Fermé le dimanche. Accès : Métro Saint Paul Ligne 1. Plus d’infos sur maifsocialclub.fr
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original
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12 octobre 2020 - Paris