Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis
Jeudi 2 avril, Jérôme Salomon, directeur général de la Santé annonce sans plus d’explication une surmortalité exceptionnelle dans 2 départements : la Seine-Saint-Denis (93) et le Haut-Rhin (68). Il anticipe la publication par l’Insee, le lendemain, des chiffres de mortalité par département. Une transparence macabre mais nécessaire. A quoi bon tenter de cacher des chiffres qui seront connus de tous dans quelques semaines ? La transparence, c’est aussi la condition nécessaire de la confiance. Et notre démocratie, bien malmenée ces derniers temps, a besoin de confiance.
Plus 63 %. C’est la hausse des décès transmise par voie dématérialisée entre la semaine du 14 au 20 mars et celle du 21 au 27 mars pour la Seine-Saint-Denis. Il s’agit de la plus forte progression d’une semaine sur l’autre. Plus 47%. C’est la hausse des décès, toujours d’après l’Insee, quand on compare les mois de mars 2019 et de mars 2020. Cela place la Seine-Saint-Denis d’emblée dans un trio de tête dont elle se serait bien passée, juste derrière le Haut-Rhin et l’Oise (60), où l’épidémie a frappé bien avant.
« Les idées reçues contre la Seine-Saint-Denis ont, nous le savons, la peau dure »
Ainsi, la Seine-Saint-Denis se retrouve encore une fois sous le feu de l’actualité. Déjà, certains oiseaux de mauvais augure avaient pointé du doigt les habitants des quartiers populaires, boucs émissaires faciles, qui ne respecteraient pas le confinement. De là, comme le Préfet Lallement, à considérer que certains (« ces salauds de pauvres » ?) se retrouvent à l’hôpital par leur faute, il n’y a qu’un pas allègrement franchi par quelques-uns, souvent ceux qui ne connaissent notre territoire qu’à travers de bons vieux clichés. Les idées reçues contre la Seine-Saint-Denis ont, nous le savons, la peau dure.
J’ai dénoncé cette stigmatisation insupportable et je considère que de nombreuses habitantes et habitants du département sont bien plus méritants à respecter le confinement que tous ceux qui ont pu s’échapper dans leur résidence secondaire avec jardin. Néanmoins, ces chiffres, qu’il faut prendre avec toutes les précautions d’une analyse à chaud et manier avec prudence, sont venus nous glacer le sang et nous devons chercher à en comprendre les causes. Rendre publics des chiffres bruts n’exonère en effet pas d’explications. Ce n’est pas le virus qui fait la différence entre un habitant de la Seine-Saint-Denis et un autre.
« Rendre publics des chiffres bruts n’exonère pas d’explications »
La question du respect du confinement est une fausse piste, tout à fait marginale. D’abord parce qu’il est aussi respecté qu’ailleurs, et ensuite parce que nombre des personnes décédées du COVID19 en mars ont dû être contaminées avant le confinement, compte tenu des délais d’incubation et de progression de la maladie.
Avec une population jeune, la Seine-Saint-Denis a habituellement un taux de mortalité moins important que d’autres départements. Ainsi, en mars 2019, il y a eu 636 décès en Seine-Saint-Denis quand il y en avait 817 dans les Hauts-de-Seine (92) ou 771 dans le Val-de-Marne (94), pour prendre des départements qui ont respectivement 1,6 million d’habitants et 1,4 million d’habitants, soit un nombre quasi identique à celui de la Seine-Saint-Denis et sont dans la même région et dans un environnement urbain.
Les taux d’augmentation en chiffre brut pour la Seine-Saint-Denis sont inévitablement plus élevés quand le nombre de décès reste lui plus bas en mars 2020 : 940 dans le 93, 1179 dans le 92 et 979 dans le 94 pour reprendre les mêmes départements. S’il l’on reste sur une comparaison stricte entre mars 2019 et mars 2020, qui permet de mesurer l’impact de l’épidémie en cours, on arrive à +47,8% pour le 93 et + 44,3% dans le 92. Mais à une différence de taille près : la jeunesse de la population de la Seine-Saint-Denis par rapport à celle du 92 devrait, toutes choses égales par ailleurs et compte tenu du lien qui semble exister entre l’âge et le taux de létalité du COVID19, préserver le département de ces taux catastrophiques.
« La gravité de l’épidémie en Seine-Saint-Denis, c’est d’abord le prix de la pauvreté, c’est le prix des inégalités »
C’est bien ce qui reste alarmant car ces premiers chiffres indiquent que notre département risque de payer un plus lourd tribut que d’autres. La gravité de l’épidémie en Seine-Saint-Denis, c’est d’abord le prix de la pauvreté, c’est le prix des inégalités, à tous les niveaux, avec des répercussions évidentes sur la santé publique. Avec un taux de pauvreté de près de 30%, notre département a des indicateurs de santé plus dégradés qu’ailleurs, avec notamment des taux de mortalité infantile nettement supérieurs au niveau national ou encore une surmortalité très significative pour de nombreuses pathologies comme le cancer.
Ces indicateurs de santé publique défavorables sont en partie induits par un moindre recours aux soins dans le contexte d’un système de soins sous-doté, qui rapproche la Seine-Saint-Denis de certains déserts médicaux ruraux. Plus de la moitié des communes du département se trouve dans une zone d’intervention prioritaire de lutte contre la désertification médicale. Nous sommes le département de France qui a la plus faible densité d’infirmiers libéraux. La densité de médecins généralistes y est inférieure de 20% à la densité nationale, et c’est encore pire pour certaines spécialités, avec un report en temps normal qui se fait déjà sur l’hôpital, et en particulier les urgences.
« Les habitants de notre département exercent des métiers en première ligne aujourd’hui »
La mobilisation des personnels hospitaliers avant la crise a été particulièrement suivie en Seine-Saint-Denis. Le nombre d’affaires médicales traitées par le SAMU n’a cessé d’augmenter ; il a été multiplié par 2 en 15 ans. Et pendant la crise, révélatrice, le nombre d’appels au SAMU est au moins deux fois supérieur à celui du 92 et du 94. A ces inégalités de santé, se superposent les inégalités économiques. Les habitants de notre département exercent des métiers en première ligne aujourd’hui : caissiers, livreurs, ambulanciers, infirmiers… Ils sont soudainement sortis de l’ombre mais cette lumière les laisse aussi plus vulnérables face à l’épidémie. Enfin, les conditions de vie et de logement ont sûrement un impact dans les contaminations, notamment intra-familiales, qui sont favorisées par de nombreuses situations de promiscuité.
En un mot, oui, les inégalités tuent et cette crise sanitaire ne fait que le révéler cruellement et brutalement. Face à cette situation, à la colère légitime – qui est aussi la mienne – doit être préférée l’action. Nous menons de nombreuses actions pendant cette crise avec les collectivités, les associations, les services locaux de l’Etat, les entreprises, les citoyennes et les citoyens. La tradition de solidarité qui est ancrée dans l’ADN de notre département n’a pas failli. Mais il faudra aussi des actions après la crise.
Au-delà d’un indispensable plan de rattrapage sur les questions de santé, c’est sur tous les fronts des inégalités que nous devrons agir en même temps : éducation, économie, logement, services publics… Chacun connaît aussi les atouts indéniables dont notre territoire dispose pour rebondir. Je pense en particulier aux mesures annoncées en septembre dernier par le Premier Ministre pour rattraper les retards déjà constatés dans le rapport parlementaire Cornut-Gentille. Nous avions déjà dit qu’il faudrait aller plus vite, plus loin, plus fort. C’est désormais plus qu’une évidence, c’est une urgence. Pour la cohésion de notre nation, la démocratie dans notre pays, cette France à deux vitesses n’a pas d’avenir après la crise.
5 avril 2020