Ruedi Baur, designer et chargé de concevoir la charte graphique du système d’information voyageurs du Grand Paris Express
La crise sanitaire a révélé d’extrêmes différences dans la manière de traiter les citoyens dans les pays démocratiques. Nous aurons certainement, dans les mois à venir, à approfondir l’analyse des dégâts collatéraux de ce temps où seule la gestion de la non-contamination comptait. Il nous faudra comparer les conséquences civiques, sociales, psychologiques, écologiques, économiques mais également médicales de ces différents traitements politiques de la crise.
Deux mois d’enfermement, parfois dans des conditions extrêmes, n’est pas sans conséquences sur les comportements mentaux. Il sera intéressant d’observer le niveau de confiance envers les différents gouvernements, les taux d’insatisfaction et leurs raisons, les révoltes et les protestations, les démissions et les retraits comme la capacité des peuples à se redresser et à anticiper de nouveaux risques de crises. Nous savons qu’ils existent, et pas uniquement dans le domaine sanitaire. Il s’agit de rendre intelligible de réelles alternatives politiques au sein de nos démocraties afin de permettre les nécessaires évolutions des comportements humains sur notre planète.
« Nous pouvons voir à l’oeuvre tous ceux qui profitent de la crise pour passer en force des autorisations de polluer, d’exploiter ou de réduire durablement les libertés »
Dès à présent, nous constatons le renforcement des égoïsmes nationaux, les constructions d’ennemis poussées parfois jusqu’à l’immonde, comme nous le montrent les tweets et autres déclarations de certains gouvernants des pays pourtant les plus puissants. Nous pouvons également voir à l’oeuvre tous ceux qui profitent de la crise pour passer en force des autorisations de polluer, d’exploiter ou de réduire durablement les libertés. Mais au-delà de ces sinistres stratégies extrêmes qui nous rappellent les pires moments du siècle passé, il nous faut pour qualifier nos démocraties comparer la manière dont les citoyens de chaque pays sont considérés, la manière également dont ils sont informés, comment les responsables politiques s’adressent à eux et la responsabilité qui leur est confiée.
Soumis à la même pression sanitaire, nous assistons, dans des pays européens pourtant voisins, d’un côté à la spoliation totale des libertés et de l’autre à une approche où chacun est invité à prendre ses responsabilités en restant chez soi et en portant un masque. Deux attitudes fondamentalement différentes sur le plan civique, l’une qui déresponsabilise le citoyen qui cherchera à déjouer les ordres tandis que l’autre le traite de manière digne et responsable.
En ce sens, il est intéressant de comparer les discours des principaux responsables politiques des pays démocratiques. Ils vont de l’appel à la solidarité et à la raison à la demande d’acceptation des règles que l’État, sur les conseils des scientifiques, serait soi-disant forcé d’imposer aux citoyens, avec menace de pénalisation. Ces différences se trouvent aujourd’hui accentuer dans le processus de déconfinement. D’un côté on pousse et on fait confiance à l’initiative citoyenne, de l’autre on essaie de tout réguler par le haut et de manière centraliste en se méfiant du citoyen et en le traitant comme s’il n’était pas capable de prendre ses responsabilités.
Dans notre pays, le Président Macron avait exprimé à diverses reprises avant la crise son exaspération par rapport à ces Français si indisciplinés. Il est intéressant de constater à quel point les Français eux-mêmes restent persuadés que leur responsabilisation ne pourrait mener qu’au chaos en cette République dont la devise pourtant glorifie le citoyen digne et responsable.
« La gestion effective de la crise en France fut et reste encore extrêmement autoritaire »
Tout en abreuvant la Nation de longs discours enchanteurs aux accents patriotiques, la gestion effective de la crise en France fut et reste encore extrêmement autoritaire. Chaque prise de parole officielle est suivie par des discours des ministres de l’Intérieur et de l’Education nationale qui traduisent les propos présidentiels sous forme de règlementations empêchant toute initiative, qu’elle soit individuelle ou qu’elle vienne par exemple des enseignants.
Le plus insupportable fut la mise en scène de la répression où les statistiques du coronavirus voisinaient celles des amendes pour le non-respect à des règles quasi intenables et bien souvent contre-productives. Il n’est pas nécessaire de montrer à quel point cette gestion « top down » et centraliste de la crise a favorisé les grandes entreprises, notamment dans le domaine de la distribution. Les compensations promises par le gouvernement ne parviendront pas à compenser les manques à gagner des petites structures, des artisans, des professions libérales empêchées d’interagir avec leurs clients durant plusieurs mois. Nous nous dirigeons de ce fait vers une structure économique encore plus clairement dominée par les plus puissants.
« Enseigner aux jeunes citoyens à penser de manière autonome, à résister et à développer des initiatives responsables s’inscrit en contradiction avec la formation de petits soldats à qui l’on demande de vaincre de manière ordonnée et patriotique les crises sanitaires et économiques »
Mais puisque tout débute par l’éducation, et qu’il ne s’agit pas tant d’accuser que de regarder vers l’avant, il est essentiel de comparer la manière dont les enfants et les adolescents ont été informés et sensibilisés à la situation. Là aussi, d’énormes différences se sont faites jour, pas seulement entre les pays mais également entre les territoires. Si l’objectif des uns fut de poursuivre envers et contre tous les programmes scolaires prédéfinis, des initiatives extrêmement créatives prises par des enseignants, et soutenues par certaines administrations, ont permis de confronter les écoliers et les étudiants à ce contexte exceptionnel en les faisant réfléchir à notre monde en crise et en leur suggérant de concevoir et même d’initier des alternatives locales ou planétaires.
Enseigner aux jeunes citoyens à penser de manière autonome, à résister et à développer des initiatives responsables s’inscrit en contradiction avec la formation de petits soldats à qui l’on demande de vaincre de manière ordonnée et patriotique les crises sanitaires et économiques. Mais comme le montre les évènements actuels, il n’est pas certain que l’armée disciplinée, gérée par un pouvoir central obligé de planifier et de réguler à distance, soit plus efficace qu’un système fédéral plus apte à prendre en compte les situations spécifiques et qui laisse les citoyens informés agir de manière digne et responsable.
Notre série de dessins avec Odyssée Khorsandian s’inspire de ce quotidien extrême et de ses contradictions, le but étant de participer à ce débat encore trop timide sur nos démocraties profondément affectées.
Les autres dessins de Ruedi Baur et d’Odyssée Khorsandian sont à retrouver sur Linkedin
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1 mai 2020