Comment est née l’idée de cette étude sur les logements franciliens ?
Catherine Sabbah : Elle fait suite à une première étude “Aux confins du logement”. Lors du premier confinement, nous avons lancé un questionnaire sur la façon dont la crise sanitaire rendait le logement satisfaisant, vivable ou pas du tout. Nous avons reçu 8000 réponses et avons pu dégager trois manques dont les questionnaires se faisaient l’écho : le manque de surface, le manque de lumière et le manque d’accès à des espaces extérieurs. Ces réponses montraient que ces trois éléments avaient été potentiellement négligés au cours des vingt-trente dernières années par les promoteurs et les bailleurs. Mais comment le vérifier ? Nous avons donc décidé de regarder les plans des logements bâtis durant les deux dernières décennies. Nous nous sommes limités au territoire de l’Île-de-France et avons identifié des communes aux profils différents. Puis nous avons sollicité les architectes, les aménageurs, les promoteurs, les bailleurs pour avoir accès aux plans de leurs bâtis. 130 ont été démarchés, 24 ont répondu.
Vous constatez que le nombre de mètres carrés dans les logements a diminué. Et de façon plus drastique en grande couronne. Or on pourrait penser qu’en s’éloignant de Paris, on gagne en mètres carrés. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Effectivement, on aurait pu penser que les gens bénéficieraient de plus d’espace en grande couronne. Ce n’est pas le cas. On peut formuler plusieurs hypothèses. D’abord, celle que les budgets sont moins importants. Donc pour un T4, on aura bien quatre pièces mais sur une moindre surface. L’immobilier est si cher qu’on est en mesure d’acheter 50 ou 60 m2 mais pas 100. Par ailleurs, en grande couronne, il y a moins d’encadrement public notamment par des aménageurs qui sont parfois des garants de la qualité. Enfin, il existe une politique du chiffre. En Île-de-France, il faut sortir 70.000 logements par an. On en fait davantage si on en conçoit des plus petits.
Vous soulignez que la taille des chambres et des cuisines a diminué en vingt ans. Est-ce si grave ? Cela ne correspond-t-il pas à l’évolution des modes de vie ?
Effectivement, on pourrait se dire que les cuisines ont diminué en raison de l’évolution de nos modes de vie : en ville, on peut aller au restaurant, se faire livrer les repas… Des sociologues américains ont même réfléchi au concept du “no kitchen apartment ». Concernant la chambre, on peut aussi se dire que si la pièce à vivre est suffisamment grande, pas besoin que l’espace nuit soit conséquent. Mais la pandémie a eu un effet crash-test sur nos logements. On s’est rendus compte qu’ils pouvaient avoir d’autres usages. Qu’il n’était pas idiot, en raison du télétravail, de pouvoir installer un bureau dans sa chambre par exemple. Il faut avoir en tête le Rapport annuel 2018 de la Fondation Abbé Pierre consacré au surpeuplement des logements. Le rapport cite une étude de l’OFCE qui dit que “un élève occupant un logement surpeuplé a 40 % de risques supplémentaires d’accuser une année de retard scolaire entre 11 et 15 ans”.
Il y a quand même eu des évolutions positives en vingt ans : la taille des salles de bain a augmenté et les logements possèdent davantage d’espaces extérieurs…
Oui, il y a des vrais points positifs. La loi sur les personnes à mobilité réduite (PMR) a permis de faire gagner un mètre carré aux salles de bain, mais au détriment du reste. On manque cruellement de rangements dans le bâti de ces vingt dernières années. Quant aux espaces extérieurs, l’expérience du Covid va, espérons-le, pousser les promoteurs à en concevoir encore davantage et ce, quelle que soit la surface du logement.
Votre étude dresse un portrait assez pessimiste du logement francilien. Est-ce qu’on peut quand même dire qu’on vit correctement en Île-de-France ?
Quand, en 2017, l’INSEE leur pose la question, 76,6% des Français déclarent être satisfaits ou très satisfaits de leurs conditions de logement. Mais c’est très difficile de critiquer là où on habite. Notre lieu de vie est le reflet de ce que nous sommes, de notre statut social aussi. Donc on s’en accomode. Les gens aménagent, décorent pour que l’endroit – même s’il a des défauts – soit agréable à vivre. Or, à mons sens, ceux qui conçoivent les logements devraient réfléchir à cette idée « d’accomodement”, d’acceptation.
L’étude met aussi en avant le fait qu’on peut évaluer la “qualité” d’un logement. Quelles suites ce travail pourrait-il avoir ?
Pour déterminer la qualité, nous avons élaboré un référentiel de 200 critères. Il y a les fondamentaux comme la surface, la lumière, les espaces extérieurs dont nous avons parlé mais aussi, par exemple, des choses basiques comme la présence de fenêtres dans toutes les pièces, le périmètre meublable… En fait, je rêve et espère que cette étude pourra servir de base à l’élaboration d’un guide grand public pour les acquéreurs. Bien sûr, on achète en fonction de ce qui existe et de ses moyens financiers. Mais faire attention à la question des conflits de portes qui se cognent, au fait d’avoir assez de fenêtres pour apporter air et lumière dans une pièce… Ce sont des choses qui peuvent sembler simples mais si on n’y prête pas attention, cela peut rendre la vie impossible. Et puis cela serait intéressant que les acteurs du secteur s’en emparent. Les questions que nous posons dans l’étude sont celles que tous les acteurs du logement devraient se poser…
Infos pratiques : L’étude « Nos logements, des lieux à ménager » est à télécharger gratuitement sur idheal.fr
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4 septembre 2021