Société
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« De l’empathie pour la banlieue ! »

Journaliste, animateur, passionné de cultures urbaines… Raphäl Yem relance le magazine Fumigène qu’il avait fondé à l’aube des années 2000. Interview garantie sans écran de fumée.

« We don’t give a fuck », proclame le t-shirt d’un gamin, fumigène au poing, en couverture du numéro 1 du magazine. Message habilement provocateur car Fumigène en a tout, sauf rien à foutre. On croise ainsi au fil des pages le rappeur Kery James, le street-artiste Combo, l’humoriste Frédéric Chau, et quelques banlieusards méconnus, mais toujours engagés. En résumé : la périphérie qui crée, qui vit, qui rigole et qui revendique. Tout ce qu’apprécie Raphäl Yem (l’homme au chapeau sur la photo), fondateur et rédac’ chef de ce premier numéro dont la soirée de (re)lancement a lieu mercredi 1er juillet.

 Alors, Fumigène, c’est quoi au juste ?
Raphäl Yem
: Fumigène, c’est un projet qui est né il y a une quinzaine d’années dans la banlieue de Caen, à Hérouville Saint-Clair. J’avais lancé ce journal en mode fanzine avec une bande de potes, parce que j’aimais écrire, comme d’autres aiment jouer au foot ou danser. On avait 15 ou 16 ans, on était au lycée, on était curieux, on voulait poser des questions, être sur le terrain. On a sorti les premiers numéros sur la photocopieuse de la MJC, la nuit. A l’époque, on parlait surtout de ce qu’on aimait : la BD, les jeux vidéos, le rap… Et puis, le média a changé avec nous : après quelques années, la ligne éditoriale a évolué vers quelque chose de plus politique, de plus engagé, sur des thématiques qui nous tiennent à cœur : les clichés sur la banlieue, le vivre ensemble, les discriminations… On a diffusé le mag en kiosques pendant quelques temps, avant de devoir finalement tout arrêter : pas par ras-le-bol, mais tout simplement parce qu’on a toujours fonctionné de manière bénévole, et qu’on avait besoin de consacrer du temps à nos carrières professionnelles et à nos vies personnelles.

 

La rédaction du Magazine Fumigène
La rédaction du Magazine Fumigène

 

 Pourquoi revenir aujourd’hui ?
Parce qu’on a franchement l’impression que les choses empirent ! La stigmatisation des habitants des quartiers populaires est particulièrement forte aujourd’hui. Soit on regarde cela sans rien faire, de façon très individualiste. Soit on se bouge pour essayer de faire changer les choses, chacun avec ses armes. Dans l’équipe, on est tous des autodidactes, des gens qui ont fait un pas de côté par rapport aux écoles de journalisme. Mais on a une expertise : les quartiers, les ZEP, les ZUP, ce sont des endroits où on est né, où on a vécu, où on a grandi. On sait raconter des histoires sur ces lieux, rapporter ce qui se passe sur le terrain. Et le pas de côté, on le fait aussi dans la recherche des sujets qu’on traite.

 C’est-à-dire ?
On a une véritable volonté d’éclectisme, et ça se ressent dans le choix de nos articles. Dans Fumigène, on croise des Noirs, des Arabes, des Juifs, des athées, des jeunes, des vieux, des stars ou des inconnus, oui. Mais ce sont toujours des gens qui font avancer les choses. Et qui changent l’image des quartiers, parce qu’ils ont de l’empathie pour la banlieue ! Ils agissent positivement, chacun dans leur domaine. On raconte par exemple l’histoire de Francis Ogé, le seul cuisinier Noir de l’Elysée. Ou celle d’Amal Bentousi, qui lutte contre les bavures policières.

 On peut également lire un long entretien avec la secrétaire d’Etat à la politique de la Ville : ce n’est pas compliqué, pour un mag indépendant et associatif, d’obtenir ce genre d’interview ?
Si, un peu évidemment ! Mais l’équipe est composée d’individus qui ont fait leur trou chacun dans leur domaine, qui ont acquis à la fois une street-cred et une crédibilité médiatique : ça aide. Pour nous, c’était important d’avoir cet entretien dans ce premier numéro, de mettre une ministre de gauche face à des questions qui fâchent… Et c’est une formule au long cours qui permet de prendre le temps de la réflexion, on retrouvera d’ailleurs ce format dans les prochains numéros.

 

DR

 Vous avez déjà une idée du contenu du suivant ?
On prévoit la sortie du prochain numéro pour octobre. L’automne 2015, c’est une date symbolique : ce sera le dixième anniversaire de ce que les médias mainstream nomment « les émeutes de 2005 », et que nous préférons appeler des révoltes de quartiers populaires. Il y aura forcément une référence à Zied et Bouna (1) : nous avions des « insiders » qui ont suivi le récent procès des deux policiers, et qui raconteront cet épisode judiciaire. Et ce sera aussi l’occasion de revenir sur ces événements, d’une façon forcément différente des grands médias généralistes.

 Les jeunes de banlieue, justement, c’est un peu le cœur de votre lectorat ?
Totalement. On sait bien que la presse papier n’a plus trop le vent en poupe en ce moment, sauf si c’est gratuit. Alors on fait un mag gratuit, et on le distribue dans un certain nombre de points relais : des boutiques, des lieux culturels… Il y en a pas mal à Paris, en particulier dans les arrondissements populaires. Dans les banlieues, on essaye de le distribuer de la main à la main, sur des événements sportifs ou musicaux. On les dépose aussi dans les centres sociaux, les MJC… On nous en a même réclamé en province, à Marseille, Lyon, ou Morlaix : là, on fait plutôt marcher nos réseaux et la débrouille, parce qu’on n’a pas les fonds pour la distribution. Le projet est uniquement financé de nos poches ! Le succès démontre qu’on peut faire de belles choses avec de l’engagement et de la volonté.

Magazine Fumigène(1) Deux jeunes décédés à Clichy-sous-Bois alors qu’ils se cachaient dans un transformateur électrique, après une course-poursuite avec la police.