« Je suis suivie à la Maison des Femmes de Saint-Denis depuis deux ans. Quatre ans après la séparation d’avec mon ex-conjoint, j’en ai franchi la porte car j’avais subi des violences de sa part. Il aimait avoir le contrôle. J’étais limitée dans mes choix de maquillage, de vêtements, de parfum, surtout lorsque je sortais sans lui. En dépit de la séparation, j’avais intégré cette façon de vivre. J’étais dans un gros mal-être. La Maison des Femmes m’a aidée à prendre soin de moi, à regagner l’estime que j’avais perdue. Cela a été le premier pas d’un processus de guérison.
Un jour que j’arrive sur place, je vois, à l’accueil, un prospectus sur le projet Vénus. Comme à la Maison des Femmes il y a beaucoup d’ateliers proposés, je pensais qu’il s’agissait d’une session de sculpture. Et puis j’ai compris que Prune Nourry, l’artiste responsable du projet, nous demandait de poser pour elle. De poser nues. Pour moi, ça a été un non catégorique. Une soignante me conseille quand même de regarder plus en détail le projet, d’y réfléchir. Une semaine après, je retombe chez moi sur le dépliant. Je le lis et je trouve cette idée de représenter le corps de femmes de Saint-Denis, d’une façon inspirée des Vénus du paléolithique, très belle.
Les jours avaient passé aussi. Quand je me décide, je crains qu’il n’y ait plus de place pour prendre part à cette aventure. Heureusement, il en reste deux. Demeure néanmoins un problème : l’atelier de Prune Nourry se situe à Saint-Denis, ville qui se rattache à des souvenirs douloureux pour moi. Alors bien sûr, la Maison des Femmes se trouve aussi à Saint-Denis, mais plus en lisière. Là, je dois vraiment rentrer dans la ville et ça m’angoisse. Lors de notre première rencontre, je fais part de cette peur à Prune. Je suis au bord des larmes. On discute et je comprends que je suis face à une belle personne, douce, bienveillante, à l’humour pétillant. Elle m’écoute, m’explique tout son projet et, très rapidement, je sens que je suis à ma place. Ensemble, on parle de nos vies, de nos combats, de nos enfants. Et elle me propose de faire partie des grands modèles, ceux qui nécessitent trois jours de travail.
« Cette expérience m’a donné un regain de confiance en moi. Prune m’a représentée dans les moindres détails. C’est mon corps, à l’identique, avec toutes ses rondeurs »
Me voici donc, pour ce premier jour, debout sur l’estrade, posant nue. Prune m’a proposé des sous-vêtements avec des démarcations invisibles. On est au mois de juin. Par la fenêtre, un magnifique soleil illumine l’atelier. Un rai de lumière tombe sur le visage de Prune et je la trouve très belle, concentrée sur son travail, en train de sublimer la matière. Et je vois qu’elle aussi me trouve belle. Chaque jour est différent. Alors je viens avec un petit calepin pour noter les émotions qui me traversent. Nous ne sommes que toutes les deux et je me dis qu’en un sens, on est un peu pareilles, elle et moi. Moi, j’aime beaucoup prendre soin des plantes. Je leur choisis une bonne terre, un pot, le bon ensoleillement pour qu’elles grandissent bien. Prune aussi choisit la terre adéquate pour représenter son modèle et elle le met dans la lumière.
Cette expérience m’a donné un regain de confiance en moi. Prune m’a représentée dans les moindres détails. C’est mon corps, à l’identique, avec toutes ses rondeurs. Des rondeurs qui me complexaient. Or là, en voyant la sculpture, j’ai du mal à comprendre ce que je ne supportais pas en moi. Se voir à travers le regard d’une autre personne a changé celui que je portais sur moi. Chez moi, la seule glace en pied était dans la chambre de mon fils. Moi, j’avais juste des petits miroirs parce que je ne supportais pas de me voir en entier. Après cette expérience, j’ai récupéré un grand miroir que j’ai mis dans ma chambre. D’ailleurs, toutes les femmes qui ont participé à ce projet le disent. Il a quelque chose de magique. Depuis, je n’hésite plus à remettre du rouge à lèvres rouge. J’ai même un manteau rouge !
« Ma statue s’appellera Louise, comme moi »
Au départ, j’avais dans l’idée que mon identité resterait secrète. Que les gens ne sauraient pas que je suis le modèle. On nous avait demandé si nous souhaitions que la statue soit baptisée d’après notre propre prénom ou un pseudonyme. Initialement, je voulais que ma sculpture s’appelle Joséphine. Et puis, le soir du vernissage, j’ai comme un déclic. J’ai un grand désir de poser à côté de Prune et de ma sculpture. Et j’annonce fièrement à qui veut l’entendre qu’elle me représente. Donc ma statue s’appellera Louise, comme moi. À l’idée de savoir que, à partir de 2026, elles seront exposées dans le hall de la gare de Saint-Denis–Pleyel, je me dis : « Eh bien, que les voyageurs regardent et voient comme une femme ronde peut être très belle ! » Un autre exemplaire sera présenté dans la cour de la Maison des Femmes. Tout cela me rend très fière. Je crois que c’est ça, le maître-mot : la fierté. Parce que, depuis les Vénus, je ne me considère plus comme victime. Mais comme victorieuse. »
Infos pratiques : exposition « Vénus » de Prune Nourry, à la galerie Templon, 28, rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris (3e). Jusqu’au 1er mars. Ouvert du mardi au samedi de 10 h à 19 h. Gratuit. Accès : métro Rambuteau (ligne 11). Plus d’infos sur templon.com
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27 janvier 2025 - Saint-Denis