Quand sont apparues les premières autoroutes urbaines ?
Paul Lecroart : Les développements urbains et autoroutiers vont de pair. A partir des années 30 aux Etats-Unis, les citadins commencent à s’installer en périphérie des centres-villes. Les autoroutes ont été conçues pour connecter rapidement les zones résidentielles aux downtowns qui hébergeaient la plupart des emplois. En Île-de-France, seule l’autoroute de l’Ouest parisien est construite avant-guerre comme sortie de Paris vers la côte normande. Lorsque dans les années 60 la France importe le modèle de la ville américaine, la voiture n’est encore utilisée que par une minorité. La région parisienne se lance alors dans de grands programmes d’investissements routiers.
A partir de quand ce modèle est remis en question ?
La transition ne s’est pas faite brutalement, il y a eu de nombreux mouvements contradictoires. En région parisienne, certains projets, comme l’A17 à Montreuil et Vincennes ou l’A3 de Rosny à Noisy-le-Grand sont abandonnés à la suite d’oppositions locales ou de priorisations budgétaires. Dans Paris, l’opposition au projet de radiale Vercingétorix (prolongement de l’A10 entre le Périphérique et la tour Montparnasse) marque le coup d’arrêt de la construction autoroute intra-muros en 1974. En banlieue, l’Etat poursuit, avec quelques inflexions, son programme de construction d’autoroutes sans grand souci d’intégration à l’environnement. Dans les années 80, la loi d’orientation sur les transports (LOTI) accorde une priorité aux transports en commun, mais le programme suit son cours avec notamment la construction de l’A86. Le changement de paradigme en faveur d’une ville plus apaisée intervient dans les années 90. Certaines voies rapides commencent à être repensées. On y instaure des carrefours à feux, comme sur le boulevard périphérique de La Défense. A l’échelle mondiale, l’état de dégradation des infrastructures autoroutières a conduit certaines villes nord-américaines et coréenne à déconstruire des tronçons de voies rapides urbaines en avenues.
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Quels sont les projets les plus symboliques de reconversion d’autoroutes urbaines ?
Parmi la vingtaine de cas de transformations d’autoroutes que j’ai étudiés, beaucoup ont permis de réintroduire la nature en ville et de répondre à l’enjeu de rafraîchissement lié au changement climatique. Prenons l’exemple de Séoul (Corée du Sud). En 1970, la ville est traversée par une deux fois deux voies en viaduc construite elle-même sur un boulevard à deux fois cinq voies. Cet énorme boulevard recouvrait une rivière, devenue un égout. Des universitaires se sont mobilisés pour découvrir la rivière, symbole patrimonial fort, et ont réussi à convaincre le futur maire de Séoul. Ce réaménagement a permis de régénérer l’ensemble du centre historique de Séoul qui était en déclin. Aux Etats-Unis, Portland a transformé dès les années 70 sa voie rapide longeant le fleuve en un parc. Et d’autres villes comme San Francisco ou New York suivent l’exemple.
Quel regard portez-vous sur la fermeture des voies sur berges aux voitures à Paris ?
Ce débat est compliqué puisqu’il n’y a pas eu suffisamment de discussions ; on a manqué d’une vision commune à l’échelle régionale et métropolitaine. Sur le fond en revanche, je ne pense pas que l’on reviendra en arrière, ce serait aller à contre-sens de l’Histoire.
Les travaux de Paul Lecroart sur les avenues métropolitaines sont à retrouver sur le site de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France
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26 septembre 2018