Les auteurs de cet appel sont Olivier Le Gal et David Georges-François, co-fondateurs du Collectif MU et Arnaud Idelon, coordinateur des rencontres Métamines qui se dérouleront du 31 mai au 2 juin dans le 93
Le Grand Paris n’est pas qu’une question de mobilité, d’infrastructures, de découpages administratifs, d’agencements économiques et de symboles politiques, il est avant tout un territoire qui n’a de réalité que par les représentations qu’il génère. “Érotiser” et “poétiser” le Grand Paris, voilà l’enjeu. Car le phénomène métropolitain ne pourra pas se concrétiser sans le désir et le sensible. C’est aujourd’hui une terra incognita qui doit encore se révéler à travers un kaléidoscope d’imaginaires, une vision en creux, des chemins de traverses… A l’heure où le Grand Paris est sur toutes les lèvres, il s’agit donc de réaffirmer la place des artistes dans la fabrique de la ville et la mise en récit des territoires. Mettre à jour la vision alternative qu’ils peuvent apporter dans l’approche de l’environnement urbain, ses différentes temporalités et ses interstices. Imaginer avec eux la ville autrement, dans ses usages non programmés mais aussi dans ses représentations fortuites.
Nombreux sont les artistes à proposer une relecture alternative de la métropole. Que ce soit par la figure phare de l’artiste-marcheur ou encore le détournement des drones et les cartographies sensibles, ces différents médias artistiques permettent de saisir l’échelle métropolitaine en empruntant ce point de vue du down, à même la ville, qu’exhorte d’adopter le philosophe Michel de Certeau lorsque l’on prétend la penser, l’aménager et inventer ses usages. Au-delà du travail des chercheurs ou des critiques au sens large, la production des artistes défend concrètement une conception, une vision et une construction de la ville qui déplacent les représentations toutes faites et les programmations dominantes (institutionnelles, économiques etc…). Regroupés en des lieux alternatifs que célèbre ce week-end le festival Soleil Nord Est, les créateurs revendiquent un rôle à jouer dans la fabrique de la ville, dont ils contestent le monopole aux ingénieurs, urbanistes et promoteurs.
Construire une autre ville
Ces lieux sont ouverts sur le monde qui les entoure et montrent qu’il est possible de construire une ville différente. Souvent de façon plus respectueuse de l’environnement dans le contexte d’une prise de conscience des enjeux écologiques, avec une exigence d’éthique à plusieurs niveaux, que ce soit à l’intérieur des organisations (avec des modes de prise de décision plus partagés, plus horizontaux) ou dans leurs échanges avec leur environnement. Ce sont aussi des lieux qui sont par nature plus autonomes, mais aussi parfois plus précaires étant donné la diminution des moyens attribués par la puissance publique ainsi qu’une volonté délibérée de rester à l’écart de l’économie de la consommation et du secteur marchand.
En dehors de cette singularité qui fait la beauté et la force de chaque projet, il est important de souligner quelques points de vigilance. D’une part, le risque d’instrumentalisation de ces tiers-lieux par les aménageurs et les promoteurs. La plus-value créative qu’ils portent est-elle payée à sa juste valeur au regard des budgets faramineux des programmes engagés par ceux qui les portent ? D’autre part, ces opérations d’urbanisme temporaire, autrefois appelées squats puis friches artistiques, ne sont-elles pas – parfois même sans s’en rendre compte ou à l’insu de leur plein gré – des agents de la gentrification des quartiers populaires ? Ce sont des questions pour lesquelles nous, membres du collectif MU, avons identifié trois pistes prospectives à même de renforcer l’impact de ces tiers-lieux sur le territoire du Grand Paris.
La première piste est culturelle et passe par le fait de rendre compte de la nécessité de faire évoluer les mentalités des professionnels de l’aménagement pour ménager une place à ces espaces alternatifs qui peuvent reconfigurer à une vitesse plus importante que d’autres dispositifs le projet urbain dans lequel ils s’insèrent.
La seconde est politique et implique de sensibiliser les pouvoirs publics pour modifier le cadre institutionnel et notamment réglementaire afin de favoriser ces zones d’expérimentations et installer ces projets dans une durée qui leur permette d’envisager un modèle libre et autonome. Mais aussi préserver ces espaces de la pression foncière. Ne pourrait-on pas par exemple envisager des instruments politiques innovants pour protéger ces zones de diversité culturelle pour la richesse de leur éco-système ? C’est bien là tout l’enjeu de l’évaluation de ces tiers-lieux.
La dernière est citoyenne et tend à favoriser le partage des informations entre ces acteurs de la fabrique de la ville. Il s’agit de penser les tiers-lieux artistiques et culturels comme les sémaphores d’un réseau de territoires créatifs où s’invente la ville autrement. Il importe alors de mutualiser les bonnes pratiques et de mettre à disposition de nouveaux outils à travers la création d’un observatoire indépendant des tiers-lieux associatifs à une échelle régionale mais aussi internationale.
Infos pratiques : Du 31 mai au 2 juin, le collectif MU organise les rencontres Métamines à la Station – Gare des Mines (Porte d’Aubervilliers), aux Magasins généraux (Pantin) et au 6b (Saint-Denis). Thème choisi cette année : « Imaginaires du Grand Paris ». Au programme tables rondes, exposition, performances, croisières sonores sur le canal de l’Ourcq et le canal Saint-Denis et soirée électro de 21h à 6h le 2 juin. Plus d’infos sur lastation.paris/metamines
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16 mai 2018