L’impression de passer de l’autre côté du miroir. Alors que les foules de visiteurs affluent dans la cour principale du château de Versailles (Yvelines) pour visiter la galerie des Glaces et les riches appartements royaux, notre guide nous fait passer un cordon de sécurité et, munie d’une grosse clé semblant tout droit sortie d’un film de cape et d’épée, ouvre une modeste porte située sous l’ « escalier de la Reine ».
Aurions-nous quelque laissez-passer ? Aucunement. Depuis juin dernier, des visites guidées des appartements privés de Marie-Antoinette sont proposées au public. Après avoir traversé de petites cours désertes et gravi quelques volées de marche en bois, nous pénétrons avec neuf autres curieux dans ces mystérieuses pièces que la souveraine a annexées dès 1774 à la suite de Marie Leszczynska (l’épouse de Louis XV), décédée en 1768. Bien dissimulés derrière le célèbre et fastueux Grand Appartement, ces lieux se révèlent d’une modestie peu imaginable au cœur du château du Roi-Soleil.
Une restitution plus qu’une restauration
Notre guide nous prévient tout de go : il s’agit davantage d’une restitution que d’une restauration puisque le réaménagement de ces pièces abîmées par le temps a nécessité de longues années de recherches et le recoupement des mémoires de proches de la reine avec les cahiers de commandes de ses fournisseurs et les plans existants. Le musée propose ainsi une évocation de la vie et de la personnalité de Marie-Antoinette, de son couronnement jusqu’à ses derniers jours, à travers décoration et ameublement.
On découvre d’abord le premier étage. La bibliothèque, pour une reine peu portée sur la lecture, est impressionnante. Tout y est néanmoins pensé : les étagères sont montées sur crémaillères (un gadget selon notre guide), les tiroirs sont surmontés des initiales de la reine et – petite provocation – les poignées de tiroirs sont en forme d’aigle bicéphale, référence à l’Autriche natale de Marie-Antoinette, alors en froid avec la France. Vient ensuite le « cabinet de la Méridienne », tout de violet et de vert, couleurs novatrices à l’époque, décoré alors que la jeune femme était enceinte de son premier enfant. L’abondance des symboles amoureux et la présence d’une alcôve propice au repos en témoignent.
Moment amusant : la guide ouvre une porte dissimulée juste à côté du grand lit de la reine, dévoilant alors notre présence aux regards de la myriade de touristes en train de visiter sa chambre. À la fermeture de la porte, on éprouve le soulagement que pouvait ressentir la souveraine dès qu’elle se retrouvait à l’abri des regards de la cour.
Une reine attachée à sa vie privée
La reine avait beau ne dormir que dans le lit de sa chambre officielle, c’est bien dans ces pièces cachées et plus étroites qu’elle aimait passer ses journées avec ses enfants, ses proches et ses femmes de chambre. « Peu de gens connaissaient en réalité ces lieux, seul le cercle le plus intime y pénétrait », explique notre guide. Dans son cabinet doré, réaménagé et redécoré en 1784 par l’architecte Richard Mique (connu notamment pour avoir aménagé le Hameau et de la Reine ou une partie du Petit Trianon), la reine passait entre une et trois heures par jour à jouer de la musique. Si ces pièces sont aujourd’hui remeublées par des acquisitions récentes du château et que le travail sur les tissus d’ameublement du premier étage reste ici impressionnant, le deuxième étage touche encore un peu plus à l’intimité de la souveraine.
Une succession de petites pièces témoignent de la vie quotidienne de sa « garde rapprochée », en premier lieu sa première femme de chambre, madame Campan, ses amies les plus proches et ses enfants. Une pièce était vraisemblablement réservée au comte de Fersen (sans certitude pour autant), le probable amant suédois de la reine, comme le laisse supposer la commande d’un poêle scandinave pour ce lieu. Le « cabinet du Billard » dévoile le goût de Marie-Antoinette pour ce jeu, alors même qu’il était « indigne » d’une souveraine, selon son entourage. Çà et là, des objets témoignent des moments forts de sa vie, comme ce coffre à layette certainement offert par la Ville de Paris à l’occasion de la naissance du dauphin Louis-Joseph en 1781, un peu de vaisselle colorée (et dorée, forcément) ou encore un simple jeu de jacquet.
Enfin, la toile de Jouy restituée sur les murs de toutes ces pièces est remarquable par la qualité du travail des artisans de la manufacture toute proche (à Jouy-en-Josas, NDLR). Mention spéciale à la tapisserie à motifs de fruits de la salle à manger, sorte de bouquet final de couleurs et de finesse. La visite se termine sur des représentations de la reine à cheval (en pantalon ! « De quoi fâcher son illustre mère, Marie-Thérèse », dixit notre guide) et des vitrines contenant quelques-uns de ses effets personnels, comme ses gants ou une réplique de son collier à l’origine de la fameuse « affaire du collier ». Au final, on se dit que l’évocation très colorée et pop de la reine par Sofia Coppola dans son film Marie-Antoinette ne semble pas si éloignée de la vérité. Une chose est certaine : la transgressive Marie-Antoinette n’a pas fini de faire parler d’elle.
Infos pratiques : Visite guidée des appartements privés de Marie-Antoinette au château de Versailles, place d’Armes, Versailles (78). Fermé le lundi. Tarifs : 29,50 € (plein tarif : comprend l’entrée au château + la visite guidée), 10 € (pour les moins de 26 ans). Accès : gare de Versailles Château–Rive gauche (RER C). Infos et réservation sur chateauversailles.fr
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6 septembre 2023 - Versailles