Sur la table posée au beau milieu de la forêt trônent un carton de pizza et un paquet de palets bretons affichant un effrayant nutriscore E. Pas vraiment l’alimentation à laquelle on s’attend chez des danseurs. La danseuse Nikita Goile brandit alors un paquet d’amandes, un autre de cerises : « Non mais, on a beaucoup de fruits aussi !« . Avant d’ajouter mezza-voce : « Et puis avant de monter là-haut, c’est pas mal d’avoir avalé un petit palet breton… » Là-haut : en l’occurrence la structure imaginée par l’architecte Feda Wardak au beau milieu de la forêt de Bondy à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Quatorze mètres de hauteur pour cette construction demi-circulaire réalisée en pin Douglas, d’une belle couleur blonde tirant doucement vers l’ocre. « Un bois tendre et très solide à la fois, très efficace pour la construction », explique l’architecte.
Le décor, personnage principal du spectacle
C’est ici, dans le cadre du festival Paris l’Eté, que se jouera du 15 au 20 juillet le spectacle En dessous, la forêt, co-conçu par Feda Wardak et le chorégraphe Jean-Yves Phuong. Sur la structure évolueront non seulement les danseurs mais aussi les constructeurs de l’édifice. « Il ne s’agit pas que de danse, prévient Manuel Molino, l’un des danseurs. Le spectacle parle surtout de la structure ». Effectivement, celle-ci apparaît comme le personnage principal du spectacle. « Ici, mon partenaire est fixe », sourit Nikita Goile. Entre les panneaux de bois, les corps des interprètes se croisent, se répondent, disparaissent pour mieux ressurgir. « Tout cela fait écho avec l’histoire du territoire », résume la danseuse.
De fait, les grands ensembles bâtis dans les années 60 sur Clichy et Montfermeil ont grignoté une partie de l’espace forestier. En témoignent les noms donnés aux résidences avoisinantes, disparues, en passe de l’être ou toujours debout : les Bosquets, le Chêne Pointu, la Forestière, le Bois du Temple… Feda Wardak a choisi d’interroger l’évolution de ce bâti : « Quand la gestion de ces espaces a été abandonnée par les bâilleurs privés, un processus de résidentialisation s’est mis en place : pour sécuriser, on a bâti des murs d’enceinte autour des cités. Avec le temps, les gens ont pris le droit de redessiner des chemins, de recréer leurs propres entrées pour se déplacer : un mur de parpaing devient une échelle ; un grillage arraché témoigne d’un passage créé pour se déplacer plus vite d’un endroit à un autre… C’est un urbanisme d’usage et de désir. Un acte de subversion aussi… Car la rénovation urbaine, si elle a été nécessaire à Clichy-Montfermeil, a aussi pu être l’occasion pour les aménageurs de dire qui pouvait habiter là. » En dessous, la forêt raconte cet apprivoisement de l’espace et la façon de se l’accaparer.
Une ode à la forêt
D’apprivoisement, il en est aussi question pour les artistes au moment de jouer en hauteur. On frémit un peu à les voir faire des portés à 14 mètres du sol. « En danse, on peut imaginer qu’on vole, mais tout demeure en général très terrestre, estime Manuel Molino. Ici, notre attention est portée différemment. D’ailleurs, les premiers jours, nous n’avons fait que marcher sur la structure. Tous les sens étaient exacerbés ». Et puis il y a la forêt : le bruit du vent qui ébroue le feuillage, la cime des arbres qui se balance, le parfum de la terre mouillée par la pluie. « On va au rythme de la forêt, confirme Salem Messaoudi, un des constructeurs de la structure. Elle est si puissante qu’on va plus lentement que d’ordinaire. L’idée du spectacle, c’est aussi de dire que si la forêt disparaît, l’humain disparaît. »
A terme, la structure aussi va disparaître. Enfin pas tout à fait. Elle sera démontée mais les planches seront recyclées par Feda Wardak pour un autre projet. « C’était pensé ainsi dès le départ. La manière dont elle a été dessinée permet de réutiliser le matériau ». De quel projet s’agit-il ? Feda Wardak admet en avoir les « prémices ». Il y sera question d’architecture et d’arbres centenaires. On se gardera bien du mauvais jeu de mot qui consisterait à lui souhaiter un « bon bouleau ». Et ce, même si la forêt de Bondy en compte parmi ses essences…
Infos Pratiques : Spectacle « En dessous, la forêt » en forêt de Bondy du 15 au 20 juillet (relâche le 18 juillet) à 20h. Départ des Ateliers Médicis, 4 allée Françoise Nguyen, Clichy-sous-Bois (93). Entrée libre sur réservation. Accès : Gare d’Aulnay-sous-Bois (RER B) puis bus 613 arrêt Les Bosquets / Tramway T4 arrêt Clichy-Montfermeil . Des navettes gratuites font l’aller-retour depuis Nation (réservation au 01 44 94 98 00). Plus d’infos sur parislete.fr
Lire aussi : Le cinéma où on ne l’attend pas dans le Grand Paris
Lire aussi : Les 50 sorties de l’été dans le Grand Paris
Lire aussi : L’Eté du canal revient avec une programmation fleuve
13 juillet 2021 - Clichy-sous-Bois