Le livre est à peine paru que Thom Thom est déjà reparti arpenter la rue. Coauteur avec Chrixcel du Guide du street art à Paris (Éd. Alternatives) et guide pour Street Art Paris, l’artiste a concocté un ouvrage très complet qui comprend huit balades dont plusieurs en banlieue. Parmi celles-ci, une virée des Lilas (Seine-Saint-Denis) jusqu’à Vincennes (Val-de-Marne) en passant par Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et Montreuil (Seine-Saint-Denis). Justement, c’est aux Lilas qu’on le retrouve pour faire à la fois un bout de cette virée et aussi un peu de prospection. On ne réinventera pas la bombe de peinture en vous disant que le street art est un art mouvant avec des œuvres qui apparaissent et disparaissent au fil des années. Mieux vaut donc garder l’œil ouvert et les jambes alertes. Rendez-vous est pris à la porte des Lilas. Sur place, on retrouve Sigismond Cassidanius, président de l’association Les arts fleurissent la ville et également guide pour Street Art Paris. Lauréate du budget participatif des Lilas, l’association y coordonne la réalisation de plusieurs fresques. « Depuis dix ans, on assiste à une véritable explosion du street art auprès du grand public, explique Sigismond. Les gens sont en attente et nous font, à chaque fois, des retours très positifs. »
La visite commence par du lourd. À l’angle de l’avenue Pasteur et de la rue des Bruyères, on découvre une grande pièce d’Invader qui fait honneur à sa ville d’accueil puisqu’elle est… couleur lilas. « En un sens, le travail d’Invader préfigure le Grand Paris, analyse Thom Thom. On trouve ses œuvres en deuxième comme en troisième couronne. Cette œuvre aux Lilas est répertoriée PA_1402. PA comme Paris. Il n’a pas indiqué LL pour Les Lilas. Ses invasions ne confortent pas les frontières des villes. »
« Le street art, c’est un peu l’épice que tu rajoutes sur ta balade »
Sigismond nous désigne un tag de Psyckoze. L’artiste partage non loin de là un atelier avec JonOne, L’Atlas et Speedy Graphito. « Psyckoze a commencé à taguer dès l’âge de 13 ans, raconte Sigismond. Il a beaucoup posé dans les catacombes, notamment. » Pour l’heure, il ne s’agit pas de plonger dans les tréfonds des sous-sols parisiens mais de lever les yeux au ciel. Comme rue Diderot, où les jambes d’un nageur s’ébattent sur la façade d’une jolie maison bleue. C’est l’œuvre d’Ella & Pitr, artistes stéphanois, auteurs de la plus grande œuvre de street art d’Europe (24 000 m2, rien que ça !) abritée sur le toit du Parc des expositions de la porte de Versailles (15e). Au passage, dans ces petites rues des Lilas, on jette un coup d’œil aux maisons planquées au milieu de jardinets qui donnent le sentiment de prolonger les vacances. « Le street art, c’est un peu l’épice que tu rajoutes sur ta balade, estime Thom Thom. Tomber sur un graff, c’est aussi ce qui peut justifier une promenade. »
La nôtre se poursuit vers le parc Lucie-Aubrac. Sigismond Cassidanius désigne un beau mur de briques sur lequel sera prochainement réalisée une fresque d’Ernesto Novo. Sur la façade de l’école Romain-Rolland, une fresque en mosaïque des années 30 illustre une citation de Danton : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple ». Elle représente, à l’ombre d’un arbre en fleurs, une femme accompagnée de deux jeunes enfants. Avec candeur, je demande si on peut considérer cette œuvre comme du street art. Sigismond répond par la négative : « Dans les esprits, le street art est illégal. » Pour Thom Thom, ce n’est pas aussi évident. « Pour moi, le street art peut aller jusqu’à l’architecture, la publicité… » Il utilise même une analogie : « Si on prend la fresque de Jorge Rodriguez-Gerada dans le 13e arrondissement qui représente le docteur Pinel, située justement place Pinel, elle a la même fonction qu’une statue représentant une personnalité du XIXe siècle : permettre au passant de se repérer dans la ville avec une figuration du nom de la rue. »
Provoquer un peu d’évasion
Au 7, rue du Centre, Sigismond pousse la porte de son immeuble et dévoile un trésor insoupçonné. Dans la cour potagère du bâtiment, c’est une explosion d’œuvres qui habille les murs jusqu’à ceux du local à poubelles. Ariane Pasco a dessiné un portrait de Rimbaud ; No, un visage d’enfant. D’entre les fleurs surgissent des poissons chatoyants qui semblent onduler sur le béton. Bonne nouvelle : Sigismond fait découvrir l’endroit deux fois par an, lors des journées du Patrimoine (youpi, c’est bientôt !) et lors de Lil’Art, dédié aux portes ouvertes des ateliers d’artistes.
Allons jeter un œil au 202, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, devant la piscine Mulinghausen, une de ces fameuses piscines Tournesol construites entre la fin des années 70 et le début des années 80. « Les arts fleurissent la ville » y a coordonné une fresque signée Tay, Befa, Depielli et Pegri. Sur 60 mètres de long, une faune aquatique chamarrée figure un joyeux aquarium. Au passage, on jette un œil à la cour de l’école maternelle Courcoux où apparaît une œuvre de Batsch. « Il est décédé en 2020. Du coup, cette œuvre devient aussi un lieu de mémoire », murmure Sigismond.
Des murs pour se souvenir mais aussi pour méditer. « Le street art incite les gens qui passent à un même endroit plusieurs fois par semaine à penser », soutient Sigismond devant la fresque qui orne l’entrée du parking du marché au 167, rue de Paris. Effectivement, l’endroit, peu amène, avait bien besoin de susciter un peu d’évasion. Jon Buzz a figuré sur le crépi un paysage alpestre avec des menhirs qui semblent flotter en apesanteur. Les automobilistes qui descendent vers le parking ralentissent, pas seulement en raison de la barrière, mais aussi pour jeter un œil à cet étrange panorama. À deux pas, rue du Garde-chasse, près de la librairie Folies d’Encre, nous voici face à une œuvre de la star locale de l’étape, l’Atlas. De la future station de métro Serge Gainsbourg (ligne 11) à un stade en passant par les sentes qui sillonnent la ville, ses pièces sont nombreuses ici. Sur celle-ci, avec son écriture si identifiable, l’artiste a inscrit « Les Lilas ». Le street art a bien pris racine dans ce coin de Seine-Saint-Denis. Et le guide de Thom Thom et Chrixcel permet d’en glaner un bouquet aussi riche qu’éclectique.
Infos pratiques : Le Guide du street-art à Paris. De Thom Thom et Chrixcel. Éd. Alternatives. 160 p. 13,50 €. Disponible en librairie à partir du 8 septembre. Plus d’infos sur editionsalternatives.com
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30 août 2022 - Les Lilas