Les chroniqueurs des "5 Pièces" tamisent les théâtres du Grand Paris pour dégoter les pépites à l'affiche. Voici celles à ne pas rater jusqu'en décembre.
9 et 10 novembre : Halka (Sartrouville, Yvelines)
Une performance acrobatique sans entrave, à laquelle il serait difficile de rester insensible.
Chers amateurs de cirque, vous auriez tort de croire que ce spectacle du Groupe acrobatique de Tanger se résume à un enchaînement de galipettes. Car derrière les pyramides humaines et autres sauts dans le vide, ces quatorze corps en mouvement nous parlent d’une société dont les dérives sont dénoncées avec un grand sens de l’autodérision. On retiendra l’image de ces deux femmes — l’une moulée dans une robe noire, l’autre attifée d’un costume d’homme trop grand pour elle — dont la présence s’impose dès le départ comme une domination à l’équilibre plutôt instable. Ou encore cet acrobate aux allures de petit chef singeant le salut militaire sous l’œil interrogatif de ses petits camarades (qui ne tardent pas à lui emboîter le pas). Des petits moments de vérité venant s’inscrire avec humour entre deux scènes de haute voltige, sur fond de banjo et de tambour. Si l’on ne peut s’empêcher de pointer le côté un peu caricatural de certaines situations — chants traditionnels autour du feu de camp, youyou et sarouel — il est important de souligner que la force de ce spectacle ne réside pas seulement dans l’incroyable performance physique des interprètes, mais aussi dans la beauté des images qui s’enchaînent sous nos yeux, et dont la portée symbolique est tout bonnement saisissante.
ON A AIMÉ
Certains tableaux extrêmement forts, tels que l’empilement des corps ou cette femme ballottée d’un homme à l’autre.
La musique, assez attendue, mais néanmoins très entraînante.
Le plateau recouvert de sable fin.
ON A MOINS AIMÉ
Le combo gilet sans manche/chapeau traditionnel ou chemise mal taillée/chaussures vernies à bout pointu.
AVEC QUI FAUT-IL Y ALLER ?
Un ami arabophone, pour la traduction instantanée.
Votre mère, surtout si elle a le vertige.
ALLEZ-Y SI VOUS AIMEZ
Faire des acrobaties en sarouel.
Les feux de camp en plein désert.
Infos pratiques : « Halka » au théâtre de Sartrouville. De 6€ à 28€. Plus d’infos sur www.theatre-sartrouville.com
21 et 22 novembre : Rumeurs et petits jours (Pontoise, Val-d’Oise)
Comment penser au groupe quand tout fout le camp ? Les cinq membres de Raoul Collectif nous servent une petite leçon de savoir-vivre ensemble sauce anticapitaliste.
Ce soir, c’est la dernière à l’antenne pour nos cinq chroniqueurs en sous-pull synthétique et veste en tweed. Le directeur de la chaîne a décidé de fermer boutique. Pas assez d’audience sans doute et une ligne éditoriale un tantinet trop « ambitieuse ». Alors que l’entente — et le moral — ne semblaient déjà pas au beau fixe, chacun va essayer tant bien que mal de tirer la couverture à lui. Débats, querelles et autres lectures de courrier d’auditeurs s’enchaînent, Robert prenant la responsabilité collective de parler en son nom propre tandis que Jules et Jacques se coupent la parole, Jean-Michel essayant pour sa part de calmer le jeu. Seul point commun de cet ensemble dissonant : la critique d’une société gangrenée par l’individualisme. Et pour nous en convaincre, ils passeront l’heure et demie à disséquer problèmes de société et espèces en voie de disparition, cherchant ça et là un semblant de solution pour sauver l’humanité. Rien de très nouveau dans le discours, vous l’aurez compris. C’est davantage dans l’analyse des dynamiques de groupe que réside l’intérêt du spectacle. Sur un plateau transformé pour l’occasion en studio d’enregistrement, les coups bas, messes basses et autres batailles d’ego viennent se fracasser sur un penchant naturel à vouloir rester ensemble, vaille que vaille.
ON A AIMÉ
La projection de diapositives sur les animaux en voie d’extinction, sans doute le moment le plus drôle du spectacle.
Les petites chansons entonnées en canon.
ON A MOINS AIMÉ
L’arrivée de TINA (There Is No Alternative), campée par un des cinq comédiens en talons hauts, qui crée un moment de flottement en s’évertuant à répondre aux questions du public.
Voir le plateau inondé d’une pluie de gravillons. On se demande encore pourquoi.
AVEC QUI FAUT-IL Y ALLER ?
Quatre de vos collègues les plus proches (géographiquement).
ALLEZ-Y SI VOUS AIMEZ
Margaret Thatcher.
Les cols : pelle à tarte, cheminée, il y en a pour tous les goûts.
Infos pratiques : « Rumeurs et petits jours » à L’Apostrophe à Pontoise. De 3€ à 19€. Plus d’infos sur www.lapostrophe.net
24 novembre : Unwanted (Pantin, Seine-Saint-Denis)
Parole de femmes violées en zone de conflit rwandais. Mieux vaut avoir le cœur bien accroché.
Pour ces femmes entendues et enregistrées par la chorégraphe rwandaise Dorothée Munyaneza, ça a été la double peine : violées tout au long du conflit (dans des conditions atroces qu’on ne manque pas de vous détailler) et tombées enceintes de leurs tortionnaires. Lorsque l’enfant naît, autant vous dire que la réaction des familles n’est franchement pas jojo. Mais ce n’est pas fini. Devoir ensuite élever cet être non-désiré, cet « unwanted » — et le mot est faible — est peut-être encore pire que de tomber raide au milieu d’un champ de bataille. Bon, de prime abord, le sujet est un peu plombant. Mais la chorégraphe, accompagnée d’une chanteuse au coffre impressionnant parvient à faire passer le message au bon endroit. Et même si vous finissez par céder à une envie pressante de vous rouler en boule et de sangloter sur l’épaule de votre voisin, n’oubliez pas de vous lever pour une standing ovation amplement méritée.
ON A AIMÉ
L’absence de pathos.
Comprendre un peu mieux ce qu’on entend par guerre civile.
ON A MOINS AIMÉ
Certains passages chantés, un peu trop intenses.
AVEC QUI FAUT-IL Y ALLER ?
Un dur à cuire (déconseillé au moins de 16 ans).
ALLEZ-Y SI VOUS AIMEZ
Les documentaires de guerre.
Infos pratiques : « Unwanted » au Théâtre du fil de l’eau à Pantin. De 3€ à 18€. Plus d’infos sur www.ville-pantin.fr
1er décembre : Un Poyo Rojo (Choisy-le-Roi, Val-de-Marne)
Entre chorégraphies millimétrées et improvisations, Alfonso Barón et Luciano Rosso se livrent un combat de coqs absolument jouissif sur une scène transformée en vestiaire.
Deux hommes en tenue de sport sont en train de s’échauffer. Ils s’étirent et tentent quelques acrobaties, dans la semi-pénombre et la moiteur de que l’on devine être le vestiaire d’une salle de sport. Lorsque les lumières s’allument, ils nous font face, l’air impassible et le torse bombé. Sans un bruit, chacun va toiser l’autre, l’étudier, le juger. On sent progressivement naître entre eux un certain désir auquel viennent se mêler rivalité, violence et attraction. Débute alors un ballet sadomasochiste désopilant, durant lequel ils vont tour à tour être dominant et dominé, singeant la gestuelle de deux coqs de basse-cour. Ce pourrait être ridicule, c’est néanmoins incroyablement cocasse. Ils se désirent et se détestent, se collent et s’écharpent. Leurs énergies libidinales sont toujours en décalé, si bien que lorsque l’un tente une approche, l’autre s’échappe, dans un sursaut de virilité feinte. Pendant une heure, presque pas un mot ne sortira de leur bouche, et pourtant la représentation est aussi éloquente qu’un manifeste antiphallocrate.
ON A AIMÉ
La radio en direct, qui en dit long sur le talent d’improvisation des comédiens.
Le final, un (très) grand moment de théâtre.
ON A MOINS AIMÉ
Que tout s’arrête au bout d’une heure.
AVEC QUI FAUT-IL Y ALLER ?
Un ami de vestiaire.
ALLEZ-Y SI VOUS AIMEZ
La radio.
Les micro-shorts.
Infos pratiques : « Un Poyo Rojo » au théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi. De 8€ à 20€. Plus d’infos sur www.theatrecinemachoisy.fr
Pour retrouver les coups de coeur des 5 Pièces, rendez-vous sur www.les5pieces.com
3 octobre 2017