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Saint-Eustache : les 800 ans d’une église plutôt rock’n’roll au coeur de Paris

L'église Saint-Eustache au coeur de Paris dans le quartier des Halles / © Sarowen
L’église Saint-Eustache au cœur de Paris dans le quartier des Halles / © Sarowen

Molière y fut baptisé et enterré, Patti Smith y a chanté et Keith Haring y a une de ses oeuvres, "La vie du Christ". L'église Saint-Eustache, dans le quartier des Halles, fête cette année ses huit siècles d'existence avec du, 16 février au 25 mai, le spectacle "Luminiscence", qui illuminera à 360° l'intérieur de l'édifice.

On peut être un écrivain de génie et un médiocre prophète. Dans Le Ventre de Paris (1873), Émile Zola fait dire à l’un de ses personnages, contemplant les Halles Baltard nouvellement construites et l’église Saint-Eustache (1er) qui lui est mitoyenne : « Ceci tuera cela, le fer tuera la pierre, et les temps sont proches… » Manque de chance pour Émile : si les Halles ont bien disparu en 1973, l’église Saint-Eustache, elle, est toujours bel et bien là et fête ses 800 ans cette année.

Dans le panorama des églises parisiennes, Saint-Eustache se distingue. Un détail l’exprime très bien : dans l’édifice, une porte vitrée s’ouvre sur l’extérieur de ce quartier fourmillant des Halles. Depuis les bancs, on assiste au ballet des passants le long des jardins Nelson Mandela. Le bruit des roulements à billes des skaters accompagne les méditations des fidèles. Car Saint-Eustache est une église résolument ouverte sur la ville. Elle ne s’en protège pas ; au contraire, elle l’accueille dans toute sa diversité. « C’est une église « pour » la cité », confirme le père Yves Trocheris, curé de la paroisse. Outre les croyants et les touristes, la paroisse propose depuis 1984 chaque soir de décembre à mars une soupe populaire tenue par des bénévoles. Un lieu d’accueil, La Pointe, a aussi été mis en place pour recevoir les personnes en difficulté. « L’histoire de cette église, c’est l’accueil inconditionnel », affirme le père Trocheris.

Il n’est donc pas étonnant qu’y soit née, sous la houlette de Gérard Bénéteau, le curé de l’époque, une association venant en aide aux malades du sida. Dans les années 80-90, le quartier des Halles est au cœur d’une effervescence artistique, concentrant galeries d’art et maisons de mode. La maladie décime ces milieux avant-gardistes. « Il y avait trois à quatre enterrements par semaine à Saint-Eustache », rappelle le père Trocheris. Une caisse d’entraide est ainsi créée permettant le rapprochement des malades et de leurs familles. En 1992, c’est une galerie qui voit le jour avec le soutien de figures du monde de l’art tels Suzanne Pagé ou Christian Boltanski. 50 % des recettes reviennent à l’aide aux malades. Rien de très baroque quand on sait que, dès le XVIIe siècle, le Roi avait autorisé les artistes à vendre leurs toiles dans une chapelle de Saint-Eustache. En 1997, une « Kermesse Héroïque » est organisée : contre un billet de tombola de 100 francs, on peut repartir avec une œuvre de Cy Twombly ou une photo de Nan Goldin. Et ce sont Alain Souchon et Laurent Voulzy qui servent les gâteaux à la buvette…

L'église Saint-Eustache / © Vincent Leroux, DA Constance Guisset Studio
L’église Saint-Eustache / © Vincent Leroux, DA Constance Guisset Studio

L’église où fut baptisé et enterré Molière

Les artistes sont depuis toujours étroitement liés à l’histoire de Saint-Eustache. Il y a d’abord ce grand orgue magnifique, fort de ses 8 000 tuyaux, dont on peut profiter tous les dimanches à 17 heures lors de concerts gratuits. Il est d’ailleurs possible de participer à sa restauration en parrainant l’un desdits tuyaux. Le Te Deum de Berlioz, sous la direction du compositeur, en a fait résonner les jeux en 1855. Mais d’autres artistes avant lui ont arpenté les dalles de l’édifice. Marivaux et Rameau en furent les paroissiens, Molière y fut baptisé et enterré de nuit. Lully, lui, s’y est marié. « Dès 1648, c’est une paroisse royale, rappelle le père Trocheris. Louis XIV y fait sa première communion. Cette église a donc l’attention du Roi mais aussi des grandes familles. Et ces familles veulent manifester leur puissance. Elles offrent donc des œuvres. » L’église recèle ainsi le Martyre de Saint-Eustache de Simon Vouet, une Extase de la Madeleine de Rutilio Manetti et un magnifique antependium (le devant d’autel, ndlr) tout en lin, soie et perles de verre, offert par la duchesse d’Orléans ; sans oublier les Disciples d’Emmaüs de Rubens. Mais l’œuvre numéro un, « celle que les gens viennent voir avant même le Rubens », c’est un magnifique triptyque en bronze représentant la Vie du Christ signé Keith Haring. L’œuvre a été transmise par la fondation de l’artiste, mort du sida, via la mairie de Paris.

Car Saint-Eustache a un lien particulier avec l’art contemporain. L’église prend part au Festival d’automne, à la Nuit Blanche et expose régulièrement des artistes. Durant la Fête de la Musique, ses 36 heures permettent d’écouter aussi bien de la musique sacrée que de l’électro. La voix de Patti Smith a résonné sous ses voûtes comme les installations de Bill Viola les ont illuminées. « Pour nous, c’est important d’installer des œuvres, mais aussi de les accompagner, souligne le père Trocheris. Je pense que les œuvres contemporaines peuvent susciter la réflexion religieuse car l’imagination est au cœur de la foi. D’ailleurs, la contemplation n’est-elle pas un terme spirituel ? » Du 16 février au 25 mai, l’église va ainsi accueillir Luminiscence, un spectacle qui illuminera à 360° l’intérieur de l’édifice. En mars, deux nouvelles œuvres seront rejoindront les lieux en dépôt : la Cécité de Saint-Paul et le Relèvement de Saint-Paul signés de l’artiste Dhewadi Hadjab. Deux toiles bouleversantes (dans tous les sens du terme) où l’attitude du saint n’est pas sans rappeler celle d’un danseur de hip-hop. Comme un écho aux ados qui pratiquent cette discipline aux abords des Halles. Signe que Saint-Eustache est bien déterminé, pour longtemps encore, à laisser ses portes grandes ouvertes sur le monde.

Infos pratiques : église Saint-Eustache, 2, impasse Saint-Eustache ou rue du Jour, Paris (1er). Ouvert du lundi au vendredi de 9 h 30 à 19 h, le samedi de 10 h à 19 h, le dimanche de 9 h à 19 h. Accès : métro Les Halles (ligne 4) ou RER Châtelet–Les Halles (lignes A, B et D). Plus d’infos sur saint-eustache.org

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