Pouvez-vous revenir sur l’histoire assez tumultueuse de la flèche de la basilique Saint-Denis ?
Julien de Saint Jores : La flèche a été édifiée entre 1180 et 1200. Jusqu’à la construction du dôme des Invalides au XVIIe, elle constitue le plus haut clocher d’Île-de-France. En 1219, la basilique subit une première avanie : un incendie qui dure trois jours. Mais l’événement est peu documenté et on ne sait pas si la flèche a été touchée. En revanche, on sait que les tirants de bois du massif occidental – ces grandes poutres qui évitent l’écartement des murs – ont été endommagés. En 1837, la flèche est frappée par la foudre. Cela la fragilise et des pierres commencent à tomber. L’architecte François Debret la démonte et la reconstruit en quelques mois. Mais le sort s’acharne. En 1845, un ouragan fait tomber des centaines de clochers franciliens. La flèche est une fois de plus en péril. Ces intempéries mettent en évidence la fragilité de la structure. Après avoir démonté de nouveau la flèche, Debret démissionne. Viollet-le-Duc lui succède, démonte également la tour avec l’idée de reconstruire toute la façade médiévale. Mais le coût est considérable et le projet est abandonné. Il faut attendre les années 1930 et la reconstruction de la cathédrale de Reims pour que l’idée de remonter la flèche ressurgisse. Dans les années 70-80, on réfléchit à quelques projets dont celui… d’une flèche en cristal. Une lettre de Jack Lang donne son accord pour une reconstruction sous réserve de financement par la Ville. Cette reconstruction devient un enjeu, avec la construction du Stade de France, pour le président de la communauté d’agglomération et ancien maire de Saint-Denis Patrick Braouezec. En 2013, un premier comité de parrainage présidé par l’écrivain Erik Orsenna voit le jour. Les premiers soutiens pour des études de faisabilité se manifestent. En 2016 est créée l’association Suivez la flèche pour financer les premières études de faisabilité et la mise en place d’ateliers de taille de pierre et de forge destinés au grand public et aux écoles. Enfin, en décembre 2020, les départements d’Île-de-France décident d’allouer une subvention de 20 millions d’euros pour la flèche. En effet, dans l’émotion générale consécutive à l’incendie de Notre-Dame, beaucoup de dons ont été reçus. Les subventions des collectivités se sont retrouvées moins nécessaires et ont donc été réattribuées à Saint-Denis.
Le budget total est de 37 millions et il reste encore 3,5 à 5 millions d’euros à trouver. Raison pour laquelle vous avez lancé ce lundi 29 avril un financement participatif. N’est-ce pas un peu rageant de se dire que, pour Notre-Dame, cet argent a été trouvé très facilement ? Saint-Denis pâtit-elle de sa situation extra-muros ?
Rappelons déjà que, sans Saint-Denis, il n’y a pas Notre-Dame. Le gothique flamboyant qui s’épanouit à Notre-Dame vient de Saint-Denis. La réattribution des subventions des collectivités symbolise donc une sorte de « retour de la fille à la mère ». Mais effectivement, au cours de l’histoire, on peut dire que la mère a été un peu oubliée au profit de la fille. Il y a évidemment un effet de périphérie. La représentation médiatique de Saint-Denis est parfois un peu stigmatisante. Saint-Denis demeure un territoire mal-aimé. Nous voulons redresser la flèche et, avec elle, l’image de ce territoire. La reconstruction s’inscrit dans un mouvement général de changement d’image de la ville. Mais non, l’élan dont a bénéficié Notre-Dame ne m’agace pas du tout. Car, comme tous les amoureux du patrimoine, j’ai pleuré quand la cathédrale a brûlé en 2019. Je comprends cette émotion. Le démontage d’une flèche est un événement plus discret. Pour autant, nous n’avons pas été oubliés par les mécènes. Vinci par exemple a fait un don significatif. C’est le plus important partenaire privé du projet et nous en espérons d’autres encore.
Symboliquement, miser sur le financement participatif, c’est aussi se dire que la flèche est un projet mené pour le public par le public…
C’est une façon de définir les choses qui me convient. La dimension participative confère au projet un aspect plus personnel. En effet, nous avons tous les plans, nous disposons du « calepin », c’est-à-dire l’appareil de pierres de la flèche. On a donc pu faire une modélisation de chacune d’entre elles. Comme le tailleur a son modèle numérique, les parrains seront donc en mesure de choisir la pierre qu’ils veulent. Ils auront une notification quand elle sera extraite de la carrière. Et, dans certains cas, il sera possible de venir assister à sa taille. Le chantier commence en octobre, il sera visitable à partir du printemps 2025 pour se clore en 2029. Il y a un peu plus de 15 000 pierres à parrainer et le parrainage démarre à 15 €.
Jusqu’à combien peut-on donner ?
Jusqu’à… « Nous consulter » ! Mais le montant des parrainages pour les particuliers s’échelonne en gros entre 15 et 3 000 €.
Infos pratiques : pour parrainer une pierre de la flèche de la basilique de Saint-Denis, rendez-vous sur fondation-patrimoine.com
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30 avril 2024 - Saint-Denis