Dans le cadre du festival Close-Up, vous participez à une table ronde intitulée « Imaginaires du Grand Paris » le 10 octobre. Imaginaires et Grand Paris, ce sont des mots qui vont bien ensemble, selon vous ?
Martin Jauvat : Je vois ce que vous sous-entendez… Il y aurait comme une contradiction entre ces deux termes. Comme si les associer n’allait pas de soi. Au contraire, moi je pense que chaque lieu peut abriter une part de création, de fiction, de fantaisie. De plus, la banlieue est l’endroit que je connais le mieux puisque je vis à Chelles (Seine-et-Marne). Et cela fait un moment que, dans mes films, je veux renverser ce rapport de force pour replacer de l’imaginaire dans ces endroits qui en seraient soi-disant dénués.
La table ronde parle d’imaginaires du Grand Paris au pluriel. Ils seraient multiples, pour vous aussi ?
C’est justement ce qui est beau. Qu’on représente le Grand Paris en s’y opposant ou en lui rendant hommage, c’est toujours très riche. Par exemple, personnellement, je ne me sens pas hyper proche des films de banlieue axés majoritairement autour de la vie dans les cités parce que moi, je viens de la banlieue pavillonnaire. Mais, dans cette dernière, il y a aussi une poésie qui naît de ces paysages un peu normés que sont les lotissements. Le cinéma américain l’a particulièrement bien montré, que ce soit dans Edward aux mains d’argent, The Truman Show ou encore Donnie Darko…
Justement, cet imaginaire de la banlieue pavillonnaire, de quoi est-il fait ?
Ce sont des touches de couleurs, l’alignement des lettres sur une boîte aux lettres, un portail. Le lotissement a une force graphique, une poésie qui peut être étrange voire inquiétante mais qui est bel et bien là. John Carpenter ou Wes Craven l’ont bien compris, eux qui les ont beaucoup filmés, dans Halloween ou Scream par exemple. Renaud Epstein, qui participe aussi à la table ronde, a d’ailleurs cette démarche avec sa collection de cartes postales de grands ensembles : il cherche la beauté de paysages mis au ban. On voit ce que ça dit de l’art, de l’habitation, de la façon de loger les gens qui ne sont pas au centre mais dans la périphérie.
Vous, quels sont les lieux du Grand Paris qui stimulent votre imagination ?
D’abord la tour de Romainville (Seine-Saint-Denis). C’est le premier endroit qui m’a fait expérimenter le syndrome de Stendhal. Cet endroit que j’ai longtemps résumé à des galères de changement de bus est empreint de mysticisme. Tout comme les espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) ou la Pyramide de Cergy (Val-d’Oise). Mais je pense aussi aux carrières de Gagny (Seine-Saint-Denis) ou au fort de Vaujours (Seine-et-Marne) qui fut utilisé autrefois pour développer les détonateurs des bombes atomiques par le Commissariat à l’énergie atomique. Aurélien Bellanger, qui participe aussi à la table ronde, a d’ailleurs écrit un texte à l’occasion de la sortie de mon film où il en énumère plusieurs : un dolmen dans la forêt de Carnelle (Val-d’Oise), l’aqueduc souterrain de la Vanne qui prend l’aspect d’une ruine antique… Pour une prochaine histoire et même juste pour moi, j’ai envie de découvrir de nouveaux lieux de ce genre.
Infos pratiques : Table ronde « Imaginaires du Grand Paris » au cinéma Les 7 Batignolles, 86, rue Mstislav-Rostropovitch, Paris (17e). Mardi 10 octobre à 19 h. En présence de Martin Jauvat, cinéaste, Aurélien Bellanger, écrivain, Renaud Epstein, sociologue, et Renaud Charles, rédacteur en chef d’Enlarge your Paris. Entrée libre. Accès : métro Porte de Clichy (lignes 13 et 14), gare Porte de Clichy (RER C). Plus d’infos sur festivalcloseup.com
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5 octobre 2023