Cette interview a été réalisée en partenariat avec le théâtre de La Commune
Comment vous êtes-vous retrouvée associée à « La Trêve » ?
Alice Carré : Le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka a reçu la commande de cette pièce d’actualité de la part du théâtre de La Commune et nous avons commencé à travailler tous les deux. Nous nous étions donnés pour consigne d’être très littéraux : marchons dans Aubervilliers, voyons, laissons-nous porter par le réel et racontons. Puis, en nous rendant au fort d’Aubervilliers, nous avons eu l’intuition que nous aurions besoin d’images. C’est ainsi que la cinéaste Sima Khatami a rejoint le projet.
Justement, pourquoi votre intérêt s’est-il porté sur le fort d’Aubervilliers ?
Le fort est situé dans un quartier un peu à l’écart, pas bien connecté au centre. Et puis il y a ces grandes tours auxquelles on accède par une guérite de sécurité, comme une enclave dans l’enclave en fait. Nous sommes entrés dans la Cité Myriam. Le gardien nous a expliqué le fonctionnement du centre d’hébergement d’urgence puis nous avons croisé la cheffe de service qui nous a demandé ce que nous fabriquions là. Nous avons parlé une heure avec elle dans son bureau. Elle nous a dit OK, à condition que notre projet soit aussi utile aux gens du centre, car beaucoup sont dans une logique de résilience, avec de lourds traumatismes. Nous avons donc commencé en menant des ateliers-théâtres, trois jours par semaine pendant plusieurs mois.
On imagine que vous avez choisi le titre « La trêve » parce qu’il est polysémique…
Quand nous sommes arrivés sur le site, c’était le début de la trêve hivernale et nous avons commencé à travailler alors qu’elle s’achevait. Beaucoup d’habitants ne savaient pas s’ils allaient pouvoir rester. C’était un sujet de tension. La trêve, c’est aussi ça : pouvoir se poser de façon pérenne dans une chambre. Il y a également l’idée que les travaux du Grand Paris vont transformer le site. Nous avons donc voulu mener une enquête urbanistique auprès de tous les acteurs politiques et sociaux qui ne prenaient pas forcément en compte l’existence des habitants actuels du lieu. C’est donc un temps de réflexion et de dialogue entre les habitants et les décisionnaires. Et puis le théâtre est une trêve en soi. On pose un temps au milieu de l’urgence et on parle.
Pour « La Trêve », vous avez recueilli la parole de plusieurs habitants de la tour Myriam. Est-ce que vous vous êtes posés la question de l’instrumentalisation ? Sur votre position d’artistes qui viennent « utiliser » la parole de personnes qu’on imagine assez fragiles ?
La question éthique, on se l’est posée dès le départ. La première question était « comment montrer ces gens dans leur force, mais sans tirer sur la fibre du pathos ? ». Il y a des habitants de la tour, qui, dès le départ, sont venus nous voir spontanément. Nous les avons incités à prendre le pouvoir sur scène. Une autre question qui traverse l’axe dramatique de la pièce a été : « Mais qu’est-ce que vient fiche l’art dans un CHU ? » C’est pourquoi, dans la pièce nous avons voulu montrer Olivier qui explique le projet à des habitants qui ne voient pas trop où il veut en venir. On a aussi choisi de montrer ces moments où nous étions débordés parce que les rendez-vous étaient difficilement tenables dans la durée pour certains ou parce que nous étions face à des gens trop détruits.
A quel moment décidez-vous que certains des habitants de la tour Myriam prendraient la parole sur scène ?
Nous voulions travailler avec les habitants mais sans être fixés sur leur présence. Nous avons fait des entretiens de type sociologiques. Et ce qui nous a intéressés, c’est de leur donner une vraie place. Ils sont cinq avec chacun un monologue, cela leur permet de déployer une vraie présence scénique. On s’est rendus compte que cela aurait été obscène de prendre des acteurs à la place des habitants. Ce qui était fort, c’était de retrouver le lien, la relation qui s’était nouée au moment de l’entretien. Et puis la tour va être vidée dans les mois qui viennent. Il fallait que ces gens soient regardés, qu’ils témoignent d’un cycle qui se répète dans l’hébergement d’urgence : quand les lieux ne sont pas habitables, ils sont dédiés au logement temporaire. Quand ils sont assainis, eux sont envoyés plus loin. Avec la pièce, nous voulions montrer des citoyens à part entière, ce qu’ils ne sont pas politiquement.
Infos pratiques : Pièce d’actualité n°15 « La Trêve » au théâtre de La Commune, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (93). Du 12 au 25 septembre. Durée : 1h15. Tarifs : de 7€ à 24€. Réservation en ligne. Accès : Métro Aubervilliers – Pantin – Quatre Chemins Ligne 7. Plus d’infos sur lacommune-aubervilliers.fr
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30 août 2020 - Aubervilliers