Culture
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Les châteaux remettent le son

L'Opéra royal à Versailles / © Pascal Le Mée
L’Opéra royal à Versailles / © Pascal Le Mée

Lieux de pouvoirs, les châteaux furent aussi des lieux de divertissement et de spectacle. Une tradition qui perdure et qui rend ce patrimoine vivant comme à Versailles, Fontainebleau et Chantilly, où sont donnés des concerts tout au long de l'année. Journaliste pour Enlarge your Paris, John Laurenson est allé en croire ses yeux et ses oreilles.

Le chef lève sa baguette. Chœur, orchestre et audience retiennent leur souffle. C’est une baguette magique. À sa descente, une musique de 1707 surgit dans cette nuit d’été, aussi exubérante et vigoureuse qu’à sa première. Nous sommes dans la très belle et très faste salle de bal du château de Fontainebleau (Seine-et-Marne). La musique, c’est le Dixit Dominus que Haendel a écrit avec toute la verve de ses 22 ans. Le chœur et l’orchestre sont ceux de l’ensemble Balthasar Neumann, en résidence artistique au château sous la direction du chef d’orchestre allemand Thomas Hengelbrock. Si les instruments sont d’époque, le cadre l’est tout autant.

« L’inspiration apportée par le lieu est incroyable. L’histoire, l’opulence, l’architecture, la beauté… tout ça fait que ce n’est pas la même chose que de jouer dans une salle de concert », confie Thomas Hengelbrock. Pour le public aussi c’est très différent. La proximité avec les musiciens d’abord, qui rend le moment intime et chaleureux. Puis les décors aussi : cette somptueuse salle de bal qu’Henri II a ajoutée au château construit par son père François Ier. Voir les musiciens jouer, les chanteurs chanter, le chef diriger est passionnant mais on peut aussi laisser errer son regard vers les magnifiques fresques Renaissance qui nous entourent où l’on chasse, festoie et danse.

Horloge qui sonne, porte qui grince

Dans la galerie de peinture du château de Chantilly (Oise), quoique très concentrée sur son programme Fauré, Casals, Bach, Messiaen et Poulenc, la jeune violoncelliste américaine Madelyn Kowalski se permet par moments, elle aussi, de lever les yeux sur les tableaux de la collection Condé. Il y a des splendeurs absolues : le Massacre des innocents de Poussin, par exemple, ou le portrait par Piero di Cosimo de Simonetta Vespucci où un serpent vert s’enroule autour de son collier.

« Je pense ne jamais être venue dans un endroit pareil. C’est absolument étonnant », me souffle-t-elle après son concert. C’est vrai que c’est un lieu exceptionnel car il est rare qu’une telle collection privée soit exposée au public dans l’espace de vie pour laquelle elle a été conçue. Et que pense-t-elle de l’horloge qui sonnait et de la porte qui grinçait ? « Quelque part ça souligne la simplicité de la musique. On n’a pas besoin que ça soit neutre et parfaitement maîtrisé. Et parfois les bruits – la pluie, les oiseaux qui chantent ou ici l’horloge – créent un lien entre la musique et la vie qui peut être assez émouvant»

« Et puis c’est de la musique de chambre ; c’est pour des salles comme celle-ci qu’elle a été faite », ajoute son jeune pianiste accompagnateur, l’Australien Jonathan Ferrucci.

Le même soir, j’assiste à un autre concert à Chantilly du violoncelliste anglais fou de Fauré et de Schumann : Steven Isserlis. Le lieu est encore plus extraordinaire que la galerie du matin : les Grandes Écuries. En entrant, on passe par les boxes où les chevaux broutent paisiblement leur foin avant de pénétrer sous un grand dôme où Steven Isserlis et ses comparses jouent du Schumann avec de temps à autre le caquètement des poules cachées je ne sais où mais pas très loin.

Un concert dans la salle de bal du château de Fontainebleau / © E. Brouchon
Un concert dans la salle de bal du château de Fontainebleau / © E. Brouchon

Un lien plus intime avec le patrimoine

Pas de basse-cour à Versailles à l’Opéra royal. Ce théâtre, Louis XV l’a inauguré avec un opéra de Lully le jour du mariage de son petit-fils, le futur Louis XVI, avec Marie-Antoinette ; il est éblouissant. Rentre sur scène le jeune orchestre de l’Opéra royal et son directeur et violoniste principal Stefan Plewniak. Il a des cheveux longs, comme sa veste. Il dirige tout en jouant ce qui nécessite une sorte de danse pour donner les départs, le rythme et les nuances de la musique.

Au programme : deux fois Quatre Saisons, celles de Vivaldi plus celles, beaucoup moins connues mais très méritantes quand même, de Giovanni Guido, un contemporain du génie vénitien, qui a vécu et travaillé en France. Ses Quatre Saisons à lui sont encore plus imagées que celles de Vivaldi avec coucous et chevaux de chasse au galop. Plewniak est un virtuose (il faut l’être pour jouer le Vivaldi !). De plus, il fait jouer tout le monde debout, ce qui ajoute à l’énergie déjà débordante de la musique.

S’inviter à un concert ici, se faire guider par une hôtesse jusqu’à sa place, recevoir une musique digne d’un roi, c’est nouer un lien avec ce patrimoine qu’est Versailles, très différemment d’une visite lambda. Nos plus grands châteaux sont devenus des musées formidables mais ils sont encore meilleurs quand ils se « démuséifient ». Avec ses concerts, ils vivent davantage. Nous aussi.

Prochains concerts : 27, 28 et 29 septembre dans la salle de bal du château de Fontainebleau ; 29 septembre, 13 octobre et du 18 au 20 octobre à l’Opéra royal de Versailles ; 12 et 13 octobre dans les Grandes Écuries du château de Chantilly

Concert au château de Chantilly / © John Laurenson pour Enlarge your Paris
Concert au château de Chantilly / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

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