Elle fait presque trop partie du paysage pour qu’on pense à la gravir. Et pourtant, depuis 2013, date de sa réouverture après sa dernière restauration, on peut grimper tout en haut de la tour Saint Jacques (4e), du printemps à l’automne. C’est ce que j’entreprends gaiement en cette matinée de juin par le biais d’une visite guidée, seul moyen d’accéder à son sommet. Après une courte balade dans le paisible jardin à l’anglaise qui l’entoure – le premier espace vert parisien créé au XIXe siècle, apprendrai-je quelques minutes plus tard –, je rejoins mon groupe soit… un couple de touristes. Au moins, nous ne nous marcherons pas sur les pieds dans les étroits escaliers !
Au pied du bâtiment, classé monument historique en 1862 et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, la guide débute par son histoire. En réalité, la tour est le dernier vestige de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, qui s’étendait jusqu’à la rue de Rivoli. Elle était la troisième plus grande église de Paris, mais fut démolie pendant la Révolution. À l’origine modeste chapelle, cette église fut le résultat d’un agrandissement au XIIe siècle par les bouchers de Paris (qui avaient leurs échoppes à l’emplacement du théâtre du Châtelet tout proche). Mais ce n’est qu’au XVIe siècle que la tour du clocher est érigée afin de montrer toute la puissance de cette corporation.
Amateurs de simplicité s’abstenir : la tour appartient au style gothique flamboyant, soit beaucoup de pierres ciselées, le tout agrémenté de sculptures ajoutées au XIXe siècle pendant sa première restauration. Parmi ces sculptures, à l’entrée, on peut apercevoir Blaise Pascal, placé là en référence à ses travaux sur la pression atmosphérique. Il est maintenant temps de s’échauffer les mollets et d’entamer notre ascension.
De clocher à fabrique de plombs de chasse
La guide nous invite à faire une petite pause au premier étage. On pénètre dans une salle où des ornements de la tour semblent dormir : chimères sans têtes, gargouilles cassées et fioritures abandonnées. Notre guide déroule alors les différentes phases de restaurations. Il y en a eu trois : au XIXe siècle par l’architecte Théodore Ballu qui laissa aller sa créativité, au début du XXe siècle par l’architecte Jean Camille Formigé, créateur notamment de la grande serre d’Auteuil, et qui fit quelques dégâts avec des matériaux inadaptés, puis la plus récente qui eut lieu entre 2006 et 2009 après plus de quinze ans d’études et de diagnostics.
Après cette pause au pays des architectes, nous continuons notre ascension jusqu’à une deuxième salle laissée dans son « jus » : murs à la peinture écaillée, armoires et meubles abandonnés… Le spectacle est en réalité au-dessus : nous nous trouvons dans le clocher que nous apercevons par en dessous. J’apprends alors que les douze cloches de la tour ont été fondues à la Révolution pour devenir des canons, la Ville de Paris ayant alors repris la propriété de ce monument.
Alors que l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie fut totalement détruite, pourquoi la tour est-elle restée intacte ? Le mystère demeure encore à ce jour : « Il existe plusieurs théories. Certains avancent qu’il existait quelques résistances pour tenter de protéger quelques monuments dans Paris, d’autres avancent que la position en hauteur de la tour pouvait être utile à des activités comme la météorologie », nous explique notre guide. Pourtant, c’est bien en fabrique de plombs de chasse que la tour se mue au début du XIXe siècle. On fait alors fondre le métal en haut de la tour pour le renverser dans un bassin placé tout en bas, la chute sert de chambre de refroidissement des billes de plomb. Une activité qui dura près de 50 ans. À propos de fonderie, en passant, la guide nous montre des vitraux aux initiales de Nicolas Flamel, le célèbre alchimiste parisien, auquel Théodore Ballu, l’architecte créatif, a souhaité rendre hommage.
Une vue à couper le souffle
Nous reprenons notre ascension. La guide nous demande de prendre notre temps et de la prévenir en cas de malaise. C’était mal connaître l’enthousiasme du couple et ma hâte à découvrir enfin cette vue. Effet waouh garanti : au sortir des étroits escaliers (84 cm de large, paraît-il, entre inscriptions des tailleurs de pierre et celles de plusieurs siècles de squatteurs), Paris se dévoile à 360 degrés. Que la tour Montparnasse et la tour Eiffel se rhabillent : depuis notre étroit belvédère, le regard se perd sur l’océan de toits en zinc d’où émergent tous les monuments parisiens que nous apercevons en intégralité grâce à notre position centrale.
J’ai l’impression de toucher du doigt Notre-Dame et le Centre Pompidou, la tour Eiffel paraît presque modeste, Montmartre s’élève au loin sur sa colline et la Seine serpente à perte de vue enjambée par ses célèbres ponts. Nous ne nous attardons pas vraiment sur les quatre statues ajoutées en haut de la tour au XIXe siècle : un aigle, un ange, un taureau et un lion représentant les quatre évangélistes. Datant également de la restauration du XIXe siècle, une sculpture de saint Jacques domine. « La Tour est l’un des nombreux départs pour Saint-Jacques-de-Compostelle, nous avons le tampon en bas si vous le désirez », nous propose notre guide. Pas de pèlerinage pour moi mais une révélation : et si la plus belle vue de Paris était celle que personne ou presque ne connaissait ? Loin des vendeurs de tours Eiffel en plastique fabriquées en Chine et des files d’attente, je touche du doigt le rêve du touriste dans la Ville Lumière.
Infos pratiques : Tour Saint-Jacques, 39, rue de Rivoli, à Paris (4e). Ouverte du 17 mai au 10 novembre inclus du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h. Visites guidées toutes les heures. Tarifs : 12 € (plein tarif) / 10 € (tarif réduit). Accès : métro Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11) / gare de Châtelet-les-Halles (RER A, B et D). Infos et réservations sur toursaintjacques.fr
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13 juin 2024 - Paris