Culture
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La culture, arme de softpower pour les métropoles

La parade du Minotaure de la compagnie Les Machines à Toulouse début novembre / © Guillaume Carta (Creative commons – Flickr)
La parade du Minotaure de la compagnie Les Machines à Toulouse début novembre / © Guillaume Carta (Creative commons – Flickr)

Du 1er au 4 novembre, elle a attiré 900.000 personnes ainsi que le New York Times dans les rues de Toulouse. La parade du Minotaure, conçue par la compagnie La Machine, a pleinement joué son rôle de projecteur sur la Ville rose, qui accueillait dans la foulée le colloque des métropoles culturelles. Tout un symbole à l’heure où la culture est vue comme un levier d’attractivité pour les territoires. Ce dont nous parlent les économistes Carine Camors et Odile Soulard.

Carine Camors et Odile Soulard, économistes à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France et co-auteures de l’étude « Lieux culturels et valorisation du territoire : 15 lieux emblématiques en Île-de-France »

La culture, dans sa dimension symbolique, économique et sociale est devenue un outil d’attractivité majeur pour toute métropole qui souhaite exister dans la mondialisation, et prend depuis les années 90 une place prépondérante dans le projet métropolitain. La culture est de plus en plus considérée comme un moteur de la croissance économique. L’essor de l’économie de la connaissance, la croissance du tourisme culturel et urbain, l’émergence du paradigme des industries culturelles et créatives, les théories de Richard Florida, Charles Landry et autres, qui mettent l’accent sur le rôle de la culture pour attirer les entreprises dans les villes, ou encore la contribution positive d’un nouveau grand lieu culturel à la revitalisation d’un territoire ont conduit à une nouvelle prise en compte de la valeur de la culture dans le développement urbain.

L’exemple le plus emblématique, et qui a inspiré de nombreux acteurs à travers le monde, reste le Musée Guggenheim de Bilbao, archétype de la redynamisation d’un territoire post-industriel par un grand geste architectural, associé à une stratégie de territoire, économique et touristique. L’implantation d’équipements culturels représente un facteur de réussite pour les nouveaux projets urbains et une promesse de développement des territoires qui les accueillent. Promouvoir les industries culturelles et créatives, attirer les talents créatifs et créer un grand équipement culturel deviennent un outil de marketing territorial car les stratégies urbaines à dominante culturelle permettent de construire une image dynamique et créative d’une ville. La culture bénéficie ainsi à l’imaginaire des métropoles et à leur attractivité touristique, au niveau national et international, générant des retombées économiques importantes et attirant de nouveaux investisseurs.

Exposition du cneai= aux Magasins généraux à Pantin / © cneai=
Exposition du cneai= aux Magasins généraux à Pantin / © cneai=

Un secteur qui dégage 21 milliards d’euros de richesses en Île-de-France

En Île-de-France, le secteur culturel dégage une richesse de 21 milliards d’euros et emploie 300 000 actifs (etp). La métropole offre les réseaux, les aménités, la centralité dont les actifs du secteur ont besoin pour développer leur activité. L’économie touristique s’appuie largement sur ces atouts culturels, facteurs de diversité et d’attractivité. L’offre culturelle des métropoles s’est largement renouvelée et enrichie ces dernières années. On peut penser à l’essor de lieux culturels éphémères, souvent hybrides dans leurs fonctions (6b à Saint-Denis, la Station – Gare des mines à Paris…), la valorisation du street art (Vitry’n Urbaine), le rôle croissant du privé (Fondation Louis VuittonGaleries Lafayette anticipations…) ou l’ouverture de nouveaux grands lieux dédié à la musique avec un grand geste architectural (la Seine musicale sur l’île Seguin à Boulogne, la Philharmoniedans le 19e).

Au niveau local, celui de l’habitant, l’offre culturelle répond à des enjeux de cohésion sociale, d’éducation, d’émancipation et d’accessibilité à la culture pour tous. La culture participe à l’amélioration du cadre de vie et à la vitalité urbaine, permettant ainsi la régénération d’un quartier ou d’une ville et sa revalorisation économique, foncière et symbolique.

Ces approches attribuent à la culture un rôle essentiel dans la stimulation de la croissance économique et sociale des métropoles en jouant sur le sens et en créant un espace social qui accroît l’attrait de la ville pour une main-d’œuvre éduquée et les entreprises qui cherchent à les employer. La culture a donc longtemps été associée à la régénération urbaine. Les artistes et les professionnels de la culture, attirés par les loyers bon marché et la vitalité des centres urbains, sont souvent parmi les premiers à s’installer dans des quartiers délaissés et à les transformer en des lieux de vie et de travail à la mode et dynamiques. Les urbanistes reconnaissent de plus en plus l’importance de la culture dans la revitalisation des villes et peu de villes aujourd’hui se lanceraient dans une stratégie ou un schéma directeur de développement économique sans prendre en compte le rôle que peuvent jouer l’art et la culture.

Festival «Les bains numériques» à Enghien dans le Val-d’Oise / © Nicolas Laverroux
Festival «Les bains numériques» à Enghien dans le Val-d’Oise / © Nicolas Laverroux

Le risque de déconnexion avec les besoins des habitants

Cependant, l’attractivité économique par la culture reste au cœur des débats. La culture bénéficie à l’image des métropoles et donc à leur attractivité économique et touristique. Mais les contreparties sont nombreuses : gentrification et éviction de certaines populations sur un territoire, tourisme excessif saturant les sites culturels et les quartiers patrimoniaux, faible participation et implication de la population locale, peu de retombées économiques et sociales pour les habitants, (etc). Se pose également la question des limites de la culture comme outil de régénération urbaine et de son instrumentalisation, à savoir la création d’équipements culturels au bénéficie d’une stratégie de développement déconnectée des besoins de ses habitants. La création d’équipements culturels a été longtemps une composante d’une politique destinée aux habitants. Mais en devenant l’élément central d’une stratégie urbaine, elle change de nature et de cible. Elle a pour objectif non de répondre aux besoins et pratiques des habitants, mais de rendre la ville attractive.

Dans un contexte de mutations industrielles de leur territoire, certaines villes mondes ont mis en œuvre des stratégies de développement urbain basées sur la revitalisation culturelle, et ainsi reconquérir certains espaces en créant de nouveaux pôles de centralité et d’animation urbaine, en améliorant et en changeant leur image. La culture comme levier dans les opérations de régénération urbaine se retrouve dans des contextes urbains très différents.

L’étude « Lieux culturels et valorisation du territoire » de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France est à retrouver ici

La Ferme du buisson à Noisiel en Seine-et-Marne / © Th. Guillaume
La Ferme du buisson à Noisiel en Seine-et-Marne / © Th. Guillaume

A lire : La culture n’est pas toujours là où l’on croit