Contrairement à l’enseignant, le directeur – ou la directrice – d’école est un personnage moins récurrent au cinéma. Comment l’expliquez-vous ?
Carine May : Peut-être parce que, dans l’inconscient collectif, il semble moins proche des élèves. Alors que, pourtant, il a forcément été enseignant auparavant ! Nous avons eu envie de raconter l’histoire d’une directrice quadragénaire et de montrer comment elle gère son école, met en place des projets et essaie de faire bouger les choses dans son établissement ; mais aussi comment elle doit gérer une équipe complètement hétérogène. Enseignante moi-même pendant dix ans, j’ai rencontré ces groupes composés d’instituteurs aux profils très variés, de générations différentes, syndiqués ou non… Des gens qui ne se seraient rencontrés nulle part ailleurs et qu’il va falloir faire travailler ensemble… sans être leur supérieur hiérarchique.
Pourquoi le thème de l’école dans les quartiers populaires se prête-t-il bien selon vous à la comédie ?
Carine May : Parce que justement, les quartiers, c’est l’école de l’humour. On a souvent affaire à des situations où il ne reste finalement que ça…
Comment avez-vous composé le personnage de Zahia, cette fameuse directrice ?
Carine May : Dans ma carrière d’enseignante, des Zahia, j’en ai rencontré plusieurs. C’est un pilier qui a grandi dans le quartier où elle est directrice. Elle y est attachée et cela crée une proximité avec les familles qui lui font confiance. S’il y a des conflits, ce n’est pas tant la directrice elle-même qui est remise en question que l’institution. Zahia, c’est le tampon entre le quotidien de l’école et l’État. Mais son bureau est aussi le sas dans lequel les familles parlent de leur intimité. Nous avons voulu aussi montrer les zones d’ombre, notamment les conflits qui peuvent survenir avec les collègues : « Tu es ma directrice mais tu n’as pas de pouvoir sur moi ! » Et puis il y a cette institution très conservatrice qu’est l’Éducation nationale qui peut être dure avec eux, qui peut leur dire « Débrouille-toi ! » C’est une mission très solitaire, lourde à porter.
En parallèle de l’action du film, on voit un quartier en train de s’ériger qui comportera une école flambant neuve. Beaucoup de parents de l’école de Zahia, la directrice qui est votre héroïne, lorgnent vers cette nouvelle école qui a l’air bien mieux que la leur. Vous pensez que la gentrification est responsable de la fin de la mixité sociale ?
Hakim Zouhani : La mixité avait déjà disparu avant la gentrification. Mais, effectivement, la gentrification comme elle se fait aujourd’hui accélère encore davantage le processus. On le voit : la mixité existe dans les rues, mais pas dans les écoles. L’idée est : « On veut bien vivre parmi vous, mais pas mélanger nos enfants avec les vôtres. » C’est d’ailleurs un argument de vente de certains programmes neufs : ne vous inquiétez pas, une école sera bâtie au pied de la résidence, il n’y aura pas de mélange.
Vous choisissez de mettre en regard deux écoles publiques. La neuve qui fait rêver et l’ancienne aux prises avec des difficultés. Pourquoi ne pas avoir montré l’opposition qui pourrait exister entre une école publique et une école privée, qui est aussi une problématique qui se pose dans les banlieues ?
Carine May : Parce que cela aurait été trop facile de taper sur une école Montessori ou une école de ce genre. Là, ce qu’on veut montrer, c’est que l’Éducation n’est plus nationale. Que l’école publique, ça ne veut rien dire. En tant qu’enseignante, j’ai vu une école REP+ [réseau d’éducation prioritaire renforcé, NDLR] séparée d’une autre qui ne l’était pas par… une simple rue. D’un trottoir à l’autre, la réputation d’un établissement n’est pas la même. Et on sait bien ce que ça veut dire : la REP +, c’est l’ « école des pauvres ».
Le film montre aussi que, si l’institution tient, c’est grâce à des individus…
Carine May : Et que les initiatives individuelles ne tiennent qu’un moment si elles ne sont pas reprises par le collectif…
Hakim Zouhani : Si l’école tient, c’est parce qu’il y a des enseignants qui ont envie de faire changer les choses. On avait envie de rendre hommage à ces personnes-là. Et ce d’autant plus qu’elles peuvent ne pas être soutenues par l’Éducation nationale et en ressortir encore plus affaiblies. C’est ce qu’explique Véronique Decker qui fut longtemps directrice d’école à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Elle parle de ces « îlots de résistance », c’est-à-dire ces écoles où les équipes tâchent de monter des choses différentes, innovantes… Généralement, au bout d’un moment, ces équipes sont cassées par l’institution.
Dans le film, vous mettez en avant deux personnages qui ont une vision différente des choses : Zahia, mais aussi Ingrid qui rentre justement plus dans le moule de l’institution…
Carine May : Zahia croit au modèle républicain, elle pense que l’ascenseur social fonctionne encore. Ingrid, elle, a compris que cela n’existait plus, ou presque plus. Elle sait, que, dans le quartier populaire où elle est nommée, peu d’enfants vont réussir à passer entre les mailles du filet et réussir. Je l’imagine bien arc-boutée sur la question des fautes d’orthographe ! Dans le fond, j’aimerais me ranger aux côtés de Zahia, mais, dans la réalité, je crains que, malheureusement, Ingrid n’ait les faits pour elle… Avec Hakim, nous croyons dans le pouvoir des gens de changer les choses. Alors je dirais que les directeurs peuvent – heureusement ! – encore changer la vie d’un enfant. Mais sans doute d’un peu moins d’enfants qu’avant…
Infos pratiques : La Cour des miracles de Carine May et Hakim Zouhani. Avec Rachida Brakni, Anaïde Rozam, Gilbert Melki. Sortie ce 28 septembre.
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28 septembre 2022