Après votre pièce « 2 ou 3 choses que je sais de vous » consacrée à Facebook, vous vous intéressez cette fois à notre usage d’Instagram. Comment est né le personnage de _jeanne_dark_ ?
Marion Siéfert : J’avais fait un spectacle avec la danseuse et comédienne Helena de Laurens intitulé Le Grand Sommeil. Un soir, alors qu’on évoquait les personnages qu’elle aimerait incarner, elle me parle de Jeanne d’Arc. C’est une figure marquante pour moi car j’ai grandi à Orléans et reçu une éducation catholique. Jeanne d’Arc me permettait de parler de cela mais aussi du rapport au corps dans la religion. Elle faisait partie chez moi d’un imaginaire assez profond, mais, de façon plus générale, c’est une figure qui déchaîne les passions parce que controversée. Elle a été beaucoup représentée dans l’iconographie catholique. C’est aussi ce que je trouvais intéressant : on a d’un côté la religion de l’image avec le catholicisme et, de l’autre, le monde de l’image avec Instagram.
Justement, comment Instagram s’inscrit-il dans la mise en scène ?
Utiliser Instagram pour une pièce, cela signifie inventer une forme de jeu. J’ai choisi notamment d’exacerber les cadrages. La pièce prend la forme d’un live, qui n’est pas tout à fait un live. Pour résumer, je dirais que j’utilise à fond Instagram, mais pas comme ses créateurs le voudraient, c’est-à-dire en mode Bisounours avec cette dimension « regardez comme ma vie est belle ». Avec Helena de Laurens, qui joue la pièce, on n’a pas peur d’aller jusqu’à la déformation. Toute la mise en scène est pensée pour Instagram puisque le spectacle est retransmis en live. On utilise des filtres précis à des moments précis, c’est très chorégraphié.
N’est-ce pas contradictoire de proposer aux spectateurs une expérience théâtrale sur scène en même temps que sur un réseau social ?
Effectivement, tous les soirs, quand on commence la pièce au théâtre, on lance en même temps un live sur Instagram. Ce live est retransmis sur des écrans sur scène avec l’affichage des commentaires : certains s’adressent au personnage de Jeanne, d’autres la trollent… Côté réactions, on a des gens qui m’ont dit avoir préféré la version sur Instagram. D’autres préfèrent voir la pièce en vrai. Une chose est sûre : des spectateurs jeunes ont été très marqués par ce qu’ils ont vu. On se rend compte que, même si Jeanne est entourée de plein de gens, elle est aussi très seule. Cela parle de ce que les machines font de nous…
Infos pratiques : « _jeanne_dark_ » au théâtre de la Commune, 2, rue Édouard-Poisson, Aubervilliers (93). Du 13 au 17 octobre. Tarifs : de 7 € à 24 €. Réservations ici. Pour suivre le live Instagram, rendez-vous sur le compte de _jeanne_dark_. Accès : métro Aubervilliers – Pantin Quatre Chemins (ligne 7). Plus d’infos sur lacommune-aubervilliers.fr
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12 octobre 2021 - Aubervilliers