Comment vous êtes-vous retrouvée à participer à cette série « Le Grand Paris des écrivains » ?
Marie Richeux : Stefan Cornic, son instigateur, m’a contactée. Il fallait écrire un court texte sur un endroit du Grand Paris qui nous intéressait. Je lui ai proposé de reprendre un extrait de mon livre Climats de France (Éd. Sabine Wespieser) qui évoque la cité du Parc où j’ai grandi à Meudon (Hauts-de-Seine). Mais Stefan voulait un texte inédit. Or que dire de plus ? J’ai laissé flotter l’idée pendant plusieurs semaines et ai eu envie d’aborder les choses plutôt « côté coulisses », en évoquant ce rêve sur la cité que j’ai fait à plusieurs reprises. Puis j’ai écrit le texte d’une traite.
Vous auriez pu choisir un autre endroit du Grand Paris. Pourquoi poursuivre sur Meudon ?
Parce que c’est le lieu de mon enfance. J’y ai vécu vingt ans. Et parce que l’enfance nous poursuit tous assez longtemps ! J’ai commencé à m’y intéresser lors d’un voyage à Alger, alors que je rendais visite à une amie. Sur les hauteurs de Bab El Oued, je tombe sur cette cité, Climats de France, en piteux état certes, mais vraiment majestueuse. Elle a été bâtie par l’architecte Fernand Pouillon. Or il y a quelque chose de familier que je reconnais dans cette édifice. De fait : la cité du Parc où j’ai grandi a été bâtie à quelques années d’intervalles par ce même Fernand Pouillon.
Pour vous, existe-t-il un imaginaire de la banlieue ?
S’il y a des humains, il y a des imaginaires. C’est une pensée stérile de croire qu’il n’y a pas de beauté, d’imaginaire, d’évasion dans les quartiers. Après, c’est un imaginaire très individuel. Même si je pense qu’il y a des lignes communes. On ne peut pas passer outre l’esthétique des grands ensembles, par exemple. En banlieue, il y a aussi tous ces mouvements qui ont battu plus fort qu’ailleurs : le hip-hop, le rap, la danse… Je suis sensible aux formes artistiques qui s’y sont déployées. Il y a aussi le rapport à la langue, à l’art de la joute, de la rigolade. Être au contact de gens qui avaient ce lien à la langue, j’en ai gardé une grande joie et de l’admiration. Et puis, pour moi, il y a aussi le cinéma : les films de Rabah Ameur-Zaïmèche, Abdellatif Kechiche ou Alice Diop. Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? ou L’Esquive ont été des chocs incroyables. Mais, encore une fois, je ne parle ici que de mon imaginaire. J’ai conscience d’avoir vécu mon enfance en banlieue pendant les années 90 dans un cadre relativement privilégié et apaisé.
En quoi la banlieue est-elle constitutive de votre identité ?
J’ai contemplé les parkings entre route et forêt les matins de givre, la lumière du soir sur la pierre de taille de la cité du Parc. C’est quelque chose de voir face à soi 400 fenêtres allumées. Être nombreux, vivre ensemble, c’est une question d’importance. Quand on vit en banlieue, la question des déplacements est aussi essentielle. Je me souviens du bus sur la nationale 118 puis, plus tard, à la fac, le bus auquel s’ajoutaient le train et le métro. 1 h 20 de trajet. Un temps de latence, de regards par la fenêtre, mais qui peut aussi être très pénible.
Stefan Cornic a mis vos mots en images. Quel regard portez-vous sur le film qu’il a réalisé à partir de votre texte ?
C’est le regard de Stefan puisqu’il a été seul faire les images. Il est allé filmer un jour de soleil où l’on voit les cerisiers en fleurs. J’ai un sentiment de compagnonnage, d’accointance par le montage. Je crois qu’il a été sensible à l’idée de rêve que j’évoque dans mon texte. Ses plans invitent à une forme de rêverie. Une chose m’a frappée : il filme le parking du mail où on voit une vieille voiture d’un autre âge. C’est aussi quelque chose que j’ai voulu rendre dans mon roman : le feuilletage du temps. Le contemporain est toujours habité par trois ou quatre couches du passé.
Infos pratiques : la série « Le Grand Paris des écrivains » est à découvrir sur pavillon-arsenal.com
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15 novembre 2021