La compagnie Jolie Môme, trentenaire engagée qui n'a rien perdu de sa fraîcheur et de ses idéaux, reprend jusqu'au 20 décembre « La mémoire nous joue des tours ». Une pièce sur la guerre 14-18 cousue main par la troupe au drapeau rouge. Parce qu'il ne faut pas prendre tout ce qu'on nous raconte pour argent comptant...
Reportage publié pour la première fois le 2 avril
La fraîche soirée d’un mois de mars qui hésite encore à entrer dans le printemps est tombée sur les rues désertées de Saint-Denis. Quelques pancartes de fortune indique comment suivre La Belle Etoile, salle municipale devenue théâtre. C’est là, à deux pas de l’arrêt Front Populaire (ligne 12), que la Jolie Môme a élu domicile, il y a dix ans. Le lieu vous arrive d’abord comme un halo lumineux rouge dans la nuit séquano-dyonisienne. Puis une fois la porte franchie, la chaleur saisit.
Aux degrés Celsius supplémentaires s’ajoutent un décor boisé et coloré et une ambiance. Dans l’antichambre de la salle de spectacle, un bar où l’on joue des coudes, une citation de Brecht… des tables où certains ont prévu le coup et se calent une dent avant la représentation. Ici, tout est fait pour que sans artifices, on cause à son voisin. D’ailleurs le mien est historien (entre autres choses). « Les gars de la compagnie m’ont invité parce que j’ai écrit Jeanne Labourbe, première communiste française à avoir participé à la révolution bolchevique et d’après ce que j’ai compris elle est plus ou moins le point de départ de l’histoire ».
Plus ou moins en effet. « Camarades spectateurs, c’est l’heure », lance Michel Roger, fondateur de la compagnie et metteur en scène. Un mouvement plus tard, voilà le spectateur sur son gradin devant une scène où durant plus d’1h30, dix comédiens qui jouent, chantent, incarnent des chapitres marquants des mouvements révolutionnaires durant la Première Guerre mondiale sur fond d’internationalisme.
Comme une invitation à non pas refaire l’histoire mais juste changer de prisme. Le prétexte : Samantha Labourbe, élève du lycée Clemenceau a travaillé sur la Première Guerre mondiale et vient, avec sa classe, de commettre une chanson sur le sujet. L’heure est aux commémorations. Mais Sam va s’assoupir. Et dans son rêve aux accents de réalités, elle va croiser des personnages et vivre des instants parfois oubliés des manuels d’histoire : la révolte spartakiste, l’antimilitariste allemand Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, le syndicaliste plus franchement révolutionnaire Léon Jouhaux, le chanteur populaire Montehus…
Contre commémoration
La chronologie des événements se déroule comme autant de tableaux rendus vivants par une mise en scène rythmée servie par des comédiens… ou plutôt des musiciens. Disons qu’ils sont aussi chanteurs. A Jolie Môme, l’artiste est total. Et la pièce se jouent autant qu’elle se chante. Côté scène on raconte les luttes, côté salle, on ne résiste pas et on se laisse embarquer dans le tourbillon de la mise en scène quitte parfois à chercher son souffle… « C’est foisonnant », lâche le voisin (toujours l’historien) qui trouve que l’affaire est « rudement bien menée. M’enfin, faut connaître un peu d’histoire pour suivre… ».
Lui, il a vécu le spectacle murmurant la fin d’une citation, fredonnant les chansons… certifiant conformes les références. « Nous avons travaillé avec un historien et à partir d’archives, notamment les carnets de guerre de mon grand-père », raconte le metteur en scène à l’issue de la représentation. Bientôt rejoint par sa troupe à peine essoufflée, il échange avec qui veut. Il est question de la pièce imaginée comme une « contre commémoration », d’Histoire… et d’histoires. Dont celle de Jolie Môme.
Le Joli Môme
Michel Roger a créé la compagnie en 83 avec quelques amis comédiens. Lui, il a fait ses armes au théâtre de l’Epée de Bois à La Cartoucherie (Vincennes) qu’il finit par quitter. Ce fils d’instits communistes n’avait pas trop envie de mener une carrière où il s’agit de se vendre pour brûler les planches. « Chez moi, on n’est pas des vendus », lâche-t-il dans un éclat de rire avant de raconter les débuts, les répétitions dans le sous-sol d’un centre d’hébergement de réinsertion Emmaüs, un premier prix au festival de théâtre amateur de Gennevilliers. Une ville où la troupe finit par migrer pour quelques années. Puis Paris. Puis Saint-Denis où « la municipalité nous a mis une salle à disposition : La Belle Etoile ».
Ce qui n’empêche pas la troupe – qui compte aujourd’hui une douzaine de membres – de jouer hors les murs. Le terrain de jeu est vite devenu la rue. Lors de manifestations notamment. Pour soutenir ici des salariés qui luttent pour sauver des emplois, là des sans-papiers… Mais pas seulement. Et Michel Roger de livrer l’anecdote que l’on devine incontournable : « La première fois que nous avons osé jouer une de nos pièces dans la rue, nous avons tous mis des lunettes de soleil tellement nous avions peur. Peur de la réaction des gens. On les a vite enlevées… »
Il fallait goûter au plaisir de voir le public du macadam s’enthousiasmer pour le travail de la troupe. A trente piges, la Jolie Môme créé, joue, lutte, chante, fait tourner un théâtre (où elle anime aussi des ateliers chanson, fanfare, théâtre… avis aux amateurs) et plante son chapiteau chaque été en Auvergne pour un festival estampillé « La Belle Rouge ». Et comme 30 ans, ce n’est même pas la force de l’âge… on vous laisse imaginer la suite.
28 octobre 2015 - Saint-Denis