Jusqu’aux Jeux olympiques, le journaliste John Laurenson partage avec nous son regard sur la banlieue à travers la série « Le Grand Paris est une fête », en hommage au Paris est une fête d’Ernest Hemingway.
Elle est belle la première vue de Pontoise (Val-d’Oise) quand on descend du train ! Une allée de tilleuls qui monte tout droit vers la cathédrale. Ça ne devait pas être très différent du temps du peintre Camille Pissarro qui a découvert cette ville peu après l’ouverture du chemin de fer dans les années 1860. En revanche, il serait venu plus rapidement. On mettait 20 minutes depuis la gare Saint-Lazare il y a 160 ans alors qu’aujourd’hui c’est plutôt 40.
Mon GPS (autre changement de l’époque) me dit que le musée Pissarro se trouve sur les hauteurs de la ville et m’y emmène par un charmant chemin pavé. Quelques fleurs sauvages poussent entre les pierres. En haut de la pente, une haie de roses pâles parfume l’air. La vie est douce dans ce coin du Val-d’Oise. J’arrive devant le grillage d’un grand hôtel particulier fin XIXe. où je rencontre le jeune conservateur du musée Vincent Pruchnicki. Dans la première salle, on s’arrête devant une merveille de verdure : un tableau du premier professeur de Pissarro aux Beaux-Arts, Charles-François Daubigny. Comme son deuxième maître, Camille Corot, c’est un peintre de l’école de Barbizon, ce génial mouvement écolo-artistique qui a poussé dans la forêt de Fontainebleau.
« Va dans le Vexin, prends le train ! »
C’est Corot qui encourage Pissarro à découvrir les environs de Paris. « Il lui dit : « Va dans le Vexin, prends le train ! », raconte Vincent Pruchnicki. Il y va et il commence à dessiner la nature et la campagne grand-parisienne : les châtaigneraies, les pins, les ânes… » Les ouvriers et les paysans aussi. On les voit dans les deux toiles de Pissarro que Vincent Pruchnicki me montre par la suite : Péniche sur la Seine et La Brouette, verger au Valhermeil. Dans le premier, de 1863-1864, un batelier descend une rive herbue, un sac lourd – de charbon sans doute – sur le dos, pour rejoindre le reste de l’équipage sur sa péniche sombre. C’est un tableau charnière pour Pissarro qui va bientôt se libérer des tons sourds de l’école de Barbizon en s’interdisant carrément le noir en faveur d’une palette plus large, plus claire. Dans La Brouette, verger au Valhermeil de 1879, on voit un Pissarro qui est déjà parti sur le chemin impressionniste depuis un moment. Nous sommes au début de l’été, l’herbe scintille, le soleil tache de lumière les feuilles d’un pommier ainsi que le chapeau bleu d’une solide paysanne qui remplit sa brouette de foin.
La présence et le traitement de ses personnages étaient un parti pris politique lourd de conséquences pour sa carrière, sa réputation et même sa postérité. « Il était anarchiste, m’indique Vincent Pruchnicki, ce qui consistait à dire que tout est égal à tout et que toute personne est égale à toute autre. » Dans ses toiles, cela se traduit par une représentation simple des gens simples. Alors que les réalistes de l’école de Barbizon voulaient encenser la grandeur de la nature (Daubigny) ou la grandeur de l’âme paysanne (Millet), « Pissarro peint ce qu’il perçoit sans essayer de le transformer », m’explique Vincent Pruchnicki. Ce qui est, en fait, plus radical. C’est vouloir dire qu’un coin de rue à Pontoise mérite notre regard autant que la place de la Concorde, qu’un semeur vaut un hussard, non pas parce qu’ils sont aussi grands, aussi beaux, aussi forts, mais malgré le fait qu’ils ne le sont pas forcément.
Le père de l’impressionnisme
Pour Vincent Pruchnicki, Pissarro peut être considéré comme « le père de l’impressionnisme », « le moteur du mouvement ». C’est lui, avec Degas et Monet, qui organise la première exposition impressionniste dont on célèbre le 150e anniversaire cette année. Cézanne disait qu’il était « un père pour nous tous ». « La raison de son succès relativement faible à l’époque par rapport aux autres impressionnistes comme Renoir est qu’il peignait le petit peuple, pas le grand », analyse Vincent Pruchnicki. Il était pareil en amour. Il a épousé, malgré l’opposition de son père, une femme de chambre catholique alors que sa famille était bourgeoise et juive. Le père de Pissarro lui coupa les vivres mais il eut sept enfants avec Julie avec qui il vécut jusqu’à sa mort en 1903.
On reste un bon moment devant La Brouette, verger au Valhermeil (du nom d’une localité située entre Pontoise et Auvers-sur-Oise) et je finis par remarquer en bordure de toile la tête d’un âne qui arrive, intéressé sans doute par le foin. On a d’autant plus raison d’y passer du temps que nous voilà à la fin de la collection de toiles de Pissarro. Il y a plein d’autres merveilles – des dizaines de dessins et d’estampes de Pissarro, plein d’œuvres de ses fils tous artistes comme leur père, de superbes tableaux d’autres peintres – mais les toiles de Camille Pissarro sont au nombre de 2. Ce qui est à la fois pas grand-chose et beaucoup. Les tableaux de Pissarro valent aujourd’hui entre 400 000 et plusieurs millions d’euros : totalement hors de portée d’un petit musée. En fait, même La Brouette est un prêt du musée d’Orsay. Le musée de Pontoise ne possède que La Péniche sur la Seine et n’a pu acquérir celui-là que grâce à une saisie de douane. Il lui a été proposé à un prix très raisonnable après que les propriétaires se le sont fait confisquer en essayant de le sortir de France sans le déclarer.
Une visite profonde plutôt que large
La collection ici est donc bien modeste à côté de celles des musées parisiens. Le seul musée d’Orsay regorge de chefs-d’œuvre impressionnistes. Mais il faut aussi penser aux conditions dans lesquelles on voit ces tableaux. Un grand nombre de toiles encourage la visite large plutôt que la visite profonde. On s’épuise à essayer de voir trop de choses.
Quitter Paris pour les musées de banlieue n’est pas forcément une panacée. Vous risquez par exemple d’atterrir à la Maison de Monet à Giverny (Eure), retrouver une foule digne du Louvre et pas de tableaux du tout. No art. Même si, c’est vrai, le Musée des impressionnismes est juste à côté. Mais ça peut aussi être une bonne piste. A Pontoise, pas de réservation en ligne obligatoire, pas de créneau horaire à réserver non plus, pas de file d’attente à l’entrée, de la paix et de la place dans les salles et, une fois la visite terminée, vous pouvez boire un thé dans le jardin (du thermos que vous avez eu la prévoyance d’apporter). Surtout, ici, le rapport avec les tableaux est tout différent. Quand je venais de débarquer à Paris, je me suis trouvé chez l’amie d’une amie assis à une table de la cuisine sur laquelle était posé un tout petit mobile en métal peint du sculpteur Alexander Calder. On soufflait, il tournait. J’ai passé un moment avec cette petite création exquise et elle m’a laissé un souvenir inoubliable. Depuis, j’ai vu plein de Calder dans les musées et une grande rétrospective au musée d’Art Moderne de Paris. Mais, quand j’y pense, c’est flou. Péniche sur la Seine, c’est comme mon Calder sur la table : pas flou.
Pas convaincu ? Alors, voici un compromis. Attendez l’automne. Du 24 octobre au 25 janvier prochains, il y aura au moins cinq tableaux de Pissarro de plus ici dont son autoportrait, prêtés par le musée d’Orsay justement. L’exposition s’appellera : « Pissarro sur le chemin de Pontoise ».
Infos pratiques : musée d’Art et d’Histoire Pissarro Pontoise, 17, rue du Château, Pontoise (95). Ouvert du mercredi au dimanche sauf jours fériés, de 10 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 18 h. Tarif : 7 € (plein tarif), gratuit pour les moins de 18 ans. Accès : gare de Pontoise (RER C, lignes H et J). Plus d’infos sur ville-pontoise.fr
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4 août 2024 - Pontoise