Un grand Paris implique une grande randonnée. Cette vérité à la Ben Parker, l’oncle de Spiderman pour ceux qui auraient oublié, environ 700 randonneurs l’ont faite leur le week-end du 23 au 25 septembre. Jugez vous-mêmes : un peu plus de 48 heures de marche non-stop, 120 km, 11 relais, 9 sommets avalés parmi lesquels le Mont Valérien (92) et la butte Pinson (95), 1.600 mètres de dénivelé, 5 départements traversés et 4,5 millions de calories brûlées.
Ce cortège exceptionnel avait répondu à l’appel lancé par deux associations de citadins marcheurs, A Travers Paris et le Voyage métropolitain, avec la complicité d’Enlarge your Paris. L’idée : partir à la rencontre du Grand Paris autant avec les yeux qu’avec les pieds en empruntant le Sentier panoramique dessiné l’an dernier par A Travers Paris. Un parcours en forme de boucle ayant pour point de départ la Corniche des forts à Romainville (93) et pour point d’arrivée… la Corniche des forts à Romainville. L’équivalent, pour la plupart des participants, d’un voyage en terra incognita de l’autre côté du périph, avec juste une brève incursion intra-muros, sur la cordillère formée par la butte Bergeyre, les Buttes-Chaumont, Belleville (20e) et Montmartre (18e).
« Pour nous, il s’agissait de montrer que le Grand Paris ne se limite pas à une entité administrative, confie Mathilde Savary, jeune urbaniste et présidente d’A Travers Paris. Nous avons reconnu l’itinéraire en 2015 en petit comité. L’intérêt est qu’il mélange ville et nature tout en étant ponctué d’un bout à l’autre par des panoramas ». Ce qu’illustrent parfaitement la butte Pinson et la butte d’Orgemont dans le Val-d’Oise, promontoires verdoyants offrant une vue aussi imprenable qu’insoupçonnée sur le Grand Paris.
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S’imprégner du Grand Paris par les pieds
« D’ici, Paris prend toute sa petite dimension. D‘ailleurs, tous les Parisiens devraient s’accorder un pèlerinage à la butte d’Orgemont pour s’en rendre compte », ironise Renaud, l’un des 700 participants dont les pieds affichent désormais au compteur 60km de marche dans le Grand Paris. Originaire de Morsang-sur-Orge (91), il s’est lancé sur le Sentier panoramique pour deux raisons. « Par défi sportif tout d’abord. Je voulais marcher le plus longtemps possible ». Résultat, 24 heures en tout sur un week-end. «D’autre part, bien qu’originaire de banlieue, et malgré mon métier d’aménageur d’espace public qui m’amène à me déplacer en petite et en grande couronnes, je connais assez mal l’Île-de-France. La marche, il n’y a pas mieux pour s’approprier un territoire. Elle permet de prendre le temps d’explorer ».
Béatrice peut témoigner, elle qui a parcouru 50 km sur le sentier. « J’ai découvert des endroits que je pensais connaître. A Villejuif (94), nous sommes allés à la pyramide de Cassini, une mire qui servit à Jacques Cassini pour tracer la première carte de France au 18e siècle. Bien qu’ayant habité à côté, je ne l’avais encore jamais vue ! ». Sur l’étagère de ses meilleurs souvenirs grand-parisiens, Béatrice a rangé également les bords de Marne ainsi que les constructions de l’architecte Jean Renaudie à Ivry (94). « Jusqu’à présent, le Grand Paris était quelque chose de purement théorique pour moi. Maintenant, il m’est rentré dans les pieds. »
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Cette imprégnation du bas vers le haut, Jens Denissen la revendique. Co-organisateur de ce tour d’horizon métropolitain, il arpente la périphérie de Paris avec ses camarades du Voyage métropolitain depuis 2014. « La marche est un formidable moyen de créer de l’attachement aux villes et aux espaces que l’on traverse. C’est aussi un outil d’aménagement. Aménager, ce n’est pas seulement construire des routes, c’est aussi se bâtir une cartographie mentale qui décuple les possibilités de bouger. Sans partir loin, on peut voyager et lâcher prise avec son quotidien. » Mathilde, d’A Travers Paris, abonde. « Lorsque nous avons fait notre entrée à 7 heures du matin dans le parc de La Courneuve (93), j’ai eu la sensation de me retrouver à Central Park (le parc de La Courneuve s’étend sur 410 ha, contre 340 ha pour Central Park, Ndlr). En plus, nous avons été accueillis par les bergers urbains de Clinamen et leurs moutons. C’était complètement dingue ! ».
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La marche pour changer l’image de la banlieue
Si la marche change le regard du marcheur, elle modifie aussi par voie de conséquence celui des riverains. « La randonnée collective en ville est une forme de performance, estime Jens Denissen. Déjà parce que les marcheurs sont amenés à prendre la place des voitures sur la chaussée. Ensuite car elle questionne les habitants, peu habitués à voir défiler pareil cortège sous leurs fenêtres. Elle les fait se demander quelles sont les richesses autour d’eux qui justifient qu’autant de gens se déplacent. Cela peut être une façon de changer l’image de la périphérie, autant pour pour ceux qui y vivent que pour ceux qui sont en dehors. »
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Justement. Qui dit image dit photographes. Ils étaient plusieurs à avoir accepté de se joindre à la foule des randonneurs pour immortaliser l’exploit et mettre en boîte les paysages du Grand Paris (voir ci-dessous). « Nous voudrions pourquoi pas en tirer une exposition », indique Jens, alors qu’une carte reprenant le tracé du sentier est aussi envisagée. L’an prochain, Mathilde espère bien renouveler l’expérience, « sans forcément emprunter le même itinéraire mais en passant par les mêmes neuf sommets ». Et cette fois, Renaud et Béatrice se sont jurés de faire le tour complet. Ils ne seraient pas les seuls dit-on…
3 octobre 2016